Corona-Dette : qui va payer ?

Il est vrai que cela peut apparaître très déconcertant : il y a encore quelques mois, les Etats surendettés, à commencer par celui de la France, répétaient, à juste titre, qu’il n’était plus possible d’augmenter davantage la dette publique, notamment pour éviter aux générations futures de payer une facture extrêmement salée.

Or, avec la pandémie, les confinements et la récession qui s’est installée, tous les Etats de la planète ont annoncé, comme par magie, des plans de relance pharaoniques. Les montants de ces derniers ont de quoi donner le vertige : 2 700 milliards de dollars aux Etats-Unis, 2 200 milliards au Japon, 750 milliards d’euros pour l’Union européenne ou encore 120 milliards d’euros en France (+ environ 500 milliards pour les fameux PGE, prêts garantis par l’Etat).

Et ce, sans parler des montants tout aussi extravagants des « planches à billets » des banques centrales : au minimum 1 500 milliards de dollars pour la Fed et 1 000 milliards d’euros pour la BCE, qui viennent s’ajouter aux « planches à billets » déjà pléthoriques des années précédentes de respectivement 4 000 milliards de dollars et 3 000 milliards d’euros.

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Une dette Covid tellement énorme qu’elle en devient incalculable…

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Source : ACDEFI

Certes, compte tenu de l’ampleur dramatique de la pandémie et de la dépression mondiale qui s’est imposée, cette débauche de moyens peut apparaître justifiée : lorsque la maison brûle, il faut tout faire pour éteindre l’incendie. Pour autant, face à cette valse des milliards, ou plutôt des trilliards, deux questions à la fois simples et lourdes de conséquences s’imposent : d’où vient l’argent et qui va payer ? La réponse à la première interrogation est claire : ces milliards ne sont pas tombés du ciel, mais viennent simplement alourdir une dette publique déjà stratosphérique.

Et c’est là que le bât blesse. Car, avant même la crise actuelle, le poids de la dette publique dans le PIB de la grande majorité des pays développés était déjà dramatiquement élevé : 238 % au Japon, 180 % en Grèce, 138 % en Italie, 106 % aux Etats-Unis, 100 % en France, 99 % en Espagne et 86 % pour l’ensemble de la zone euro.

Au sein de cette dernière, seuls cinq pays se distinguent par la relative faiblesse de leur ratio dette publique/PIB avant la pandémie : l’Irlande (57,4 %), la Finlande (59,4 %), l’Allemagne (59,6 %), les Pays-Bas (48,7 %) et le Luxembourg (22 %). Ces disparités au sein de la zone euro expliquent d’ailleurs pourquoi les fameux « Coronabonds », c’est-à-dire des obligations émises par l’UEM dans son ensemble et non pas Etat par Etat, n’ont pas réussi à voir le jour.

Déjà stratosphériques, les dettes publiques vont encore flamber.

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Sources : FMI, Eurostat, Prévisions ACDEFI

Toujours est-il que les faits sont là : déjà extrêmement élevées avant la pandémie, les dettes publiques ont encore explosé au premier semestre 2020 et vont continuer sur leur lancée au moins jusqu’au début 2021. De plus, dans la mesure où le PIB baisse fortement, cela signifie que les ratios Dette publique / PIB vont mécaniquement atteindre des niveaux démentiels d’ici la fin 2020 : 260 % au Japon, 205 % en Grèce, 170 % en Italie, 125 % en France et 110 % pour l’ensemble de l’UEM.

D’où notre deuxième question toujours sans réponse : qui va payer ? En fait, il existe quatre réponses possibles. Trois sont dangereuses, voire dramatiques, et une seule demeure favorable. La première solution consisterait en une forte augmentation de l’inflation. L’Histoire a effectivement montré que, très souvent, une forte inflation permettait de payer la dette de façon quasiment indolore. Il y a néanmoins deux problèmes. D’une part, on ne peut pas décréter l’inflation (qui est d’ailleurs actuellement extrêmement faible, voire négative dans de nombreux pays et zones, notamment en Italie, en Allemagne et dans l’ensemble de la zone euro.

Augmenter l’inflation : difficile…

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Sources : Eurostat, ACDEFI

D’autre part, si l’inflation augmente trop fortement alors que la récession et le chômage élevé persistent, les revenus ne pourront suivre, ce qui réduira le pouvoir d’achat des ménages et aggravera la récession, donc le chômage, les déficits et la dette…

… et coûteux pour les ménages.

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Sources : INSEE, Destatis, ACDEFI

C’est pourquoi, certains Etats pourraient être tentés par une deuxième solution, qui a d’ailleurs quasiment toujours été utilisée, en particulier en France, en l’occurrence l’augmentation des impôts. Le premier ministre et le Président français ont beau claironner qu’il n’en sera rien, peut-on raisonnablement les croire ?

La France est déjà championne du monde des impôts.

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Sources : Eurostat, ACDEFI

D’ores et déjà, les suppressions de la CRDS et de la taxe d’habitation qui étaient prévues cette année ont été reportées sine die. Le drame est que la France étant déjà numéro un mondial de la pression fiscale, accroître encore cette dernière reviendra à casser davantage la croissance, ce qui réduira l’assiette fiscale. L’Etat ponctionnera donc plus mais sur un « gâteau » plus petit, ce qui amputera les recettes fiscales, donc accroîtra les déficits publics et la dette, et le cercle pernicieux dans lequel nous sommes coincés depuis quarante ans continuera de plus belle…

Augmenter les impôts : la pire des solutions, surtout en France.

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Sources : INSEE, Eurostat, ACDEFI

Pour éviter d’en arriver là, une troisième solution est de plus en plus avancée et apparaît comme la panacée consensuelle, en l’occurrence : l’annulation de la dette. C’est d’ailleurs ce qu’ont fait tous les pays surendettés et/ou en défaut de paiement à travers l’Histoire. Evidemment, il ne faudrait pas annuler la dette publique détenue par les épargnants, sinon cela ruinerait ces derniers et susciterait l’effondrement du système.

D’où l’idée « géniale » de ne supprimer que la dette publique détenue par les banques centrales. Pour la simple raison qu’en théorie, une banque centrale ne peut pas faire faillite.

Mais là aussi trois problèmes surviennent. Primo, il y a souvent un fossé entre la théorie et la pratique. Ainsi, les statuts des banques centrales des pays développés, et en particulier ceux de la BCE, interdisent une telle annulation. Or, il paraît très peu probable que l’on puisse changer rapidement cette règle de base, par ailleurs indispensable à l’indépendance des instituts d’émission.

Et ce d’autant que les titres de dettes publiques se situent à l’actif du bilan des banques centrales, constituant par là même l’une des contreparties de la masse monétaire (avec l’or et les réserves de changes). Dans ce cadre, leur annulation reviendrait à effacer de la monnaie en circulation, se traduisant par une destruction de richesses particulièrement dangereuse.

Le krach obligataire peut aller très vite : l’exemple de l’Italie.

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Sources : Eurostat, ACDEFI

Secundo, à compter que l’on puisse passer par miracle ce premier obstacle, il n’est pas certain que la zone euro, déjà particulièrement bancale, puisse survivre à l’annulation des dettes détenues par la BCE, surtout parce que cela créera une distorsion entre les Etats « sérieux » et les autres.

En outre, après les élections législatives allemandes de septembre 2021, il est clair que le ou la remplaçant(e) d’Angela Merkel n’hésitera pas à tout mettre en œuvre pour stopper la « planche à billets » de la BCE.

Tertio, cette stratégie est un fusil à un coup. Cela signifie qu’après avoir annulé les dettes d’un Etat ou d’une somme d’Etats, ceux-ci perdront durablement en crédibilité. Dès lors, une phase de remontée massive des taux d’intérêt des obligations se produira, ce qui aggravera la récession, augmentera le chômage, suscitant une nouvelle flambée des déficits et des dettes, sans parler des risques financiers, sociaux et sociétaux qui en découleront.

Et n’oublions pas qu’un krach est très vite arrivé, comme en témoignent les exemples italiens et grecs.

Autrement dit, aucune de ces trois premières solutions n’est viables et leur mise en application serait au contraire destructrice.

Fort heureusement, il en reste une dernière, à savoir le retour rapide de la croissance forte, notamment au travers de l’innovation technologique. En effet, n’oublions pas qu’une dette publique élevée n’est pas forcément catastrophique, si et seulement si elle est soutenable, c’est-à-dire qu’elle génère une croissance suffisamment vigoureuse pour payer au moins les échéances de la dette. Le problème est que pour le moment et dans le contexte actuel de récession, rares sont les pays qui paraissent susceptibles d’y parvenir. Pour mémoire, rappelons que la France n’y est jamais parvenue depuis 2007.

En France, plus la dette publique augmente, plus la croissance structurelle baisse…

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Sources : INSEE, ACDEFI

En conclusion, à l’exception de la quatrième solution, les trois autres engendreraient des dégâts collatéraux considérables et certainement dévastateurs.

Dans ce cadre, il nous faut une fois encore rappeler le bon sens : augmenter les dettes publiques, oui, mais pas seulement pour éteindre l’incendie, cela doit aussi favoriser l’investissement, l’innovation et, in fine, le retour de la croissance forte.

La solution existe donc, reste à savoir si, pour une fois, nos dirigeants auront l’intelligence de la mettre en musique.

Marc Touati