Je ne passerai pas par quatre chemins : l’épidémie de Coronavirus constitue certainement un choc équivalent à ceux qui ont suivi les attentats du 11 septembre 2001 et la faillite de Lehman Brothers. Pourtant de nature très différente, ces trois chocs ont un point commun : ils font tomber la planète dans l’inconnu, imposant à cette dernière de changer de paradigme économique et sociétal.
En effet, avant le 11 septembre 2001, l’équilibre économique mondial apparaissait clair : sortis largement vainqueurs de la guerre froide contre l’URSS, puis de la guerre en Irak, les Etats-Unis semblaient à même d’assurer la sécurité économique, financière et matérielle de la planète. La chute des tours du World Trade Center, quelques mois après l’éclatement de la bulle Internet, a montré que la réalité était loin d’être si évidente. Cette catastrophe a ainsi mis en exergue les dangers sécuritaires, tout en affaiblissant durablement la suprématie des pays développés.
Neuf ans plus tard, autre choc, nouveau plongeon dans l’inconnu et nouveau changement de paradigme. Cette fois-ci, toutes les certitudes sur le système bancaire et financier s’écroulent en quelques jours. Et pour cause : contredisant le fameux principe du « Too big to fail », les autorités américaines décident de mettre en faillite la quatrième plus grande banque d’affaires de la planète, en l’occurrence Lehman Brothers. Par là même, elles mettent également fin au règne sans partage de la finance mathématisée à l’extrême qui a laissé croire un temps que l’on pouvait augmenter les rendements sans augmenter le risque.
Après avoir frôlé la faillite, les banques des pays développés s’amendent, arrêtent de spéculer avec leurs fonds propres et s’engagent à limiter leurs risques. En contrepartie, le monde va engager sa plus forte relance depuis le plan Marshall : baisse massive des taux d’intérêt de toutes les banques centrales, relance budgétaire mondiale de 5 000 milliards de dollars à l’échelle de la planète (soit, à l’époque 9 % du PIB mondial), « planche à billets » généralisée, qui atteindra 4 000 milliards de dollars du côté de la Réserve fédérale américaine et 3 000 milliards d’euros pour la Banque Centrale Européenne.
Si cette débauche de moyens a évidemment permis d’éviter la réédition de la crise de 1929, elle a également créé une multitude de bulles financières, et notamment sur les bourses et les marchés des dettes publiques. Avec en toile de fonds, la montée inaltérable de l’économie chinoise, qui est devenue à la fois l’usine du monde, la locomotive incontestable et incontestée de la croissance mondiale, mais aussi la créancière d’un grand nombre d’entreprises et d’Etats à travers le globe.
Seulement voilà, les investisseurs et les citoyens de notre belle Terre oublient souvent une règle de base incontournable : les arbres ne montent pas au ciel. La Chine est en train d’en faire la douloureuse expérience. En effet, de 1980 à 2019, son PIB réel (c’est-à-dire hors inflation) a flambé de 3200 %. Sur la même période, son poids dans le PIB mondial en parités de pouvoir d’achat est passé de 2 % à 20 %. Un succès que personne n’a osé contester, d’autant qu’il a permis de réduire nettement l’inflation des produits consommés à travers le monde. Cet avantage majeur a ainsi fait oublier que les normes sanitaires et démocratiques de l’Empire du milieu étaient loin d’être satisfaisantes. L’épidémie du Coronavirus de Wuhan est venue mettre les pendules à l’heure de façon dramatique.
Les conséquences économiques de cette triste situation sont déjà observables : récession historique en Chine, qui va malheureusement se généraliser à l’ensemble de la planète. Dans ce cadre, comme en 2001 et en 2008-2009, la crise économique va s’imposer, les marchés boursiers vont s’effondrer et le chômage va durablement augmenter.
Face à ce nouveau chaos, certains n’hésitent pas à appeler à la fin de la mondialisation et au repli sur soi. Réaction évidemment excessive. Il ne faut effectivement pas jeter le bébé avec l’eau du bain. N’oublions pas que sans la mondialisation, les pays émergents n’auraient pas pu se développer et la pauvreté dans le monde reculer.
Pour autant, les crises étant toujours des phases d’opportunité, il faut tirer les leçons des erreurs passées pour ne pas les rééditer. Autrement dit, la mondialisation ne sera plus jamais la même : augmentation des contrôles sanitaires, réduction des importations des produits chinois, relocalisation de certaines activités et productions dans les pays développés…
Comme souvent, la crise actuelle porte donc en elle les germes de la rédemption. Mais ne rêvons pas : la reprise prendra du temps. Avant que la France ne produise ses propres ordinateurs, il est par exemple clair que de l’eau coulera sous les ponts…
De plus, ce mouvement de relocalisation produira des effets pervers. A commencer par une baisse forte et durable de l’activité chinoise. Or, la Chine étant la principale locomotive de la croissance mondiale et réalisant environ chaque année 40 % de cette dernière, il faut se préparer à une activité internationale durablement plus molle.
De même, la réduction des achats de produits en provenance des pays à bas coûts et les processus de relocalisation généreront mécaniquement une augmentation des pressions inflationnistes. Ce qui, in fine, suscitera une tension sur les taux d’intérêt obligataires. Et ce, d’autant que les dettes publiques vont encore augmenter massivement à cause de l’actuelle crise. Là aussi, il faut se préparer à des restructurations conséquentes des dettes publiques, avec certainement des annulations qui coûteront cher aux créanciers.
En conclusion, un nouveau paradigme mondial va bien s’imposer au cours des prochaines années. Et si l’incertitude autour de ce nouvel ordre international demeure forte, une chose est sûre : le monde sortira de la crise par le haut, car, comme d’habitude, tout ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort.
Marc Touati