Sans surprise, après avoir déjà fortement augmenté au premier trimestre 2020, la dette publique française a explosé au deuxième trimestre. Au cours de ce dernier, elle a ainsi atteint un nouveau sommet historique de 2 638,3 milliards d’euros. Elle représente désormais 114,1 % du PIB français, soit 12,7 points de plus qu’au premier trimestre 2020 et 49,6 points de plus qu’en 2007. A l’évidence, ça décoiffe…
Et malheureusement, ce n’est qu’un début, car d’ici la fin 2020, elle atteindra certainement la barre des 125 % du PIB. Le plus fou c’est qu’en dépit de ces niveaux stratosphériques, les taux d’intérêt des obligations de l’Etat français restent bas et même négatifs jusqu’aux échéances de dix ans. Face à cette anomalie, de plus en plus de voix continuent de s’élever pour appeler à continuer d’augmenter la dette publique. L’argument est simple : puisque s’endetter ne coûte rien, autant en profiter et advienne que pourra ! D’ailleurs, le Japon n’est-il pas à près de 240 % de dette publique / PIB et personne ne s’en plaint !
A priori imparable, ce raisonnement oublie cependant l’essentiel : ce n’est pas parce que les taux d’intérêt sont bas que la dette baisse. Autrement dit, même si elle ne coûte pas cher, il faudra bien finir par la rembourser. Un argument de bon sens qui est pourtant de plus en plus oublié tant l’aveuglement collectif autour de la dette publique est grand.
Certes, compte tenu de l’ampleur dramatique de la pandémie et de la dépression économique actuelle (qui est malheureusement loin d’être terminée, comme en témoignent la baisse des indicateurs avancés de septembre), cette débauche de moyens semble justifiée : lorsque la maison brûle, il faut tout faire pour éteindre l’incendie. Pour autant, face à cette valse des milliards, ou plutôt des trilliards, une question à la fois simple et lourde de conséquences s’impose : qui va payer ?
En fait, il existe quatre réponses possibles, qui peuvent d’ailleurs se cumuler. La meilleure consisterait en un retour rapide de la croissance forte. En effet, n’oublions pas qu’une dette publique élevée n’est pas forcément catastrophique, si et seulement si elle est soutenable, c’est-à-dire qu’elle génère une croissance suffisamment forte pour payer au moins les échéances de la dette. Le problème est que pour le moment et dans le contexte actuel de récession, rares sont les pays qui paraissent susceptibles d’y arriver. Pour mémoire, rappelons que la France n’y est jamais parvenue depuis 2007.
D’où une deuxième réponse palliative : l’augmentation de l’inflation. L’Histoire a effectivement montré que, très souvent, une forte inflation permettait de payer la dette de façon quasiment indolore. Il y a néanmoins deux problèmes. D’une part, on ne peut pas décréter l’inflation. D’autre part, si l’inflation augmente trop fortement alors que la récession et le chômage élevé persistent, les revenus ne pourront suivre, ce qui aggravera la récession, donc le chômage, les déficits et la dette…
C’est pourquoi, certains Etats pourraient choisir une troisième solution, qui a d’ailleurs quasiment toujours été utilisée, en particulier en France, en l’occurrence l’augmentation des impôts. Le premier ministre et le Président français ont beau claironner qu’il n’en sera rien, peut-on raisonnablement les croire ?
D’ores et déjà, les suppressions de la CRDS et de la taxe d’habitation qui étaient prévues cette année ont été reportées sine die. Le drame est que la France étant déjà numéro un mondial de la pression fiscale, accroître encore cette dernière reviendra à casser davantage la croissance, ce qui réduira l’assiette fiscale, dont accroîtra les déficits et la dette.
C’est alors qu’une quatrième solution semble faire l’unanimité : l’annulation de la dette. C’est d’ailleurs ce qu’ont fait tous les pays surendettés et/ou en défaut de paiement à travers l’Histoire. Evidemment, il ne faudrait pas annuler la dette publique détenue par les épargnants, sinon cela susciterait l’effondrement du système. D’où l’idée « géniale » de ne supprimer que la dette publique détenue par les banques centrales. Pour la simple raison qu’en théorie, une banque centrale ne peut pas faire faillite.
Mais là aussi trois problèmes surviennent. Primo, il y a souvent un fossé entre la pratique et la théorie. Ainsi, les statuts des banques centrales des pays développés, et en particulier ceux de la BCE, interdisent une telle annulation. Et il paraît très peu probable que l’on puisse changer rapidement cette règle de base, par ailleurs indispensable à l’indépendance des instituts d’émission.
Secundo, à compter que l’on puisse passer par miracle ce premier obstacle, il n’est pas certain que la zone euro, déjà particulièrement bancale, puisse survivre à l’annulation des dettes détenues par la BCE, surtout parce que cela créera une distorsion entre les Etats « sérieux » et les autres.
Tertio, cette stratégie est un fusil à un coup. Cela signifie qu’après avoir annulé les dettes d’un Etat ou d’une somme d’Etats, ceux-ci perdront durablement en crédibilité. Dès lors, une phase de remontée massive des taux d’intérêt des obligations se produirait, ce qui aggraverait la récession, augmenterait le chômage, suscitant une nouvelle flambée des déficits et des dettes, sans parler des risques financiers, sociaux et sociétaux qui en découleraient.
En conclusion, à l’exception de la première solution, les trois autres engendreraient des dégâts collatéraux considérables et certainement destructeurs. Dans ce cadre, il nous faut donc une fois encore rappeler le bon sens : augmenter les dettes publiques, oui, mais pas seulement pour éteindre l’incendie, cela doit aussi favoriser l’investissement, l’innovation et, in fine, le retour de la croissance forte. La solution existe, reste à savoir si, pour une fois, nos dirigeants auront l’intelligence de la mettre en musique.
Marc Touati