Va-t-on assister à une reprise en K ?

C’est la question fondamentale qui nous taraude toutes et tous : Comment vont évoluer les économies de la planète et notamment celle de la France au cours des prochains trimestres ?

Après la récession historique engendrée par la pandémie de Covid19 au premier semestre 2020, les spéculations vont toujours bon train sur la suite des évènements : va-t-on assister à une reprise en V, en « Nike », en W, en N inversé (И, appelé également le « i-huitaine » dans l’alphabet cyrillique) ou encore en K ?

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Avant d’aller plus loin, détaillons rapidement ces différents types de reprises.

La reprise en V est évidemment le cas idéal : celui où, après la pandémie et le confinement, l’économie redémarre comme une fusée, et efface en quelques trimestres, voire quelques mois, les affres économiques engendrées par le Covid19. Ne rêvons-pas : ce cas de figure sera rare.

Deuxième possibilité : la reprise sous la forme du logo « Nike », c’est-à-dire qu’après avoir plongé, l’activité redémarre progressivement, permettant au PIB de retrouver son niveau d’avant-crise au bout de deux à trois ans maximum. Ce scénario est évidemment toujours très favorable, mais malheureusement, il ne sera réservé qu’à quelques bons élèves, dont la France risque de ne pas faire partie.

Le troisième type de reprise est le pire : le fameux L, c’est-à-dire qu’après la récession, l’économie ne redémarre jamais. Fort heureusement, ce cas ne s’est pas produit, mais ne vendons pas la peau de l’ours avant de l’avoir tuée…

D’où le risque d’un quatrième cas de figure : le N inversé : И. Il signifie qu’après avoir dégringolé puis redémarré au gré d’un rebond technique lié à la correction de l’effondrement passé, l’activité rechute drastiquement, plongeant l’économie dans une nouvelle récession au moins aussi dramatique que la première. Si, pour le moment, ce scénario ne s’est produit nulle part, il va de soi qu’il finirait forcément par arriver en cas de nouveau confinement général.

En attendant, le cas le plus répandu et aussi le plus probable reste la reprise en W, c’est-à-dire qu’après avoir plongé, l’activité redémarre temporairement pour ensuite rechuter, mais avant de finir tout de même par remonter la pente.

Enfin, il existe une dernière catégorie de reprise, dont la probabilité de réalisation est également très élevée, en l’occurrence, la reprise en K, c’est-à-dire avec des pays et des secteurs d’activité qui sortiront renforcés de la crise (le haut du K) et d’autres qui vont malheureusement s’effondrer durablement (le bas du K).

Cette reprise en K est d’autant plus probable que le K était déjà présent avant la pandémie, mais aussi pendant la crise sanitaire.

En effet, n’oublions pas qu’au quatrième trimestre 2019, deux pays occidentaux n’avaient toujours pas retrouvé leur niveau de PIB d’avant 2008. En l’occurrence, la Grèce et l’Italie, dont les PIB réels (c’est-à-dire hors inflation) accusaient alors une baisse de respectivement 23,7 % et 5 % par rapport à leur niveau d’avant crise des subprimes.

Quant à la France, avec un PIB réel de seulement 10,5 % supérieur à celui du premier trimestre 2008, elle n’a pas non plus de quoi pavoiser puisque cette piètre performance fait état d’une croissance annuelle moyenne de seulement 0,9 %.

L’Allemagne fait légèrement mieux, avec une progression de 13,1 % et une augmentation annuelle moyenne de 1,1 %.

En revanche, les Etats-Unis réalisent une performance bien plus confortable, avec une hausse du PIB de 22,2 % et une progression annuelle moyenne de 1,9 %.

Autrement dit, alors que la crise des subprimes et la faillite de Lehman Brothers viennent des Etats-Unis, l’Oncle Sam a bien moins souffert que la zone euro.

Le K était déjà là avant la pandémie, avec les Etats-Unis loin devant, la zone euro loin derrière.

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Sources : BEA, Eurostat, INSEE, Destatis, ACDEFI

Dans ce cadre, à la fin 2019, l’économie américaine était bien mieux armée que ses homologues de la zone euro pour affronter toute nouvelle crise.

Et malheureusement, cette distorsion s’est prolongée et même aggravée avec la pandémie. En effet, sur l’ensemble du premier semestre 2020, c’est aussi le PIB américain qui a subi la moins forte baisse comparativement à ses compétiteurs du monde développé. A savoir – 10,1 %, contre – 15,1 % pour l’ensemble de la zone euro, qui est, une fois encore, sauvée sur le fil par l’Allemagne, dont le PIB n’a reculé « que » de 11,5 %.

Bien loin de ce « moindre mal », le PIB s’est effondré de 22,7 % en Espagne, 18,9 % en France et 17,6 % en Italie. Compte tenu de ces effondrements, le niveau du PIB atteint à la fin du premier semestre 2020 est à un plus bas depuis le premier trimestre 2002 en Espagne, depuis le deuxième trimestre 2002 en France et depuis le troisième trimestre 1993 en Italie. C’est dire l’ampleur du marasme qui prévaut dans ces trois économies, mais aussi dans de très nombreux pays de la zone euro.

 

De fortes distorsions s’imposent aussi pendant la récession.

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Sources : BEA, Eurostat, INSEE, Destatis, ACDEFI

Pour ne rien arranger, de grandes disparités sont également en train de s’imposer pour la reprise qui semblait se dessiner au second semestre 2020. Dans cette reprise en K, il y a ainsi certains bons élèves qui se distinguent et figurent dans le haut du K. A commencer par la Chine, qui est, jusqu’à présent le seul pays à connaître une vraie reprise en V.

La Chine, grande gagnante de la pandémie.

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Sources : NBSC, Caixin, ACDEFI

En effet, non seulement le PIB chinois a retrouvé son niveau de la fin 2019 dès le deuxième trimestre 2020, mais, en plus, les indicateurs Caixin des directeurs d’achat montrent que cette reprise va durer. D’ici le début 2021, le glissement annuel du PIB chinois devrait ainsi retrouver des niveaux de 6 à 7 %. C’est à la fois incroyable et triste pour le reste du monde. Car si la pandémie est venue de Chine, c’est cette dernière qui en pâtit le moins.

Autre exemple de reprise en V, mais qui reste à confirmer : celle de l’économie indienne. Après avoir chuté de 23 % sur le seul deuxième trimestre 2020, cette dernière semble effectivement sur le point de rebondir fortement et durablement au second semestre 2020. C’est du moins ce qu’indique le sursaut des indicateurs Nikkei des directeurs d’achat indiens en septembre à 56,8 dans l’industrie (un plus haut depuis mai 2011), 49,8 dans les services et 54,6 pour l’ensemble des secteurs d’activité.

Dans la mesure où les autorités indiennes viennent de confirmer qu’il n’y aurait plus de nouveau confinement, le glissement annuel du PIB indien pourrait bien retrouver les 5 % d’ici le début 2021.

La reprise indienne s’annonce très vigoureuse.

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Sources : Mospi, Nikkei, ACDEFI

Du côté des pays développés, certains pays devraient également faire partie du « haut du K », en enregistrant une reprise progressive, dite en « Nike ».

Il s’agira notamment des Etats-Unis et de l’Allemagne, voire du Royaume-Uni, qui devra néanmoins encore bien négocier le virage du Brexit.

Le cas échéant, la Perfide Albion pourrait bien renouer avec la croissance durable dès le courant de l’année 2021.

Un peu plus assurée de faire partie des bons élèves (sauf en cas de nouvelle crise de la zone euro, hypothèse malheureusement envisageable), l’Allemagne a continué de surprendre par la bonne tenue des ses indicateurs des directeurs d’achat en septembre, qui ont même été revus en hausse par rapport à leur première estimation.

Avec des niveaux de 56,4 dans l’industrie, 50,6 dans les services et 54,7 pour l’ensemble des secteurs, ces indicateurs avancés du glissement annuel du PIB allemand indiquent que ce dernier pourrait sortir de la zone rouge (c’est-à-dire redevenir positif) dès la fin 2020.

Aux antipodes de ces bonnes performances, de nombreux pays de la zone euro ont malheureusement renoué dès septembre avec la stagnation ou la baisse de l’activité. D’ores et déjà, ils s’inscrivent dans le bas du K.

L’indice composite de l’ensemble de la zone euro est ainsi retombé à 50,4, tout comme celui de l’Italie, confirmant qu’après avoir déjà beaucoup souffert au cours des 12 dernières années, tant l’Italie que la zone euro dans son ensemble connaîtront une reprise très molle.

Mais il y a pire : pour le deuxième mois consécutif, l’indice composite des directeurs d’achat espagnols est resté sous la barre des 50, tombant même à 44,3 en septembre.

La rechute de l’Espagne et de la France en phase de récession est plus qu’inquiétante.

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Sources : Markit, ACDEFI

Un peu moins grave, mais néanmoins très préoccupante, la baisse de l’indice composite des directeurs d’achat français à 48,5 en septembre indique qu’après un rebond technique en juin-juillet, l’économie hexagonale est déjà en train de rechuter. L’indice PMI dans les services est même tombé à 47,5 en septembre. Et ce alors que les nouvelles mesures de restrictions n’étaient pas encore entrées en vigueur.

 

Déjà en grand danger, l’économie française ne se remettrait pas d’un nouveau confinement.

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Sources : INSEE, Markit, ACDEFI

Autrement dit, si un nouveau confinement est décidé, il est clair que la France replongera rapidement dans une récession dramatique, dont il sera difficile et laborieux de sortir.

Il faut donc arrêter d’opposer la santé et l’économie. Les deux vont structurellement dans le même sens. S’il est clair qu’une population en danger sanitaire nuit à la bonne marche de l’économie, il est tout aussi vrai qu’une économie en récession finira par nuire à la bonne santé de la population.

Plutôt que de dilapider les milliards sans but précis, il serait donc bon d’en consacrer une partie à la recherche médicale pour lutter contre le covid19 et notamment pour élaborer et diffuser largement des tests immédiats fiables qui permettront aux citoyens de retrouver une vie relativement normale et notamment sans risque de contagion.

Autrement dit, vivement que nos dirigeants cessent de tergiverser et prennent enfin des bonnes décisions à la fois pour la santé physique, psychologique et économique de la population. Sinon, nous risquons de rester longtemps dans la mauvaise partie du K…

Marc Touati