Les écarts économico-financiers USA/UEM justifient un euro plus faible.

Dans un contexte de tensions géopolitiques internationales avivées, de remontée des cours pétroliers et de nouvelle crise économico-politique italienne, il y a enfin une bonne nouvelle qui émerge : la baisse de l’euro/dollar. En effet, alors qu’en février dernier, il culminait à 1,25 dollar et que de (trop) nombreux prévisionnistes le voyaient encore flamber durablement, l’euro avoisine actuellement les 1,19 dollar.

C’est évidemment positif pour la croissance eurolandaise, mais encore trop élevé, sachant que le niveau d’équilibre de l’euro est de 1,15 dollar pour l’ensemble de l’UEM et de 1,05 dollar pour la France.

De plus, en attendant que l’euro ne produise ses effets favorables sur l’activité économique eurolandaise (c’est-à-dire pas avant six mois), cette dépréciation de la monnaie unique vient surtout confirmer les écarts économiques et financiers qui s’installent entre les Etats-Unis et la zone euro.

Ainsi, comme nous l’explicitions dès la semaine dernière dans ces mêmes colonnes et comme le détaillons dans notre « Humeur » de la semaine, l’écart de croissance est reparti à l’avantage de l’oncle Sam dès le premier trimestre 2018.

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Ecart de croissance Zone euro / Etats-Unis : 75 points de retard depuis 1995, ça fait beaucoup !

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Sources : Eurostat, BEA, Calculs ACDEFI

Encore plus inquiétant, alors que les indicateurs avancés de la croissance américaine montrent que cette dernière devrait continuer de bien se comporter en 2018, ceux de la croissance eurolandaise indiquent que celle-ci devrait encore nettement ralentir au cours des prochains trimestres.

Après les indices ZEW, Markit et de la Commission européennes publiés au cours des deux derniers mois, la nouvelle baisse de l’indice Sentix pour le mois de mai vient effectivement d’enfoncer le clou.

L’indice Sentix anticipe une baisse de la croissance eurolandaise vers 1,5 % d’ici l’été 2018.

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Sources : Eurostat, Sentix, ACDEFI

Et, sans attendre l’impact concret de ces indicateurs avancés sur la croissance des prochains trimestres, les statistiques de production industrielle de mars ont apporté leur lot d’inquiétudes. En particulier en France, où la production industrielle a baissé de 0,4 % en mars et surtout de 1,3 % sur l’ensemble du premier trimestre 2018, sa plus mauvaise performance depuis le troisième trimestre 2013.

France : la production industrielle s’effondre.

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Sources : INSEE, ACDEFI

Dans l’industrie manufacturière (c’est-à-dire principalement hors énergie), la situation est encore plus précaire puisque la production y a chuté de 1,8 % sur le premier trimestre 2018, du jamais vu depuis le quatrième trimestre 2012.

Au-delà de leur caractère extrêmement défavorable, ces évolutions posent une question déterminante sur la variation du PIB français au cours de ce même premier trimestre. Et pour cause : en dépit de l’effondrement de la production industrielle, l’INSEE annonce une progression du PIB de 0,3 %.

Or, si l’on se réfère aux derniers trimestres de forte baisse de la production, en l’occurrence le quatrième trimestre 2012 et le troisième trimestre 2013, le PIB français avait reculé de respectivement de 0,1 % et de 0,01 %.

En d’autres termes, soit l’évolution du PIB français du premier trimestre 2018 va être révisée en forte baisse, soit l’INSEE ne nous dit pas tout…

Même préoccupation du côté de la balance commerciale, dont le déficit s’est encore creusé en mars, à 5,3 milliards d’euros sur un mois, soit 59,8 milliards d’euros sur douze mois.

Le déficit extérieur français se creuse de nouveau.

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Sources : Minefi, ACDEFI

Sur le premier trimestre 2018, le déficit extérieur français a ainsi atteint 15,8 milliards d’euros, contre 14,1 milliards au cours du trimestre précédent. Or, selon les comptes nationaux de l’INSEE, la contribution du commerce extérieur à la croissance du PIB au premier trimestre 2018 a été nulle. Sans doute un nouveau mystère de la statistique française.

Quoiqu’il en soit, il est clair que les écarts de croissance passés et à venir entre les deux côtés de l’Atlantique justifient sans équivoque la baisse de l’euro/dollar.

Il en est de même des écarts d’inflation. En effet, comme cela s’observe d’ailleurs de manière ininterrompue depuis le début 2016, le glissement annuel des prix à la consommation aux Etats-Unis est nettement supérieur à celui qui prévaut dans la zone euro. En avril, l’écart s’est même davantage creusé, puisque le premier a atteint 2,5 % (contre 2,4 % en mars), tandis que le second est retombé à 1,2 % (après 1,3 % en mars).

L’écart d’inflation entre les Etats-Unis et la zone euro se creuse également.

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Sources : BLS, Eurostat, ACDEFI

Ces écarts justifient d’ailleurs en partie les « spreads » de taux d’intérêt monétaires, qui devraient également s’élargir au cours des prochains mois, puisque, face au ralentissement en cours, la BCE n’a d’autre choix que de maintenir le statu quo, tandis que la Fed se doit d’accompagner l’augmentation de la croissance et de l’inflation en remontant son taux objectif des federal funds vers 2,5 % d’ici la fin 2018.

Les écarts de taux directeurs Fed/BCE confirment que la baisse de l’euro est normale et doit se prolonger.

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Sources : BEA, ACDEFI

Les « spreads » de taux des obligations d’Etat sont encore plus importants. Et pour cause : le taux d’intérêt à dix ans des Bonds américains flirte avec les 3 % depuis le début 2018, tandis que celui du Bund allemand se stabilise autour de 0,5 %. Avec des niveaux de 250 points de base, les spreads de taux longs atteignent ainsi des sommets historiques.

Autrement dit, que ce soit sur les marchés monétaires ou obligataires, les réalités financières militent pour une nette baisse de l’euro/dollar.

Les « spreads » de taux longs Bond-Bund atteignent des sommets historiques.

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Sources : Minefi, ACDEFI

Mais ce n’est pas tout, puisqu’en plus des domaines économiques et financiers, le terrain politique devient de plus en plus favorable à une baisse de l’euro.

En effet, sans parler du blocage persistant (en dépit des efforts du Président Macron) de la construction européenne, le troisième pays de la zone euro, en l’occurrence l’Italie, est sur le point d’être dirigé par un gouvernement antisystème, mêlant l’extrême droite et l’extrême gauche, avec notamment pour objectif la sortie de la zone euro. Comme on pourrait le dire dans un film de Federico Fellini : Incredibile ! Face à cette perspective tout aussi triste que rocambolesque, les taux d’intérêt des obligations de l’Etat italien ont évidemment augmenté. Pour autant, ils n’ont pas encore flambé, le taux à dix ans se stabilisant même à 1,9 %.

L’Italie va-t-elle sonner le glas de la zone euro ?

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Sources : ECB, ACDEFI

Une fois encore, la morphine de la BCE permet de maintenir la zone euro et les marchés dans le déni de réalité. Mais jusqu’à quand ? Car si la baisse de l’euro/dollar va forcément apporter quelques effets bénéfiques à la croissance eurolandaise, ceux-ci risquent rapidement d’être effacés en cas de crise politique majeure au sein de l’UEM.

La baisse de l’euro insuffisante pour relancer la croissance eurolandaise ?

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Sources : Eurostat, ACDEFI

C’est d’ailleurs bien là que réside la différence principale entre les Etats-Unis et la zone euro : quelques soient les évolutions financières, économiques et géopolitiques internationales, il est à peu près sûr que les Etats-Unis d’Amérique seront encore là dans 50 ans, mais, malheureusement, on ne peut pas en dire autant pour la zone euro, ne serait-ce qu’à l’horizon de la prochaine décennie…

Marc Touati