Avec des taux d’intérêt négatifs pour des obligations d’Etats surendettés, on croyait avoir vu le pire. Et bien non, cette fois-ci, c’est le cours d’une matière première qui est devenu négatif. Et pas n’importe laquelle puisqu’il s’agit de ce que l’on n’a cessé d’appeler depuis des décennies « l’or noir », indiquant par là même que le pétrole était au moins aussi précieux que le métal jaune. Une fois encore, les évidences et les raisonnements traditionnels ont donc été battus en brèche.
Dire qu’il y a encore quelques mois, les « spécialistes » du pétrole annonçaient que le cours du baril devait rapidement revenir vers les 100 dollars. C’étaient d’ailleurs souvent les mêmes qui annonçaient en juillet 2008 que le monde était voué à connaître une pénurie durable « d’or noir ». Selon eux, le baril à 150 dollars de l’époque était donc normal et les 200 dollars imminents. Six mois plus tard, il valait 34 dollars !
Que ce soit en 2008, avec une bulle extravagante, ou en 2015 et en 2020 avec des bulles à l’envers tout aussi déconcertantes, l’exubérance irrationnelle a eu raison du bon sens.
De mon côté, en toute humilité, j’ai constamment rappelé qu’en dehors de phases spéculatives inévitables, les cours des matières premières, comme ceux des marchés boursiers et obligataires d’ailleurs, doivent régulièrement se reconnecter à la réalité économique. C’est notamment ce qui m’a permis d’annoncer, lorsque le baril valait 150 dollars en juillet 2008, que ce niveau de prix n’avait aucun sens et qu’il allait fortement chuter les mois suivants. De même, c’est par le biais de cette corrélation que j’ai pu annoncer depuis 2010, que, grâce à une croissance mondiale stabilisée entre 3 % et 3,5 % et à l’accroissement de la production énergétique mondiale, l’augmentation du prix du baril serait modérée, amenant ce dernier autour d’un prix d’équilibre autour des 70 dollars.
Enfin, pour aller au bout de la transparence, dans mon livre « La fin d’un monde » (Editons Hugo&Doc paru en septembre 2016), j’ai écrit page 59 « que, sauf en cas de guerre nucléaire ou de pandémie planétaire, la demande mondiale de produits énergétiques et plus globalement de matières premières va continuer de croître significativement dans les prochaines années. Dès lors, dans la mesure où celles-ci sont physiquement limitées, il est inévitable que leurs prix continueront de progresser ».
Et malheureusement, nous sommes tombés dans le deuxième cas extrême que nous n’osions imaginer et qui, de facto, plonge le monde dans une telle incertitude que tous les mécanismes classiques n’ont plus lieu d’être, du moins à court terme.
Car, ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain, lorsque la pandémie sera sinon terminée, du moins sous contrôle, les exagérations actuelles seront progressivement corrigées.
En attendant, il ne faut pas oublier qu’à part pour les pays producteurs, la baisse des cours du baril est globalement une bonne nouvelle. En effet, les principaux vecteurs de transmission des variations des prix de l’or noir sur l’économie mondiale sont au nombre de trois. Primo, lorsque ces derniers baissent, le pouvoir d’achat des ménages est amélioré, permettant à ces derniers de consommer davantage. Secundo, les coûts de production des entreprises sont réduits, assurant à ces dernières une meilleure rentabilité, les incitant par là même à investir et à embaucher davantage. Tertio, compte tenu de ces deux premiers avantages, l’horizon global s’améliore, alimentant un cercle vertueux revenu-consommation-investissement-emploi.
A ces trois points économiques positifs, il est possible d’en ajouter un quatrième, en l’occurrence la diminution des ressources financières de certains pays ennemis de la démocratie, qui n’hésitent pas à utiliser leurs recettes pétrolières pour financer le terrorisme et/ou tenter de nuire à la stabilité économico-politique internationale.
En fait, il n’existe qu’un seul effet pervers à la baisse des cours pétroliers. A savoir, la moindre appétence pour développer des énergies alternatives à l’or noir. Car ces dernières étant plus onéreuses, elles ne sont rentables que si le prix du pétrole avoisine ou dépasse les 70 dollars.
Dans ce cadre, la remontée future des prix pétroliers sera une bonne nouvelle. Non seulement parce qu’elle signifiera que la croissance mondiale est de retour, notamment grâce à la fin de la pandémie (espérons-le au plus tard début 2021), mais aussi, parce qu’elle permettra de relancer l’activité des énergies non-fossiles.
Ne l’oublions jamais : le véritable moyen de freiner l’augmentation excessive des cours des matières premières réside principalement dans la capacité à innover et à engager le monde dans une double révolution technologique : celle des NTE (Nouvelles Technologies de l’Energie) et celle des NTA (Nouvelles Technologies de l’Agro-alimentaire).
Cette double mutation permettra tout d’abord de relancer la croissance mondiale après la « Coronarécession », mais aussi d’optimiser les ressources naturelles et d’accompagner le développement de la planète en réduisant les risques de pénuries. Ensuite, elle assurera une période durable de croissance forte, créatrice d’emplois et de revenus. Enfin, elle se traduira aussi par une réduction des tensions sociales et par un monde moins belliqueux.
Alors, vive la baisse des cours du baril (jusqu’à un certain point bien entendu), vive la fin du roi pétrole et vivement l’avènement d’une économie mondiale plus forte et moins dépendante de l’or noir.
Marc Touati