Je vous parle d’un temps que les moins de trente ans ne peuvent pas connaître. Celui où la France remportait la coupe du monde de football le 12 juillet 1998. Vingt ans plus tard, les Bleus sont sur le point de nous offrir une deuxième étoile. Seulement voilà, comme je l’expliquais dans ces mêmes colonnes le 15 juin dernier, cela ne changera pas grand-chose pour la croissance économique hexagonale. Certes, le parcours exceptionnel des Bleus a permis aux Français d’oublier temporairement leur quotidien difficile.
Pour autant, une chose est sûre : quelle que soit l’issue de la finale (que l’on espère évidemment gagnée par les Bleus), les réalités économiques hexagonales reprendront très vite le dessus : rechute de la croissance, remontée du chômage, déficits publics plus élevés qu’annoncés par le gouvernement, tensions sociales exacerbées… Alors : Bravo les Bleus et merci pour tous ces bons moments, qui resteront gravés dans nos mémoires mais n’auront pas d’impacts significatifs sur la croissance.
Cette nouvelle épopée des Bleus remet néanmoins sur la table la problématique de la finalité de nos sociétés. En effet, à force de se focaliser sur les statistiques économiques et financières, qui ont évidemment une importance majeure, on en oublie parfois la dimension philosophique de l’être humain : et si finalement le but de l’humanité était tout simplement l’atteinte du bonheur. Autrement dit, abandonnons le dogme du PIB pour le remplacer par le BIB : le bonheur intérieur brut. Seulement voilà, comme dit la chanson : « il est où le bonheur ? »
Est-ce se contenter de son lot quotidien ? Par exemple, une croissance molle, un chômage élevé… mais aussi des Bleus en finale du Mondial… Est-ce au contraire se fixer des objectifs de plus en plus ambitieux, quitte à prendre des risques, mais finalement avoir la satisfaction d’avoir su se dépasser ? Il n’y a évidemment pas de réponse parfaite, car, comme le soulignait Einstein : tout est relatif.
Ainsi, Il faut reconnaître que lorsque l’on voyage à travers le monde, et que l’on prend ainsi la mesure des difficultés sociales qui prévalent dans de nombreux pays, notamment émergents, sans parler de la misère qui peut parfois y sévir, on réalise combien nous sommes heureux en France. Son modèle est d’ailleurs bien connu : nous payons beaucoup d’impôts, mais, en échange nous bénéficions d’un « open bar » : l’école, la santé, les congés, le chômage, la retraite, la sécurité… : tout est pris en charge ! Nous sommes donc « heureux ». Mais encore faut-il le rester et surtout à quel prix ?
Car, soyons réalistes : depuis une vingtaine d’années, ce modèle est de plus en plus battu en brèche. Certes, nous payons toujours de plus en plus d’impôts et les dépenses publiques ont atteint des sommets historiques, mais le reste du modèle ne suit plus : les formations scolaires et universitaires battent de l’aile, l’ascenseur social a quasiment disparu, la santé est à multiples vitesses et de plus en plus chère, la retraite ne sera bientôt plus financée et la sécurité des citoyens est de moins en moins assurée.
En d’autres termes, nous avons toujours les inconvénients du « modèle français » (impôts confiscatoires, marché de l’emploi ultra-rigide, réglementations excessives, charges qui pèsent sur le travail trop élevées…), mais plus beaucoup d’avantages. Dans ce cadre, le niveau du BIB français risque d’être encore plus mauvais que celui du PIB.
De plus, le BIB pose pas mal de problèmes. Tout d’abord, n’oublions pas que s’il est déjà très difficile de calculer un indicateur tel que le PIB, la tâche sera encore bien plus ardue avec un indice du BIB. Autrement dit, pour mettre au point un indicateur du bonheur, il faudra se lever de bonne heure. Blague à part, il est clair que, généralement, avant d’avoir un peu de BIB, il faut aussi un peu de PIB. En d’autres termes : le bonheur ne tombe pas du ciel et nécessite souvent un peu de revenus auparavant.
Pour être encore plus clair, se poser la question du bonheur est un luxe de « riches » que tout le monde ne peut pas se permettre. Car, généralement, avant de choisir de travailler moins, voire d’arrêter de travailler et de profiter de la vie, il faut tout de même avoir mis un peu d’argent de côté. Or, sans travail pas d’argent. Et sans argent, beaucoup de galères. Il serait bon de le rappeler aux apparatchiks d’extrême-gauche qui appellent régulièrement à la révolution, mais sont bien contents de rentrer chez eux le soir dans leur petit confort.
C’est donc bien cela qu’il faut faire comprendre aux jeunes générations et aux tenants de la décroissance : Non, la croissance n’est pas une fin en soi. Loin s’en faut. La croissance est simplement le moyen principal de créer plus d’emplois. Et ne nous leurrons pas : il n’y a pas d’emploi sans croissance. L’Etat pourra toujours créer des emplois publics, en creusant les déficits et en augmentant la dette, mais il faudra tôt ou tard les financer par des impôts qui seront forcément ponctionnés sur de la croissance, ce qui finira par créer du chômage.
Donc, plus de croissance signifie plus d’emplois, c’est-à-dire plus de revenus, puis, en conséquence, plus de consommation et d’investissements. Et, au bout du compte, plus de réalisations économiques et donc, puisque c’est le mot à la mode en ce moment : plus de bien-être économique ou encore plus de Bonheur économique.
Oui, cet aboutissement est encore possible si nous acceptons de comprendre et d’intégrer les nouvelles réalités économiques, financières et sociétales dans nos décisions à venir. Et ce, que nous soyons dirigeants politiques, chefs d’entreprise, travailleurs indépendants, hauts-fonctionnaires, salariés publics ou privés, artisans, étudiants, retraités, syndicalistes (évidemment non dogmatiques)… De la sorte, nous réussirons à redresser la France ensemble. Pas seulement au foot, mais dans la « vraie vie ». À nous de jouer !
Marc Touati