Quel monde pour demain ?

Oh la la la vie en rose                                                         Oh la la la vie en vert

Le rose qu’on nous propose                                               Le vert de la misère

D’avoir les quantités d’choses                                      De vivre comme des vers de terre

Qui donnent envie d’autre chose                                 Plus de vacances à la mer

Aïe, on nous fait croire                                                   Aïe, on nous fait croire

Que le bonheur c’est d’avoir                                          Que le bonheur c’est d’rien avoir

De l’avoir plein nos armoires                                        De vivre dans le désespoir

Dérisions de nous dérisoires car                                  Dérisions de nous dérisoires car

Foule sentimentale…                                                      Foule sentimentale…

Ah ! Qu’il a bien changé le monde depuis cette fameuse balade d’Alain Souchon de 1993, que je me suis permis de parodier (on s’amuse comme on peut quand on est économiste), au regard de la société que certains voudraient créer pour les décennies à venir. Bien entendu, la surconsommation à outrance, la dictature du paraître et de l’éphémère, sans oublier les exagérations et exubérances en tous genres sont des fléaux individuels et sociétaux. Pour autant, est-ce bien raisonnable de passer d’un extrême à l’autre ?

Et ce, d’autant que la pandémie de coronavirus n’est malheureusement pas terminée, tout comme ses conséquences économiques et sociales négatives. A ce sujet, les discours dominants sont tombés dans une sorte de schizophrénie incroyable, puisque d’un côté, les extrémistes verts et les ultras de la décroissance (qui sont d’ailleurs souvent les mêmes) nous disent qu’il faut arrêter de consommer, mais de l’autre, on nous dit que pour relancer l’économie française, il faut que les ménages utilisent leur épargne accumulée pendant le confinement (grâce notamment à la générosité de l’Etat qui a gonflé l’épargne des Français d’environ 75 milliards d’euros) pour consommer plus. Les Shadocks n’auraient pas fait mieux ! De même, on n’arrête pas de nous sermonner pour ne plus prendre l’avion et l’on se plaint lorsque les compagnies aériennes et les constructeurs aéronautiques licencient… A croire que certains, voire beaucoup, n’ont toujours pas compris que la réalité était très éloignée du monde des Bisounours…

Aussi, ne nous leurrons pas : si le monde à venir consiste à faire de la décroissance une raison d’être, il est voué à l’échec. Et pour cause : comme nous l’a montré le triste épisode du confinement et comme va le confirmer la suite des évènements internationaux, la décroissance se traduit immanquablement par des faillites d’entreprises, des destructions d’emplois, du chômage de masse, une augmentation de la pauvreté, voire de la malnutrition, en particulier dans les pays émergents (et pas seulement), sans oublier une aggravation des inégalités. Or, si les populations de la planète sont appauvries, elles n’auront guère le loisir de se préoccuper des questions écologiques. En d’autres termes : trop d’écologie tue l’écologie…

De plus, ne l’oublions jamais : l’écologie n’a de sens que si elle se traduit par une amélioration des conditions de vie, voire du bonheur des citoyens de la planète. Si la mondialisation est stoppée, le rattrapage des pays émergents, et a fortiori des pays en voie de développement, ne se produira jamais. Ce qui aggravera la pauvreté dans le monde et les inégalités.

En fait, l’écologie ne doit pas s’opposer à l’économie et à la croissance. Bien au contraire. L’écologie doit passer par l’économie au travers des innovations et des progrès technologiques. Avouons qu’un monde sans avion, sans usine, sans voiture, sans consommation, sans investissement… serait d’une tristesse infinie et surtout ne serait pas viable. Car, même si la nature est formidable, vivre d’amour et d’eau fraîche n’existe qu’au cinéma, et encore…

Même s’il est humain et agréable de rêver, il faut aussi de temps en temps redescendre sur terre. Encore mieux, le rêve peut aussi être compatible avec la création de richesses et d’emplois. Plutôt que de rêver à un monde sans avion et sans voiture, il serait ainsi plus efficace de rêver à un monde avec des voitures et des avions propres (électriques ou hydrogènes), des usines peu ou pas polluantes, un développement des nouvelles technologies de l’énergie et de l’agro-alimentaire, mais aussi avec des services à la personne plus performants…

C’est en cela que le « Reset » engendré par la pandémie de coronavirus ne doit pas devenir une destruction complète du monde passé. Non, cette remise à zéro doit permettre un « upgrade », c’est-à-dire une amélioration des conditions économiques, écologiques, financières, sociales et sociétales.

Certes, le capitalisme est loin d’être parfait, mais c’est le seul système qui fonctionne. Le détruire reviendrait à plonger le monde dans un chaos inextricable. Il faut donc repenser notre monde et l’améliorer grâce aux progrès technologiques. Ce qui suppose également une prise de conscience générale et une amélioration de la culture économique des citoyens du monde et en particulier de ceux de France qui continuent de confondre économie et « lutte des classes ». Ne nous trompons donc pas d’ennemi : le danger ce n’est pas la croissance, mais la destruction et le chômage.

Être sentimental et se permettre d’avoir des préoccupations écologiques sont des luxes de pays riches et en croissance. Si la pauvreté et l’instabilité sociétale s’aggravent, celles-ci seront malheureusement vite oubliées.

Marc Touati