Les annonces de l’élaboration d’un vaccin anti-Covid19 « efficace à 90 % » par le laboratoire Pfizer et « à 95 % » par Moderna ont suscité un émoi mondial exceptionnel, en particulier sur les marchés boursiers. Sans vraiment chercher à savoir si ces vaccins étaient vraiment viables et opérationnels rapidement, la planète a évidemment sauté sur l’occasion pour retrouver enfin l’espoir. Il faut dire qu’après 10 mois de pandémie, plusieurs confinements un peu partout dans le monde, près de 1,3 million de morts officiels (c’est-à-dire en supposant que la Covid19 n’a tué que 4 634 personnes en Chine), un nombre incalculable de faillites d’entreprises, de destructions d’emplois et de suicides, cette pandémie dramatique est devenue insupportable.
Dès lors, il faut avouer que cela met du baume au cœur d’entrevoir un potentiel bout du tunnel et d’enfin penser à l’après-pandémie. Rêvons un peu : au printemps 2021, la Covid19 aura définitivement disparu, les vaccins seront fiables et distribués sans difficulté et la planète pourra enfin retrouver une activité normale.
Finis les confinements, les masques, les tests PCR, les attestations de sortie, les célébrations limitées à 6 personnes, la fermeture des boutiques et des restaurants. Vive le retour des déplacements à l’air libre et sans contrainte, des voyages en avion, des séances de cinéma, des pièces de théâtre, des spectacles, mais aussi du travail en équipe et en présentiel, des conférences à plus de 20 personnes, des repas insouciants dans les restaurants, des banquets de mariage, bref de la vie…
Waouh ! Que cela fait du bien de rêver à un monde normal ! Pour autant, n’oublions pas que ce retour à la normalité se traduira également par la fin des mesures exceptionnelles qui étaient censées nous faire mieux accepter la pandémie et les confinements, et notamment la valse des milliards des Etats, elle-même financée par les « planches à billets » des banques centrales.
Autrement dit, la fin de la pandémie, que nous souhaitons de tout cœur, signera aussi l’arrêt, certainement progressif, de toutes les aides publiques et des abondances de liquidités des banques centrales à travers le monde, et notamment des deux côtés de l’Atlantique.
Le problème est que la pandémie a laissé des traces indélébiles. Et notamment sur le front des dettes publiques. Ainsi, entre la fin 2019 et la fin 2020, le poids de ces dernières dans les PIB de la quasi-totalité des pays du globe a fait un grand bond en avant : de 100 % à 115 % aux Etats-Unis, de 84 % à 110 % pour la zone euro, de 100 % à 125 % en France, de 135 % à 170 % en Italie ou encore de 177 % à 205 % en Grèce.
En temps normal, cette flambée des dettes publiques aurait dû se traduire par une très forte augmentation des taux d’intérêt des obligations d’Etat. Mais, dans la mesure où les dettes publiques ont été financées par la « planche à billets » pléthorique des banques centrales, non seulement cela n’a pas été le cas, mais en plus ces taux d’intérêt ont baissé.
A partir du moment où la pandémie disparaîtra (encore une fois, espérons-le, le plus tôt possible) et que les banques centrales devront stopper leurs « planches à billets », les obligations d’Etat vont mécaniquement retrouver leur « juste prix ». Or, avec des dettes publiques supérieures à 100 % du PIB, les taux d’intérêt obligataires risquent d’augmenter fortement, ce qui se traduira par une tension des conditions de crédits et freinera inévitablement l’activité économique.
De même, si les banques centrales ne sont plus là pour éponger les déficits publics, certains Etats risquent d’être contraints d’augmenter les impôts, ce qui affectera négativement l’activité.
Autrement dit, au moment où le monde sortira de sa plus grave crise économique depuis la seconde guerre mondiale, les erreurs du passé empêcheront de nombreux pays de connaître une forte repise.
En outre, la fin des liquidités gratuites, la remontée des taux d’intérêt obligataires et une reprise économique mi-figue mi-raisin ne manqueront pas de peser sur les marchés boursiers, qui, eux aussi, retrouveront un certain « juste prix », c’est-à-dire des niveaux en phase avec la réalité économique.
Et ce, d’autant qu’ils ne pourront plus bénéficier de la bulle des GAFAM et du numérique au sens large. En effet, portés au pinacle par les largesses des banques centrales et par la pandémie qui a notamment développé le télétravail et favorisé les échanges virtuels et non-présentiels, les entreprises du numérique subiront un « effet boomerang » massif lors de la fin de la Covid19, a fortiori si les Etats décident d’accroître la fiscalité qui pèse sur ce type de sociétés.
Or, dans la mesure où la bulle du numérique a été le fer de lance de la bulle boursière de ces dernières années, son éclatement produira inévitablement une forte déprime boursière, qui ne pourra pas être compensée par la reprise technique des valeurs traditionnelles, qui ne connaîtront qu’une croissance modérée, comme nous l’avons vu plus haut.
Enfin, même vaincue, la pandémie continuera de peser négativement sur le niveau de la mondialisation et de la croissance mondiale. Reste à savoir si nous saurons en tirer les conséquences pour affaiblir la Chine, où le Coronavirus a commencé et qui reste le pays qui en a le moins souffert. Malheureusement, à écouter le programme de Joe Biden, rien n’est moins sûr.
Autrement dit, oui, vivement la fin de la pandémie, mais, non, ne croyons pas que la reprise sera facile. Restons donc vigilants et n’oublions jamais que les crises sont toujours des phases d’opportunités, mais uniquement pour ceux qui savent les affronter avec réalisme et responsabilité.
Marc Touati
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