Les levées de boucliers en France face à l’éventualité d’une augmentation de la durée du temps de travail ont vraiment de quoi inquiéter. En fait, elles ne font que confirmer que la valeur travail s’est fortement dépréciée depuis une vingtaine d’années, et particulièrement depuis l’instauration des 35 heures dans l’Hexagone, qui a laissé croire qu’on pourrait gagner autant voire plus en travaillant moins. Depuis quelques années, certains ont même été jusqu’à préconiser l’avènement des 32 heures en avançant un bénéfice pour le tourisme et la culture qui rempliraient le temps libre. Et pourquoi pas un monde sans travail et uniquement de loisirs ? Seulement voilà, pour pouvoir consommer plus pendant ses loisirs, il faut en avoir les moyens, donc pouvoir travailler davantage…
À ce sujet, avez-vous déjà demandé à des travailleurs chinois, brésiliens, américains ou à des cadres français du secteur privé ce qu’ils pensaient des 35 heures ? Dans la majeure partie des cas, ils vous répondront en substance : « c’est déjà ce que nous faisons, mais en trois jours… ». Je le dis sans détour : pour réduire le chômage en France, il faudra bien sûr générer une croissance plus forte, rendue possible par la « thérapie de choc bienveillante » que je continue de préconiser, mais aussi moderniser le marché du travail par la réduction des charges qui pèsent sur l’emploi (sans contrepartie et notamment sans hausse des autres impôts et taxes), la simplification drastique du code du travail, la limitation de la période d’indemnisation du chômage à un an et la suppression du caractère obligatoire des 35 heures.
Ne nous berçons pas d’illusions : sujet polémique par excellence depuis leur création et remis dernièrement au goût du jour, les « 35 heures » vont encore faire couler beaucoup d’encre. En effet, au-delà de ses aspects idéologiques et dogmatiques, cette loi, théorisée par Dominique Strauss-Kahn et mise en pratique par Martine Aubry à la fin des années 1990 pose une question essentielle : quel est son coût réel et, par là même, son impact historique sur notre compétitivité au niveau mondial ?
La réponse est tout simplement mathématique : plus le volume d’heures travaillées (c’est-à-dire le nombre de personnes qui travaillent multiplié par le nombre d’heures travaillées) augmente, plus la richesse s’accroît. Et réciproquement. Au cours des trente dernières années, ce volume d’heures travaillées a augmenté d’environ 50 % aux États-Unis. Il a stagné dans la zone euro et baissé de 10 % en France. Cocorico : la France est l’un des seuls pays au monde où le volume d’heures travaillées a baissé durant cette période.
Ce résultat peu flatteur s’explique évidemment par un effet 35 heures, mais aussi par le taux d’emploi en France, c’est-à-dire le nombre de personnes qui travaillent par rapport au nombre de personnes en âge de travailler. Si ce taux atteint 76 % en Allemagne et 72 % aux Etats-Unis, il n’est que de 65 % en France. Et ce pour deux raisons principales. D’une part, on étudie de plus en plus tard et, d’autre part, on quitte le marché du travail de plus en plus tôt, en raison notamment du système des préretraites, puis des départs volontaires anticipés.
Le système malthusien de « partage du travail » produit des fruits négatifs : moins il y a de travail, moins il y a de revenus, moins il y a de croissance et donc moins il y a d’emplois. D’ailleurs, sur ces trente dernières années, de la même façon que l’écart entre le volume d’heures travaillées aux États-Unis et en France s’élève à 60 points, l’écart de croissance entre les deux pays atteint 50 points. Imaginer que travailler moins permettrait de faire progresser la croissance représente bel et bien une erreur historique.
En maintenant coûte que coûte les 35 heures, peut-on continuer de l’ignorer ? Certes, dans certaines grandes entreprises, les 35 heures fonctionnent relativement bien, notamment grâce à l’annualisation du temps de travail. Elles permettent d’ajuster le nombre d’heures travaillées par semaine à l’activité de l’entreprise, l’essentiel étant de se conformer au cadre légal des 35 heures en moyenne sur l’ensemble de l’année. Dans ce cadre, on gagne en flexibilité et en productivité. D’ailleurs, la productivité dans le secteur privé est identique aux États-Unis et en France. Tel n’est pas le cas en revanche au niveau de la productivité totale où, le secteur privé doit compenser la faible productivité du secteur public. La part des dépenses publiques dans le PIB dépassant les 56 % en France, contre 47 % dans la zone euro, 43 % en Allemagne et 35 % aux États-Unis, plus de la moitié de notre PIB n’est pas soumise aux règles de la productivité.
En outre, il existe deux moyens de faire progresser la productivité, c’est-à-dire le PIB rapporté à l’emploi. Le premier consiste à augmenter la richesse encore plus que l’emploi. C’est le cas idéal. Le second consiste à maintenir le PIB et à baisser l’emploi. La productivité augmentera aussi, mais elle ne sera pas une « bonne » productivité. C’est malheureusement ce qui s’observe souvent dans l’Hexagone.
Autrement dit, si les 35 heures avaient été accompagnées d’une forte baisse du chômage et d’importantes créations d’emplois, leurs effets négatifs auraient pu être dilués. Or tel n’a pas été le cas, pour la simple raison que les 35 heures ont augmenté le coût du travail et réduit par là même l’appétence pour la création d’emplois.
Le vrai problème des 35 heures réside dans son caractère rigide et autoritaire. À la rigueur, si une entreprise réussit à utiliser les 35 heures pour annualiser le temps de travail et augmenter les gains de productivité, pourquoi pas ? En revanche, pour de très nombreuses entreprises et en particulier les PME, elles ne sont pas applicables sans dommages collatéraux sur la rentabilité et in fine sur l’emploi. Enfin, les 35 heures ont des effets négatifs sur de nombreux salariés, qui doivent augmenter leur productivité, sans accroissement de leurs salaires nets.
Pour être plus juste, il faudrait leur donner le choix à tous, en accord avec leur direction : travailler plus de 35 heures et gagner davantage, ou garder les 35 heures mais être payé en conséquence. Il ne s’agit pas là d’ultra-libéralisme, mais simplement de bon sens économique.
Marc Touati