« Bon alors Marc, c’est pour quand l’éclatement de la bulle boursière ? » Il ne sert à rien de se voiler la face ou de se battre contre le vent : après le beau dégonflement de la bulle il y a un an, qui nous donnait raison et nous laissait anticiper la poursuite de la correction baissière, cette dernière n’a pas eu lieu. Bien au contraire, en dépit de quelques soubresauts réguliers, les marchés boursiers ont retrouvé la folie haussière et ne semblent plus vouloir s’arrêter. Face à cette flambée, nous n’avons d’autre choix que de confesser notre erreur et de nous s’excuser auprès de ceux qui n’ont pas profité de ce nouveau « bull market ».
Cela dit, rien n’a changé dans notre « vision du monde » : non seulement la bulle est toujours là, mais elle a surtout pris encore plus d’ampleur, devenant par là même de plus en plus dangereuse.
Alors que faire ? Acheter au plus haut et prendre le risque d’une forte moins-value ou alors continuer d’acheter de manière à profiter des quelques mois d’euphorie qui pourrait encore prévaloir.
Car, il faut être clair : pour le moment, il n’est plus possible de faire des prévisions boursières fiables et réalistes.
Evidemment, les arguments justifiant la poursuite de la bulle sont notables. Primo, les politiques monétaires vont rester extrêmement accommodantes à travers le monde. La « planche à billets » a même déjà été réactivée dans la zone euro, confortant les marchés dans un « paradis artificiel » confortable, mais aveuglant, donc très périlleux. Secundo, les taux d’intérêt monétaires et obligataires demeurent artificiellement bas, renforçant mécaniquement l’appétence pour les placements boursiers plus rémunérateurs. Tertio, selon certains, les risques semblent se réduire sur le front de la montée du protectionnisme et de la baisse de la croissance mondiale. Pour couronner le tout, Donal Trump semble décidé à tout faire pour éviter l’éclatement d’une crise avant les élections présidentielles américaines de novembre 2020.
Autrement dit, tout paraît pour le mieux dans le meilleur des mondes. Alors, vive la bulle et au diable la prudence ! Nous pourrions bien sûr nous arrêter là, mais nous ne le ferons pas, car cet aveuglement collectif nous rappelle trop celui qui prévalait en 2000-2001, juste avant l’éclatement de la bulle internet, ou encore la situation a priori idyllique de 2007-2008 sans oublier celle de 2016-2017, des périodes au cours desquelles personne (ou presque) n’osait qualifier les évolutions extravagantes des marchés boursiers par le terme de bulle. Pourtant, tel était et tel est toujours bien le cas. En effet, au risque de nous répéter, rappelons qu’une bulle est tout simplement un écart cumulatif et auto-entretenu entre la valeur financière des actifs financiers et leur valeur réelle, c’est-à-dire celle correspondant à la réalité économique. Si l’excès de liquidités mondiales a participé à alimenter ces bulles, il ne peut cependant aller à l’encontre d’une loi physique incontournable : les arbres ne montent pas au ciel.
Et même si le ciel est très haut, les niveaux actuellement atteints par le Dow Jones et le Nasdaq continuent de défier l’entendement. Depuis leurs plus bas de mars 2009, ces deux indices progressent de respectivement 324 % et 568 %. Qui dit mieux ? Et même comparativement à son précédent historique de 2007, le Dow Jones affiche une progression de 96 %. Quant au Nasdaq, il enregistre une hausse de 68 % par rapport à son précédent pic historique atteint en mars 2000.
Soyons encore plus clairs : normalement les variables boursières doivent refléter une réalité économique concrète. Ainsi, le niveau actuel du Cac 40 suppose que les bénéfices des entreprises composant ce dernier augmenteront de 10 % en 2020, ce qui paraît très peu probable.
Encore plus problématique, la corrélation historique entre le Dow Jones et la croissance mondiale indique que pour justifier l’atteinte des 27 000 points par le premier, la seconde doit dépasser les 8 %. Or, dans le meilleur des cas, elle sera d’environ 2,8 % en 2019 et 2,5 % en 2020. Il s’agira certes de performances honorables, mais insuffisantes pour valider définitivement la nouvelle flambée des indices boursiers internationaux.
Et ce, d’autant que de nombreux pays à travers le monde vont connaître un net ralentissement au cours des prochains trimestres, y compris les habituelles locomotives, telles que la Chine, l’Inde ou encore les Etats-Unis. Que dire alors du Japon et de la zone euro qui restent proches de la stagnation…
Dans ce cadre, le ralentissement de la croissance mondiale apparaît inévitable. Il ne sera certes pas dramatique mais conséquent. Face à ce ralentissement, les marchés boursiers doivent donc logiquement corriger leurs excès. Selon nos estimations, ils devraient baisser d’au moins 15 % au cours des prochains mois, avec, parallèlement, une volatilité extrême. Bien entendu, plus la « rebulle » ira loin, plus cet ajustement baissier sera fort.
Renforçant cette décrue inévitable, n’oublions pas que les risques socio-politiques demeurent élevés à travers la planète : « Empeachment » aux Etats-Unis, crises à répétition en Amérique Latine et en Inde, mais aussi dans la zone euro ou encore au Royaume-Uni.
En conclusion, nous rappellerons donc cet adage de bon sens : mieux vaut prévenir que guérir. Autrement dit, en ces temps troublés, il ne faut pas hésiter à prendre ses bénéfices, même trop tôt. Pour ceux qui aiment les montagnes russes, ils pourront racheter après les phases de forte baisse et ainsi de suite jusqu’à la fin 2020. Pour les autres, mieux vaut rester liquides ou alors attendre la baisse de 15 % pour acheter des actions, non pas pour faire « des coups » (c’est-à-dire des plus-values de court terme), mais pour récupérer des dividendes, qui sont d’ailleurs l’objectif premier d’un investissement boursier.
Marc Touati