La France est vraiment un pays formidable : en 2020, en dépit d’une pandémie historique et de la plus forte récession subie dans l’Hexagone depuis la seconde guerre mondiale, elle se paie le luxe d’afficher des résultats particulièrement détonants dans de nombreux domaines.
Tout d’abord, aussi miraculeux que cela puisse paraître, le nombre de faillites d’entreprises s’est effondré de 38 % en 2020. Seules 32 184 faillites ont, en effet, été enregistrées l’an dernier, selon le cabinet Altares, soit 20 000 de moins qu’en 2019. Encore plus fort : pour trouver des niveaux aussi bas, il faut remonter à 1987.
Ce paradoxe entre une chute du PIB français proche de 10 % en moyenne en 2020 et la faiblesse des faillites d’entreprises s’explique bien entendu par l’arrosoir d’aides déployé sans compter par l’Etat français : chômage partiel pris en charge par ce dernier, report des échéances sociales et fiscales, report des loyers et bien entendu les fameux prêts garantis par l’État, sans oublier la « planche à billets » de la BCE qui a permis de maintenir les taux d’intérêt des crédits à des niveaux excessivement bas.
Si le recul des faillites d’entreprises est évidemment une bonne nouvelle dans l’absolu, le « miracle » de 2020 pèche néanmoins par au moins deux voies. Premièrement, dans la mesure où l’Etat a « arrosé » le plus largement possible et sans discernement, il a artificiellement maintenu en vie des entreprises dites « zombies », c’est-à-dire en perte permanente et qui restent en vie grâce aux perfusions publiques et au non-paiement de leurs fournisseurs. Leur multiplication est donc loin d’être une bonne nouvelle dans la mesure où cela risque d’entraîner d’autres entreprises actuellement saines dans la tourmente, tout en limitant l’ampleur de la reprise à venir. D’où notre deuxièmement, car l’Etat ayant dépensé sans compter et sans regarder pour maintenir en vie des entreprises déjà mortes, il s’est de facto privé de moyens suffisants pour permettre d’assurer un fort rebond de l’activité lorsque la pandémie aura été contrôlée.
Le problème est que cette gabegie bien peu efficace a engendré une flambée de la dette publique. Certes, celle-ci ne se voit pas aujourd’hui grâce à la faiblesse des taux d’intérêt des obligations d’Etat. Là aussi, encore un miracle rendu possible par l’action excessivement accommodante de la BCE, mais qui finira par susciter une remontée des taux d’intérêt d’ici la fin 2021, compromettant une fois encore la reprise économique à venir.
De quoi rappeler que la vision courtermiste et peu pragmatique de nos dirigeants politiques et monétaires finira par coûter cher. En fait, à l’instar du Tartuffe de Molière qui feignait de ne pas voir la réalité pour mieux servir sa cause et ses vices, la plupart des dirigeants politiques français mais aussi de nombreux économistes et observateurs bien-pensants se sont complus dans le dogmatisme et l’aveuglement.
Autre paradoxe ou miracle a priori favorable à court terme mais très dangereux à moyen terme, le gonflement de la bulle immobilière. En effet, en dépit de la pandémie et de la plus grave récession que la France ait connu depuis 80 ans, les prix des logements ont encore flambé en 2020 : + 6,5 % selon le baromètre BPI-SeLoger, soit une hausse encore plus forte qu’en 2019 (+ 4,8 %) et qui est même la plus élevée depuis 2010.
Les niveaux actuellement atteints par les prix du mètre carré dans l’Hexagone défient ainsi l’entendement : 10 683 euros en moyenne à Paris (avec des pointes pouvant monter à plus de 35 000 euros !), 6 876 euros à Montreuil (qui, grâce à une flambée des prix de 11 % en 2020, devient la troisième ville la plus chère de France, derrière Boulogne-Billancourt), 5 652 euros à Lyon (qui est désormais la ville où l’écart entre la flambée des prix immobiliers et les revenus des ménages est le plus élevé de France) et une moyenne nationale de 3 553 euros.
Déjà particulièrement conséquent depuis trois ans, le décalage entre la situation économique et l’évolution des prix de l’immobilier devient donc de plus en plus extravagant.
Et ce, là aussi, principalement grâce ou à cause de la « planche à billets » de la BCE qui a permis de maintenir les taux d’intérêt des crédits sur des plus bas historiques. De la sorte, les ménages et les investisseurs ont pu continuer à s’endetter pour acheter malgré la crise et alimenter par là même la bulle immobilière. Seulement voilà : les arbres ne montent pas au ciel et plus les prix divergent de la réalité économique, plus la correction sera forte. Selon nos estimations, un retour à la normale se traduirait par une baisse de 10 % à 15 % des prix immobiliers à travers la France. Une correction qui serait d’ailleurs salutaire, ne serait-ce que pour redonner de la solvabilité à une demande fragile.
En effet, compte tenu des niveaux très élevés des prix immobiliers, de très nombreux Français ne peuvent pas accéder à la propriété. Il s’agit notamment des jeunes de 20 à 40 ans qui, souvent, n’ont d’ailleurs jamais été propriétaires. C’est malheureux à dire, mais à cause de prix trop élevés, ces jeunes et moins jeunes sont exclus du marché immobilier. Si les prix baissent, tous ces citoyens redeviendront solvables et pourront donc s’endetter pour acheter à des prix plus raisonnables. Ensuite, une fois la correction passée, les prix remonteront progressivement. L’immobilier restera donc un placement porteur à moyen terme. Il a simplement besoin d’un « Reset » pour pouvoir repartir sur des bases plus saines.
En conclusion, il ne sert à rien de jouer au Tartuffe et de travestir la réalité en employant les grands moyens, de manière à engager la France dans une fuite en avant particulièrement dangereuse qui consiste à masquer la crise actuelle au détriment de la reprise à venir. Comme dans la comédie de Molière, le Tartuffe est toujours démasqué et la vérité finit forcément par triompher.
Marc Touati