Les partisans de la décroissance et les altermondialistes (qui sont d’ailleurs souvent les mêmes) ont de quoi être satisfaits : pour la première fois depuis fin 2008-début 2009, l’économie mondiale est en train de tomber en récession.
Certes, pour le moment et en espérant que l’épidémie de coronavirus sera rapidement circonscrite, la baisse du PIB mondial réel (c’est-à-dire hors inflation) sur l’ensemble de l’année 2020 n’est pas d’actualité. Si tout va bien, nous devrions donc éviter la situation de l’année 2009, au cours de laquelle le PIB planétaire réel avait reculé de 0,1 %, son plus mauvais résultat depuis la seconde guerre mondiale.
Pour autant, à l’heure actuelle, il est quasiment assuré que le PIB mondial reculera sur le premier trimestre 2020 et certainement au cours du second. Or, la survenue de deux trimestres consécutifs de baisse du PIB correspond bien à la définition technique de la récession.
D’ores et déjà, deux pays du G8 sont entrés en récession. Il s’agit tout d’abord de la troisième puissance économique mondiale, en l’occurrence le Japon, dont le PIB a chuté de 1,6 % au quatrième trimestre 2019 et devrait encore régresser au premier trimestre 2020. Parallèlement, après avoir déjà subi une baisse de son PIB de 0,3 % au quatrième trimestre 2019, l’Italie devrait également connaître un deuxième trimestre consécutif de décroissance.
Même s’ils ont évidemment dramatiques, ces deux cas ne sont cependant pas susceptibles de susciter une récession mondiale. Et pour cause : depuis une quinzaine d’années, la contribution du Japon à la croissance mondiale n’est que de 0,06 point par an et celle de l’Italie de 0,02 point.
En revanche, bien loin de ces piètres soutiens, la contribution de la Chine à la croissance mondiale est en moyenne de 1,2 point par an depuis 2000. Dès lors, si l’Empire du Milieu trébuche et a fortiori si son PIB s’effondre, même temporairement, l’économie mondiale ne pourra pas s’en remettre.
Evidemment, nous ne sommes pas devins et ne pouvons savoir ce qui adviendra de l’épidémie de coronavirus. Cependant, à l’heure où nous écrivons ces lignes, il est clair que le PIB chinois a fortement chuté au premier trimestre 2020. Selon nos estimations et en intégrant un inévitable ajustement statistique du gouvernement, la dégringolade trimestrielle avoisinerait 1 %.
Pour la suite, même si un rebond est toujours possible et évidemment souhaitable, il ne se produira qu’à partir du troisième trimestre si tout va bien. En effet, la réorganisation de l’appareil productif chinois prendra du temps. Pire, chat échaudé craignant l’eau froide, il est clair que de nombreux clients de la Chine préféreront différer leurs achats, voire les délocaliser dans d’autres pays.
Dans ce cadre, la croissance annuelle moyenne du PIB chinois pourrait tomber à 3,5 % en 2020, du jamais vu dans l’histoire statistique de la Chine moderne, le précédent plancher datant de 1990, en l’occurrence 3,9 %. Dès lors, la contribution de la Chine à la croissance mondiale passerait de 1,2 point en 2019 à 0,7 point cette année.
De plus, il ne s’agit là que de l’impact direct de la décélération chinoise sur l’économie mondiale. Cette dernière va effectivement pâtir de nombreux effets négatifs indirects. D’abord en Asie, et ensuite sur l’ensemble des clients et fournisseurs de la Chine à travers la planète. Tous les pays et tous les secteurs d’activité seront concernés. Par exemple, n’oublions pas que 60 % de la croissance du secteur du luxe depuis une quinzaine d’années provient de la Chine.
Ensuite, comme cela s’observe déjà depuis quelques semaines, les déplacements et les échanges internationaux vont fortement ralentir, pour ne pas dire s’effondrer. Ce qui réduira encore la marche des affaires à l’échelle de la planète. Or, souvenons-nous que la progression du commerce mondial est tombée à un plancher de 1 % l’an passé. Il est clair qu’avec un repli de ce dernier cette année, la croissance du PIB planétaire va encore souffrir.
Bien sûr, certains soutiennent que les déboires de la Chine et du commerce mondial vont permettre d’engager un mouvement de relocalisation, notamment dans le monde occidental. Peut-être, mais cette réorganisation prendra du temps, engendrera des coûts et avivera les tensions inflationnistes, qui viendront encore grever le pouvoir d’achat des particuliers, déjà mis à mal par la baisse de l’activité internationale qui ne va d’ailleurs pas tarder à produire ses effets négatifs sur l’emploi et les revenus.
Dans ce cadre, nous sommes contraints de réviser en forte baisse l’ensemble de nos prévisions de croissance pour 2020 : 3,5 % pour la Chine, 4 % en Inde, 1,1 % aux Etats-Unis, 0,5 % dans la zone euro, 0,4 % en France et en Allemagne. Compte tenu de ces contre-performances, nous anticipons désormais une croissance mondiale pour 2020 de seulement 1,6 %, ce qui constituera un plus bas depuis 2009.
Pour le moment, nous évitons donc le scénario d’une baisse annuelle du PIB, mais, malheureusement, si un mouvement de blocage complet du commerce mondial, des voyages et des échanges internationaux devait avoir lieu, 2020 pourrait bien consacrer une récession encore plus grave qu’en 2009. Et ce, d’autant que si en 2008-2009, les autorités monétaires et politiques internationales ont pu relancer la machine en employant les grands moyens, elles n’ont désormais presque plus de cartouches pour soutenir l’activité. Bon courage à toutes à tous…
Marc Touati