Que ce soit cette semaine avec le statu quo de la BCE ou la semaine prochaine avec celui de la Fed, voire avec celui de la Bank of England (qui pourrait néanmoins augmenter son taux de base de 25 points de base dès le jeudi 2 août), les banques centrales occidentales continuent d’agir avec prudence. En fait, depuis cinq ans, nos Institutions monétaires n’ont plus vraiment le choix et font face à un dilemme cornélien difficilement surmontable. En effet, de 2008 à 2015, elles ont non seulement fortement réduit leurs taux directeurs, mais ont aussi injecté massivement des liquidités à l’échelle mondiale. La BCE et la BoE continuent d’ailleurs d’inonder la planète de leur « morphine ».
Certes, au plus fort de la crise, elles ne pouvaient pas faire autrement. Car, sans ces actions concertées de grande ampleur, le système financier international aurait certainement craqué et l’économie de la planète avec. Elles ont donc tiré les leçons des erreurs du krach de 1929 ou encore de la crise japonaise du début des années 90, au cours desquels les autorités monétaires n’avaient pas pris conscience de l’ampleur des dégâts et n’avaient pas réagi en conséquence. Autrement dit, il est possible de dire qu’en 2008-2010, les banques centrales ont fait leur « boulot ». Et ce, même si l’on peut néanmoins regretter qu’une fois encore, la Banque Centrale Européenne s’est arrêtée en route pour ne revenir sur le bon chemin qu’à partir de 2012 et surtout en 2015, avec le début de sa « planche à billets » (soit avec six ans de retard sur son homologue américaine). Ce retard à l’allumage explique d’ailleurs en grande partie la rechute de la zone euro en récession en 2011 et son redémarrage très poussif par la suite.
Le problème est qu’après avoir « sauvé » la sphère économico-financière, les banques centrales n’ont pas osé réagir en sens inverse, lorsque la croissance forte est revenue, notamment aux Etats-Unis. Cette hésitation peut évidemment se comprendre. Et pour cause : si elles remontaient trop rapidement et trop fortement leurs taux directeurs, les banques centrales risquaient alors d’émousser la reprise et de freiner les créations d’emplois. N’oublions effectivement pas que les cycles de reprise économique obéissent toujours au même processus : après avoir été les premiers à dégringoler, les marchés boursiers sont également les premiers à retrouver des couleurs, précédant d’environ six mois la reprise de l’activité économique. Puis, six à neuf mois après, cette dernière se transforme en créations d’emplois, ce qui permet d’instaurer un cycle pérenne croissance-emploi-consommation. Dès lors, si les banques centrales interviennent avant la reprise de l’emploi, elles cassent le processus et suscitent le fameux double dip ou encore « W ». C’est d’ailleurs ce qui s’est produit dans la zone euro en 2011.
Mais, malheureusement, lorsque le taux de chômage américain a fortement baissé, la Fed n’a toujours pas eu le courage de resserrer son étreinte. Ce qu’elle n’a commencé à faire très timidement que depuis deux ans. Le pire est que cet excès de soutiens monétaires n’a pas permis de générer une croissance très forte. Cette dernière s’est dernièrement stabilisée autour des 2,5 % tant aux Etats-Unis que dans la zone euro, avec une nette rechute pour cette dernière depuis le début 2018. La prodigalité des banques centrales n’a pas non plus suscité une inflation débordante. En revanche, elle a engendré une flambée excessive des marchés boursiers et obligataires à travers le monde développé. Si bien que l’on ne sait désormais plus comment sortir de cette double bulle et surtout, le cas échéant, dans quel état…
C’est en cela que les banques centrales restent coincées entre le marteau et l’enclume. Car, si elles n’augmentent pas leurs taux d’intérêt par souci de prolonger la croissance, elles prennent de ce fait le risque d’alimenter encore ces bulles et par là même de perdre en crédibilité. Ce qui, in fine, générerait une augmentation excessive des taux d’intérêt à long terme et freinerait ensuite fortement la croissance économique. Voilà pourquoi, il est possible de dire qu’aujourd’hui, les banques centrales demeurent prises à leur propre piège et vont devoir manœuvrer habilement pour en sortir sans trop de dégâts. Et ce, d’autant qu’elles n’ont plus le droit à l’erreur : il est clair que si une rechute de l’activité se produisait, la marge de manœuvre pour relancer de nouveau la machine serait particulièrement faible. Voilà pourquoi, afin d’éviter le scénario du pire, les banques centrales sont contraintes d’agir avec parcimonie.
Ainsi, la Fed a déjà annoncé la couleur : avec Jerome Powell, comme sous la Présidence de Janet Yellen, elle continuera de relever ses taux directeurs par petite touche. La BCE et la BoE en feront de même, d’autant que les risques économiques et politiques restent pléthore. Cela signifie donc que les banques centrales ne casseront pas la croissance, mais, que, malheureusement, cette dernière restera molle. Car, ne nous leurrons pas, à l’instar du Japon dans les années 1990 et 2000, les Etats-Unis et la zone euro sont entrés dans une phase de « trappe à liquidités » qui se caractérise par quatre composantes principales : des taux monétaires proches de zéro, une abondance de liquidités, mais une inflation modeste et une croissance économique faible. Cette inefficacité de la politique monétaire s’explique principalement par le fait que les agents économiques n’ont pas confiance dans les structures de leur pays et limitent de facto leurs dépenses d’investissement et de consommation.
Le vrai drame est que, si, pour le moment, il reste presque impossible de jauger les impacts des excès de liquidités, notamment sur les marchés financiers, il viendra un jour où ces derniers produiront forcément des effets particulièrement négatifs. Et ce, notamment en termes d’inflation, de krachs obligataires et boursiers et finalement de destruction de richesses. Autrement dit, les banques centrales occidentales ne font que gagner du temps et colmater les brèches en espérant que les effets négatifs de leur politique ne se produiront jamais. A force d’avoir dilapidé de « l’opium monétaire » à tout va, les banques centrales sont donc, elles aussi, tombées dans un « paradis artificiel » qui leur (et nous) fait croire que leurs excès de liquidités n’engendreront jamais d’effets pervers. A l’évidence, le réveil sera douloureux…
Marc Touati