Même si certains (pour ne pas dire une large majorité) continuent de refuser l’évidence : une nouvelle crise économico-politico-financière internationale a bien commencé depuis quelques mois. Ses stigmates sont déjà nombreux : mini-krach boursier en février dernier, suivi d’une réplique encore plus puissante en octobre, remontée des taux d’intérêt obligataires à travers la planète (à quelques exceptions près, par exemple en Allemagne), net ralentissement de la croissance mondiale, augmentation de l’inflation et diminution du pouvoir d’achat, forte baisse des indicateurs avancés de l’activité dans la plupart des pays développés (à l’exception des Etats-Unis) et émergents (y compris en Chine), repli marqué des transactions immobilières et des mises en chantier outre-Atlantique, bras de fer entre l’Italie et l’Union européenne, montée des populismes, aggravation des tensions sociales et des risques de blocages, en particulier en Europe et en France…
Bref, sauf à continuer de se voiler la face et de préférer l’aveuglement au réalisme, il n’y a plus de doute : l’avènement d’une crise au moins aussi forte que celle de 2008 est inévitable et a même déjà commencé.
« Et alors ? » diront certains : il y a dix ans aussi, le monde a frôlé une dépression du type de celle qui a suivi le krach d’octobre 1929, et finalement le pire a bien été évité. Ceux qui suivent nos publications et nos prévisions se souviendront peut-être que nous étions d’ailleurs parmi les très rares à soutenir la thèse du rebond. A titre personnel, je l’écrivais dans un livre, en l’occurrence « Krach, boom et demain ? », qui avait même pour bandeau : « Restons optimistes ». De quoi rappeler à certaines mauvaises langues que je suis loin d’être un pessimiste invétéré.
Seulement voilà, si, à l’époque, mon équipe et moi soutenions que le monde pouvait se relever c’est principalement parce qu’il en avait les moyens. En effet, dès la fin 2008 et surtout au printemps 2009, tout a été mis en place pour sortir de la récession.
Tout d’abord, une relance budgétaire pharaonique a été engagée : 5 400 milliards de dollars à l’échelle de la planète. Ensuite, les banques centrales ont fortement abaissé leurs taux d’intérêt directeurs, en particulier aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, la BCE n’ayant vraiment compris la gravité de la situation et n’emboitant le pas de la Fed qu’à partir de la fin 2011, avec l’arrivée de Mario Draghi à sa tête.
Troisième étage de la fusée de la relance mondiale, une « planche à billets » pléthorique a été actionnée à travers le monde, que ce soit au Japon, au Royaume-Uni et bien sûr aux Etats-Unis, avec un montant global de 4 000 milliards de dollars outre-Atlantique et, plus tardivement dans l’UEM, avec une « rallonge » de 3 000 milliards d’euros.
De plus, à côté de ces soutiens hors du commun, l’économie mondiale a profité d’une mobilisation hors pair des dirigeants internationaux. A commencer par Gordon Brown, le premier ministre britannique, qui, le premier, a compris l’ampleur du danger et a soutenu qu’il fallait rapidement sauver le système bancaire pour éviter le drame de 1929. Très vite, Nicolas Sarkozy et Angela Merkel l’ont suivi et ont engagé l’ensemble de l’Union européenne sur la voie de la raison. Parachevant l’édifice, Barack Obama, Hu Jintao et l’ensemble des dirigeants du G20 ont définitivement mis un terme à la crise lors du sommet de Londres d’avril 2009.
Grâce à cette débauche de moyens et à cette prise de conscience internationale, le monde a donc pu sortir de la récession et éviter une dépression dramatique.
D’où une question à la fois simple et terrifiante : en sera-t-il de même lors de la nouvelle crise ? Malheureusement, la réponse risque fort d’être négative. En effet, toutes les cartouches de relance ont déjà été utilisées. Les taux d’intérêt monétaires et obligataires sont déjà très faibles (à l’exception notable de ceux des Etats-Unis), les « planches à billets » ont déjà été actionnées excessivement (avec des résultats très insuffisants, en particulier dans la zone euro, où la croissance est restée faible) et les dettes publiques ont déjà flambé (à l’exception de celle de l’Allemagne).
Autrement dit, il ne sera pas possible de relancer la machine économique, faute de moyens suffisants. Seuls l’Allemagne, avec ses excédents publics, les Etats-Unis, avec des taux d’intérêt monétaires qui pourront être abaissées, et la Chine, grâce à des réserves de changes de plus de 3 000 milliards de dollars, pourront tirer leur épingle du jeu. En revanche, pour les autres, et notamment pour la quasi-totalité des pays européens, à commencer par la France, les lendemains s’annoncent difficiles.
Encore plus grave, à la différence des années 2008-2009, les dirigeants actuels des principaux pays de la planète sont affaiblis et ne semblent pas à la hauteur de la situation : Angela Merkel est sur le départ, Emmanuel Macron est déjà fatigué, le gouvernement italien s’est lancé dans un bras de fer périlleux avec l’Union européenne, le parlement espagnol ne dispose pas de majorité solide, Donald Trump, Xi Jinping, Vladimir Poutine et Jair Bolsonaro ont déjà annoncé la couleur : ce sera leur pays avant tout.
Il ne reste guère que Mario Draghi, et peut-être Jerome Powell, voire Christine Lagarde, pour essayer de sauver le monde lors de la prochaine crise. A l’évidence, cela risque de faire un peu juste. Autrement dit, non seulement, l’avion est en difficulté, au milieu de turbulences de plus en plus virulentes, mais, par-dessus le marché, il n’y a plus de pilotes capables de redresser la barre… Vivement donc que sorte le nouvel « Avengers » pour trouver la solution…
Marc Touati