Le déficit extérieur américain se réduit et les perspectives de croissance dans la zone euro s’effondrent.

Donald Trump serait-il finalement magicien ? En effet, après avoir été élu Président, alors que tous les sondages et les éminents spécialistes le donnaient perdant, puis avoir réussi à relancer la croissance américaine, alors qu’elle se situe en fin de cycle, et enfin avoir faire plier la Corée du Nord (du moins en apparence), le déficit extérieur des Etats-Unis se réduit fortement depuis quelques mois.

Et ce, avant même l’application des mesures protectionnistes décidées par le locataire de la Maison Blanche.

Ainsi, après avoir atteint 55,5 milliards de dollars en février dernier, le déficit commercial américain est tombé à 43,05 milliards de dollars en mai. Il se situe désormais à un plancher depuis octobre 2016.

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Le déficit extérieur américain au plus bas depuis octobre 2016.

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Sources : BEA, ACDEFI

Certes, l’impact sur le déficit annuel est encore limité, puisque ce dernier était de 570,2 milliards de dollars en mai, soit seulement 2,8 milliards de moins qu’en avril.

Pour autant, il faut noter que la récente diminution du déficit mensuel est particulièrement satisfaisante puisqu’elle s’explique par une augmentation des exportations supérieure à celle des importations.

Entre janvier et mai, les premières ont ainsi progressé de 6,3 %, tandis que les secondes n’ont augmenté que de 1,2 %. En mai, le glissement annuel des exportations a même atteint 11,7 %, un sommet depuis septembre 2011.

Autrement dit, la demande intérieure américaine reste dynamique, soutenant les importations, mais l’Oncle Sam réussit à mieux profiter de la croissance mondiale, alors que cette dernière est en train de ralentir et que le dollar s’est nettement apprécié depuis le début de l’année.

Evidemment, n’oublions pas qu’à court terme, en vertu de l’effet « courbe en J », l’appréciation d’une devise renchérit le prix des exportations, ce qui joue donc positivement sur le solde commercial (bas du J), mais se traduira ensuite par un effet opposé (haut du J).

Toujours est-il qu’une inversion de tendance s’est vraisemblablement opérée depuis un an, les industriels américains ayant rapatrié une partie de leur production « at home », augmentant leurs exportations et réduisant la part des produits importés dans la demande intérieure.

Dans le même temps, l’excédent annuel de la balance des services est resté très élevé, se stabilisant autour des 250 milliards de dollars depuis 2013.

830 milliards de dollars de déficit des marchandises, 260 milliards de dollars d’excédent dans les services.

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Sources : BEA, ACDEFI

On l’oublie effectivement très souvent mais les Etats-Unis sont structurellement excédentaires sur le front des services. Ce qui ne permet certes pas de compenser les 830 milliards de déficit de la balance des marchandises, mais, au regard de la réduction récente de ce dernier déficit, devrait alimenter une nouvelle réduction du déficit global au cours des prochains trimestres. C’est là où Trump prend un risque calculé dans la guerre commerciale internationale qu’il a déclenchée.

En effet, la Chine représente 8 % du total des exportations des Etats-Unis mais 18 % de leurs importations. Leur déficit avec l’Empire du milieu atteint ainsi 335,7 milliards de dollars, soit 60,8 % de l’ensemble du déficit commercial américain. A l’inverse, les Etats-Unis représentent 19 % des exportations de la Chine et 8,5 % de ses importations. Au total, 50 % de l’excédent commercial annuel chinois provient des USA.

Autrement dit, à augmentation identique des droits de douanes, la Chine a beaucoup plus à perdre que les Etats-Unis.

L’excédent commercial chinois sur douze mois au plus bas depuis décembre 2014.

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Sources : NBSC, ACDEFI

Il est d’ailleurs intéressant d’observer que depuis 2016, l’excédent commercial chinois a fortement baissé. Certes, en juin 2018, l’excédent mensuel a repris le chemin de la hausse à 41,61 milliards de dollars.

Cependant, sur douze mois, il a continué de reculer, atteignant un niveau de 394,8 milliards de dollars, soit 223,3 milliards de dollars de moins que le sommet de juillet 2016 et un plancher depuis décembre 2014.

Si déjà sans droits de douanes supplémentaires, l’excédent commercial chinois a nettement reculé depuis deux ans, que va-t-il donc devenir si les Etats-Unis réduisent massivement leurs importations de produits chinois ?

La situation de l’Europe est certes différente, mais tout aussi dangereuse pour le Vieux Continent. En effet, celle-ci représente 27 % des exportations des Etats-Unis et 25,5 % de leurs importations.

Cependant, n’oublions pas que le déficit bilatéral USA/Europe reste conséquent à 109 milliards de dollars, soit près de 20 % du déficit global de l’Oncle Sam.

Parallèlement, les Etats-Unis sont le premier partenaire commercial de l’Union européenne pour les exportations (21 % du total) et le second pour les importations avec 14 %. C’est exactement l’inverse pour la Chine : deuxième partenaire de l’UE pour les exportations (14 % du total) et première pour les importations (20 %).

La Chine représente 60,8 % du déficit extérieur américain.

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Sources : BEA (chiffres annuels de 2017), ACDEFI

On comprend dès lors pourquoi tant la Chine que l’Europe ont beaucoup à perdre face aux restrictions commerciales américaines.

Le pire est qu’avant même que ces dernières n’entrent en action, l’indice ZEW des perspectives d’activité dans la zone euro a de nouveau fortement chuté en juillet.

Avec désormais un niveau de – 18,7, il se situe à un plus bas depuis octobre 2012, à une époque où le glissement annuel du PIB eurolandais avoisinait – 1,0 % (précisément – 0,9 % au troisième trimestre 2012 et – 1,1 % au cours du trimestre suivant). C’est dire les risques de dégringolade qui menacent l’économie de la zone euro.

Zone euro : l’indice ZEW des perspectives d’activité au plus bas depuis octobre 2012.

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Sources : Eurostat, ZEW, ACDEFI

Même son de cloche en Allemagne, où l’indice ZEW des perspectives d’activité a aussi fortement chuté depuis le début 2018, atteignant un plancher depuis août 2012.

L’indice ZEW des perspectives d’activité en Allemagne fait également craindre le pire.

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Sources : Destatis, ZEW, ACDEFI

Autrement dit, à l’instar de celui du PIB eurolandais, le glissement annuel du PIB allemand pourrait rapidement passer sous les 1 %, voire devenir négatif, en cas d’aggravation de la crise européenne, et a fortiori de nouvelle tempête financière.

En France aussi, l’heure est à l’inquiétude. Non seulement sur les données d’enquête, mais aussi sur les évolutions effectives récentes.

La production industrielle française a chuté de 2,1 % depuis octobre 2017.

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Sources : INSEE, ACDEFI

Ainsi, après avoir déjà baissé de 1,3 % sur l’ensemble du premier trimestre 2018 (sa plus mauvaise performance depuis le troisième trimestre 2013), puis reculé de 0,5 % en mars, la production industrielle française a encore diminué de 0,2 % en mai. Depuis son niveau d’octobre dernier, elle accuse un plongeon de 2,1 %.

Conséquence logique de ces multiples contre-performances, son glissement annuel est tombé à – 0,9 %, un plancher depuis octobre 2016.

Dans l’industrie manufacturière (c’est-à-dire principalement hors énergie), la situation est encore plus précaire puisque la production y a chuté de 1,8 % sur le premier trimestre 2018, du jamais vu depuis le quatrième trimestre 2012, et encore de 0,2 % en avril-mai. Depuis octobre 2016, son effondrement atteint 2,6 %.

En conclusion, comme en Allemagne et dans la zone euro, la forte baisse de la croissance en France ne fait plus de doute. Et malheureusement, la victoire des Bleus au Mondial de football n’y changera rien. Il faut donc se préparer à une nouvelle augmentation du chômage et des déficits publics…

Marc Touati