Lorsqu’il y a quelques mois, j’annonçais, notamment dans ces mêmes colonnes, que l’inflation allait nettement remonter en 2021, on me riait souvent au nez. Le consensus bien-pensant soutenait qu’au contraire l’inflation avait définitivement disparu et qu’il était donc indispensable de continuer à augmenter massivement les dépenses publiques et de faire tourner la « planche à billets » des banques centrales de plus en plus fort.
Seulement voilà, bien loin de cette pensée unique, digne de la Pravda, la réalité est bien différente. En effet, aujourd’hui, il ne s’agit plus d’une prévision, mais bien d’un fait avéré : l’inflation flambe !
En avril, elle a ainsi atteint 4,2 % aux États-Unis, un plus haut depuis septembre 2008. En Europe, la facture est pour le moment un peu mois « salée », avec des glissements annuels des prix à la consommation de 2 % en Allemagne et de 1,6 % pour l’ensemble de la zone euro. De même, avec un niveau de 1,2 % en avril, la France apparaît, pour le moment, épargnée par ce mouvement de reflation. Mais, ne rêvons pas : elle rejoindra rapidement le peloton.
En effet, la remontée de l’inflation est durable. Et pour cause : les cours des matières premières ne cessent d’augmenter et vont produire des effets tenaces sur les prix à la consommation. Les cours du cuivre atteignent par exemple des sommets historiques, les cours du blé des plus hauts depuis 2012. Au total, l’indice CRB de l’ensemble des matières premières vient de franchir un plafond depuis juillet 2015. Il enregistre ainsi une poussée de 92 % par rapport à ses planchers d’avril 2020. En outre, l’indice Harpex synthétisant le coût du fret maritime pour les porte-conteneurs n’est plus qu’à quelques marches de son sommet historique de 2005.
Autant d’évolutions qui ne sont pas encore intégrées dans les derniers indices des prix à la production et à la consommation à travers la planète et qui montrent que ces derniers vont encore fortement augmenter au cours des prochains mois. Autrement dit, la reflation n’est pas un épiphénomène, mais une tendance durable.
Encore plus dangereux, les tensions ne se limitent pas aux prix des biens énergétiques et alimentaires, mais commencent à se généraliser à l’ensemble de l’économie. Aux Etats-Unis, le glissement annuel des prix à la consommation hors énergie et produits alimentaires (également appelé core CPI) a atteint 3 % en avril, un sommet depuis décembre 1995. Une époque où les risques inflationnistes étaient encore prégnants et imposaient aux banques centrales de mener une politique monétaire précautionneuse, donc très loin de la gabegie des dernières années.
Même si les risques d’une hyper-inflation et, par là même d’un fort resserrement des politiques monétaires, demeurent faibles, le retour d’une inflation durablement supérieure à 3 % à travers le monde aura immanquablement des conséquences majeures tant pour les marchés financiers que pour l’épargne au sens large.
Tout d’abord, en dépit de leur calme de façade, les banques centrales seront contraintes d’abandonner leurs « planches à billets » pléthoriques et peut-être même de remonter légèrement leurs taux directeurs, notamment aux Etats-Unis. Ce resserrement, complètement obéré par les investisseurs pendant des mois, se traduira forcément par la poursuite de la remontée des taux d’intérêt des obligations d’Etat, qui a d’ailleurs déjà bien commencé, augurant par-là même d’un krach obligataire certainement contenu mais notable.
Dans le sillage de cette tension, les taux d’intérêt des crédits aux entreprises et aux ménages augmenteront également nettement, d’autant que l’ampleur des dettes publiques et privées accroîtra le coût du risque.
Ces mouvements de taux d’intérêt limiteront donc la reprise économique, en particulier dans la zone euro. Ils affaibliront également les marchés boursiers et participeront à dégonfler les bulles immobilières, notamment en France.
Autrement dit, un triple krach (obligataire, boursier et immobilier) est bien en train de se mettre en place.
Certes, l’augmentation de l’inflation a aussi un avantage, dans la mesure où elle diminue le coût réel de la dette. Cependant, par ce même billet, elle réduit également la valeur de l’épargne.
En outre, la baisse des marchés boursiers, obligataires et immobiliers suscitée par l’augmentation de l’inflation pénalisera les placements financiers au sens large.
Encore plus grave, si, comme nous l’avons vu plus haut, l’inflation limite l’ampleur de la reprise et que, ce faisant, la croissance ne redémarre pas durablement et fortement, les Etats connaîtront de plus en plus de difficultés pour financer leurs dépenses publiques pléthoriques et la flambée de la dette qui va avec. Dans ce cadre, ils pourraient être tentés d’augmenter encore les impôts et notamment sur l’épargne des particuliers.
L’épargnant pourra cependant compter sur deux réconforts. D’une part, les cours de l’or resteront élevés, le métal jaune constituant le rempart idéal contre les risques inflationnistes.
D’autre part, compte tenu de l’augmentation des taux d’intérêt obligataires, voire monétaires, les taux de rendement de l’épargne sans risque et notamment des comptes sur livret et des fonds euros de l’assurance-vie augmenteront progressivement.
Ce n’est pas la panacée, mais face à la résurgence de l’inflation, on se console comme on peut…
Marc Touati