A force d’entendre parler d’augmentation de la dette publique, le plus grand nombre a fini par s’y habituer, depuis les investisseurs chevronnés jusqu’au grand public, en passant par les dirigeants politiques et monétaires de la planète. En France, le poids de la dette publique dans le PIB est ainsi passé de 20 % en 1980 à 60 % à la fin des années 1990, puis 80 % en 2009 et enfin 114 % au deuxième trimestre 2020 et quasiment personne ne s’en émeut. Encore mieux ou plutôt encore pire, on veut de plus en plus nous faire croire que la dette publique n’est absolument pas dangereuse, voire qu’il ne faudra pas la rembourser. Quel tissu de mensonges et surtout quel manque de réalisme et de responsabilité !
Pourtant, le montant de la dette publique française en monnaie sonnante et trébuchante a de quoi donner le tournis : 2 638 milliards d’euros à la fin du deuxième trimestre 2020. Encore plus troublant et plus préoccupant, en 2020, pour la première fois de son Histoire, la France est devenue le premier contributeur de la dette publique de l’ensemble de la zone euro. La part de la dette publique française dans cette dernière est désormais de 24,1 %, contre 23,1 % pour l’ancien éternel numéro un, qui vient donc de devenir numéro 2, en l’occurrence l’Italie et 20,8 % pour l’Allemagne.
Le plus triste est qu’en 2000, ces poids dans la dette publique totale de la zone euro étaient de 27,8 % pour l’Italie, 25,9 % pour l’Allemagne et 17,5 % pour la France. En 2010, ils étaient de respectivement 24,6 %, 23,7 % et 21,7 %.
Autrement dit, pendant que les Allemands et les Italiens ont réduit notablement leur contribution à l’augmentation de la dette publique de la zone euro, la France a fait le chemin inverse. En devenant le premier « fournisseur » de dette publique de l’Union Economique et Monétaire, elle s’est automatiquement fragilisée tant d’un point de vue économique que politique, tout en perdant fortement en crédibilité. Comment la France pourrait effectivement donner des leçons de bonne gestion économique et financière, alors que c’est elle qui tire le plus la dette publique eurolandaise vers le haut, affaiblissant par là même l’ensemble de l’UEM ?
Dans ce cadre, il ne faut pas rêver : lorsque la BCE réduira et a fortiori arrêtera sa « planche à billets » démentielle, la France subira une forte augmentation des taux d’intérêt de ses obligations d’Etat. Certes, à l’instar de toutes ses consœurs à travers le monde, la BCE devrait maintenir ses taux directeurs vers 0 % et continuer d’injecter des liquidités abondantes et gratuites, contenant par là même l’ampleur de la remontée des taux d’intérêt obligataires. Mais là aussi, le caractère infini de cette prodigalité commence à susciter des doutes. En effet, à l’été dernier, la Cour de Karlsruhe, l’équivalent allemand de notre Conseil constitutionnel, a jeté un pavé colossal dans la mare des marchés obligataires. Et pour cause : elle a tout simplement déclaré que le programme d’aide de la BCE violait, en partie, la Constitution allemande.
Dès lors, même si la BCE et Angela Merkel ont réussi à calmer le jeu temporairement, il est clair que qu’à force d’utiliser une « planche à billets » pléthorique mais dans le vide (c’est-à-dire sans générer une croissance forte et durable), le rachat des dettes souveraines par la BCE finira forcément par devenir illégal en Allemagne. Et ce, a fortiori lorsqu’Angela Merkel ne sera plus Chancelière, c’est-à-dire dès l’automne 2021. Cela mettra fin de facto à la distribution sans limite de « morphine » de la part de la BCE. Au-delà de la déflagration que cela produira à court terme sur les marchés obligataires et financiers au sens large, cela relancera immanquablement la crise de la dette publique, qui, ne l’oublions pas, n’est qu’endormie depuis 2015 et n’attend qu’un prétexte pour se réveiller avec pertes et fracas.
Le cas échéant, en plus d’engendrer un krach obligataire et boursier international, ce scénario viendra également réactiver la crise existentielle d’une zone euro qui est toujours aux abois, en dépit de certaines apparences. Ce qui alimentera de nouveau la hausse des taux d’intérêt obligataires et relancera la récession.
Même si j’espère évidemment que cette triste perspective sera évitée, il faut se rendre à l’évidence : l’ère des taux d’intérêt excessivement bas va bientôt se terminer. C’est d’ailleurs aussi à cela que doit servir un « Reset », en l’occurrence, retrouver le bon sens et la rationalité. Souhaitons simplement que ce retour vers une plus grande normalité incitera les Etats à améliorer leur fonctionnement et à cesser leur « fuite en avant » bien pratique à court terme, mais forcément destructrice au bout du compte, comme nous risquons malheureusement de le comprendre au cours des prochaines années.
Marc Touati