Avant tout, nous devons signaler à ceux qui, comme nous, sont des Européens de la première heure, que les réalités décrites dans les quelques lignes à venir sont très dures à supporter.
En effet, depuis vingt-cinq ans, les matchs économiques Etats-Unis/Europe se suivent et se ressemblent. A chaque fois, l’écroulement de l’Oncle Sam est annoncé, tandis que la résistance de l’économie européenne est avancée. Et pourtant, à chaque fois, c’est exactement l’inverse qui se produit.
La première expérience de ce type remonte à 1995. A l’époque, de nombreux prévisionnistes annoncent qu’après un redressement technique en 1993-94, l’économie américaine est en train de repartir dans les affres de la récession. A l’inverse, après une récession dramatique en 1993, puis une reprise corrective en 1994, l’Europe est généralement présentée comme la zone qui retrouve le chemin d’une croissance forte et durable, damant le pion à l’Oncle Sam.
Bien loin de ce scénario, ce dernier joue à plein la carte de la Révolution des Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication et connaît une croissance historiquement forte, doublée d’un taux de chômage au plus bas et d’une inflation durablement faible et ce jusqu’à la fin 2000. Dans le même temps, le Vieux Continent, ou plus précisément la future zone euro, s’enlise dans la croissance molle et ne redémarrera qu’en 1998 pour ralentir dès la fin 2000.
En 2002, bis repetita. Les Etats-Unis apparaissent sonnés par la récession de 2001 et les attentats du 11 septembre, tandis que la zone euro est très souvent présentée comme un havre de stabilité, de croissance forte et d’inflation limitée. Le résultat est le même qu’en 1995 : l’économie américaine repart dès 2002 et retrouve le chemin d’une croissance supérieure à 3 % à partir de 2003. A l’inverse, la zone euro s’effondre et frôle la récession en 2003 pour ne finalement redémarrer qu’en 2006 et pour ensuite décélérer dès… 2007. C’est d’ailleurs là l’un des grands drames de l’économie européenne : elle met généralement cinq à sept ans à suivre les Etats-Unis dans les phases de croissance, mais suit ces derniers sans délai lors des périodes de ralentissement.
Autrement dit, si les cycles de croissance se sont raffermis et prolongés aux Etats-Unis, en Europe, les phases de croissance appréciable ont subi une évolution inverse : elles duraient environ cinq ans dans les années 1980, trois dans les années 1990 et douze mois dans les années 2000…
D’ailleurs, en 2008-2009, l’histoire se répète une troisième fois. En effet, à l’époque, la grande majorité des observateurs économiques, des prévisionnistes et des intervenants de marché prévoyaient une récession massive outre-Atlantique alors que la zone euro devait, selon eux, rester sur la voie d’une croissance soutenue. Mais, une fois encore, le consensus a eu tort. Certes, l’économie américaine est bien tombée en récession, mais pour en sortir durablement dès 2009. Bien différemment, la zone euro a également plongé en récession en 2008, mais n’y est ressortie que temporairement en 2010 pour y retourner dès le deuxième trimestre 2011 et jusqu’au premier trimestre 2013.
Et ce n’est malheureusement pas terminé. Car, si certains pensaient que la roue avait tourné en 2017 à l’avantage de l’Union Economique et Monétaire (UEM), laissant définitivement les Etats-Unis loin derrière, il n’en a rien été. Ainsi, après quelques trimestres de dépassement de la croissance américaine par celle de la zone euro, le naturel a vite repris le dessus.
Et pour cause : au premier trimestre 2018, le glissement annuel du PIB eurolandais est retombé à 2,5 % tandis que celui du PIB américain est remonté à 2,9 %. Depuis 1995, l’écart de croissance Etats-Unis-UEM est donc logiquement reparti à la hausse, pour atteindre désormais 74,9 points.
En outre, les indicateurs avancés de l’activité américaine indiquent que la consommation des ménages et l’investissement des entreprises devraient rester soutenus outre-Atlantique, mais fortement ralentir dans la zone euro. Dans ce cadre, la croissance du PIB américain devrait avoisiner les 2,5 % sur l’ensemble de l’année 2018, contre au mieux 2 % dans la zone euro. Que dire alors des écarts de taux de chômage, qui a atteint 3,9 % en avril aux Etats-Unis, un plus bas depuis décembre 2000, contre 8,5 % dans la zone euro en mars, soit encore 1,2 point de plus qu’à la fin 2007.
Face à l’ampleur de ces écarts, deux questions s’imposent : comment la zone euro en est arrivée là et pourquoi n’a-t-elle toujours pas tiré les leçons des erreurs du passé ? Certains répondront que les Etats-Unis ont choisi la facilité en soutenant leur activité avec une politique économique accommodante, tandis que l’Euroland a su faire preuve de courage en acceptant la récession pour lutter contre l’inflation. Et c’est justement là que le bât blesse. En effet, les dirigeants eurolandais n’ont que très tardivement compris que l’inflation n’était pas le danger principal. Et qu’au contraire, la clé résidait dans la croissance soutenue et son corolaire le plein-emploi.
A l’inverse, aux Etats-Unis, tout est fait pour la croissance et l’emploi, tout en sachant que dès que ceux-ci sont de retour, la politique économique cesse d’être accommodante. Dans la zone euro, il n’en est rien : le dogmatisme ne cesse de primer sur le pragmatisme, tant en matière de politique monétaire que de politique budgétaire, de stratégie de change ou encore de vision du monde. En d’autres termes, (à l’exception notable des Allemands) nous préférons maintenir des dépenses publiques pléthoriques sans croissance forte à la clé, tout en donnant des leçons au reste du monde plutôt que d’agir en profondeur, en favorisant l’efficacité économique et sociale. Quel dommage !
Marc Touati