C’est certainement LA mauvaise surprise économique de la semaine. En effet, si le ralentissement de la croissance de la zone euro était attendu, alimentant d’ailleurs la poursuite de la dépréciation de l’euro/dollar (comme nous l’annoncions dans ces mêmes colonnes depuis plusieurs mois), rien ne laissait imaginer que le PIB japonais pouvait reprendre le chemin de la baisse. C’est pourtant ce qui s’est produit, puisque les comptes nationaux officiels ont fait état d’un recul de la richesse nipponne au cours du premier trimestre 2018. Une première depuis le quatrième trimestre 2015. En régressant de 0,2 %, le PIB japonais voit son glissement annuel tomber de 2,1 % au quatrième trimestre 2017 à désormais 1,4 %. S’il ne s’agit que d’un plus bas depuis le premier trimestre 2017, cette dégringolade confirmer que l’économie nipponne est toujours très fragile et justifie une nouvelle vague de dépréciation du yen.
Après être péniblement sortie de vingt de déflation en 2016, l’Archipel nippon n’avait vraiment pas besoin d’une telle contre-performance, qui confirme qu’il ne parvient toujours pas à inverser un déclin qui a commencé au début des années 1990. Rappelons-nous : avant cette triste période, le Japon faisait figure de modèle économique. Tout semblait lui réussir. Il disposait d’une croissance structurelle d’environ 6 % par an, d’un taux de chômage tout aussi structurel d’environ 2 % et s’était solidement installé depuis les années 1960 à la deuxième place de l’économie mondiale.
A tel point que le Japon paraissait en mesure de talonner les Etats-Unis et d’imposer le yen comme un concurrent sérieux à l’hégémonie du dollar au sein du Système Monétaire International. Sûr de lui, le gouvernement japonais consentait même à satisfaire les souhaits des pays occidentaux, en décidant d’apprécier fortement le yen. Cette décision fut en fait l’erreur de trop et constitua le point de départ d’une descente aux enfers que les plus grands « Bears » de l’époque n’auraient pu imaginer. Ainsi, qu’elles soient immobilière, boursière ou bancaire, toutes les bulles qui s’étaient formées dans l’Archipel éclatèrent les unes après les autres.
Pourtant, juchées sur leur piédestal, les autorités japonaises ne se rendirent pas compte de la gravité de la situation, laissant notamment le yen s’apprécier et la déflation s’installer. Ce n’est qu’après le tremblement de terre de Kobé en janvier 1995 que le gouvernement décida enfin d’employer les grands moyens, mais il était déjà trop tard. Le Japon était déjà tombé dans la « trappe à liquidités ». Dès lors, toutes les mesures de relances budgétaires et monétaires se sont révélées vaines et n’ont fait qu’alimenter la défiance dans l’économie de l’Archipel. D’autant que la population nipponne vieillissait et commençait même à décroître. En fait, si le Japon ne s’est pas complètement effondré c’est essentiellement par trois voies : une épargne pléthorique, un effort de Recherche-Développement conséquent (3,5 % du PIB en moyenne depuis vingt-cinq ans) et une balance courante qui reste excédentaire.
Ces trois airbags n’ont pour autant pas permis d’éviter le déclin durable de l’économie japonaise. Les chiffres illustrant cette déchéance sont éloquents : de 6 % en 1990, la croissance structurelle nipponne est passée à 1,5 % en 2000 et à 1,2 % aujourd’hui. Et si le maintien de l’emploi à vie dans certaines grandes entreprises a permis de limiter la hausse du taux de chômage, ce dernier est tout de même passé de 2,1 % en 1990 à 5,5 % en 2009 pour finalement revenir vers 2,5 % actuellement. Mais la dégradation la plus impressionnante réside dans l’évolution des comptes publics. D’un excédent de 2,0 % du PIB en 1990, ces derniers sont passés à un déficit annuel compris entre 7 % et 10 % du PIB depuis la fin des années 1990 jusqu’à 2013, pour dernièrement revenir vers 4,5 %. Conséquence logique de cette fuite en avant, la dette publique a flambé de 64 % en 1990 à 138 % en 2000 et à 237 % en 2017.
C’est d’ailleurs en cela que les chiffres du premier trimestre 2018 sont particulièrement inquiétants. Car, ne l’oublions pas : les autorités japonaises n’ont quasiment plus de marge de manœuvre pour relancer la machine. Certes, dans la mesure où 97 % de la dette publique de l’Archipel est détenue par des Japonais, ils n’ont pas besoin de faire appel aux fonds internationaux. Sauf qu’avec un niveau de quasiment 240 %, la dette publique devient véritablement dangereuse. De même, forte de 1 250 milliards de dollars de réserves de changes, la Bank of Japan peut injecter des liquidités. Néanmoins, ces fonds ne sont pas inépuisables et risquent de s’évaporer très vite. Enfin, en rapatriant leurs capitaux de l’étranger, les Japonais alimentent la hausse du yen, cassant par là même le peu de croissance économique qui leur reste.
Dans ce cadre, le Japon risque de repasser par la case récession. Pour autant, l’impact d’une baisse du PIB nippon et même d’une éventuelle récession japonaise à l’échelle de la planète sera limité. Non seulement parce que celle-ci sera temporaire, mais surtout parce que le Japon ne représente plus que 4,2 % du PIB mondial (en parités de pouvoir d’achat), contre 9 % au début des années 1990. De même, si dans les années 1980, l’Archipel contribuait à hauteur de 0,6 point à la croissance annuelle du PIB mondial, cette contribution n’est plus que de 0,1 point depuis la fin des années 1990 et est même passée à 0,07 point depuis 2005.
Des évolutions qui confirment qu’à 110 yens pour un dollar actuellement et a fortiori à 106, comme cela était encore le cas en mars dernier, la devise nipponne reste surévaluée, ce qui handicape durablement l’économie japonaise. En effet, le niveau d’équilibre du yen est d’environ 115 pour un dollar selon la parité des pouvoirs d’achat (PPA), et de 120 selon le Natrex (Natural Exchange Rate, qui, en plus de la PPA, intègre les écarts d’épargne, de solde de la balance commerciale et de croissance structurelle).
Dans ce cadre, le seul moyen dont dispose encore le Japon pour sortir définitivement de l’ornière et ne plus retomber en récession et/ou en déflation réside dans une dépréciation durable du yen vers les 120 pour un dollar. La bonne nouvelle est que le resserrement de la politique monétaire américaine, couplé au statu quo de celle du Japon, permettra à cette perspective de devenir réalité d’ici la fin 2018. La mauvaise est qu’entre-temps, la croissance japonaise retombera à 1 % sur l’ensemble de cette année.
Marc Touati