Ne l’oublions jamais : même s’ils peuvent parfois paraître complexes, voire impressionnants, les marchés financiers ne sont finalement qu’une simple représentation des relations humaines. Balzac aurait parlé de la « Comédie humaine » et Angelo Beolco (dit Ruzzante) de la « Commedia dell’arte ».
Pour faire encore plus simple, John Maynard Keynes évoquait les « animal spirits », c’est-à-dire les instincts animaux qui sont tels que, dans le climat troublé qui prévaut sur les marchés, le mimétisme est préféré à la rationalité économique. En effet, face à l’incertitude et à la peur, les investisseurs suivent souvent le troupeau tête baissée, fonçant tout droit vers le vide. Les amateurs de Rabelais retrouveront sans difficulté la matérialisation des fameux moutons de Panurge.
Et justement, dans ce panurgisme structurel, les investisseurs cherchent régulièrement des règles ou plutôt des adages auxquels se raccrocher, a fortiori dans des périodes comme celles que nous vivons depuis la crise de 2008 et aussi depuis l’installation de bulles financières depuis 2016, qui ont renforcé les incertitudes et brouillé davantage les pistes entre les marchés financiers et la réalité économique.
Sans faire un catalogue de ces dictons (il en faudrait presque un livre), rappelons-en quelques-uns : « Acheter la rumeur et vendre la nouvelle », « acheter au son du canon et vendre au son du clairon », « vendre à Rosh Hashana et acheter à Kippour », « on ne rattrape pas un couteau qui tombe », « tant qu’on n’a pas vendu, on n’a pas perdu », ou encore « à long terme, on est sûr de gagner », et, enfin, pour coller à l’actualité brûlante, « sell in May and go away ».
En fait, comme tous les dictons, ces proverbes boursiers sont loin d’être toujours vérifiés. Essayez par exemple d’expliquer à un investisseur qui a misé sur le Nikkei en 1990 (lorsqu’il valait 40 000 points) qu’il est sûr de gagner sur le long terme… Peut-être que ses petits-enfants reverront un jour l’indice phare de la bourse de Tokyo à un tel niveau…
Il en est de même pour le fameux mois de mai, qui serait traditionnellement un mois baissier pour les indices boursiers. Sans remonter aux calendes grecques, l’observation du Dow Jones depuis 2000 infirme cette hypothèse. En effet, sur les dix-huit derniers mois de mai, seuls huit ont été négatifs pour le Dow Jones.
De plus, bien loin des conjectures funestes relatives au mois de mai, seuls deux d’entre eux ont enregistré une forte décrue, en l’occurrence – 7,9 % en mai 2010 et – 6,2 % en mai 2012. A l’inverse, depuis 2000, quatre mois de mai ont été particulièrement euphoriques : 2003 (+ 4,4 %), 2007 (+ 4,3 %), 2009 (+ 4,1 %) et 2013 (+ 3,4 %). Ce n’est donc plus « go away » mais « golden way »…
Encore mieux, ou plutôt encore pire pour les « superstitieux du mois de mai », la variation moyenne de ce dernier entre 2000 et 2017 a été légèrement positive, soit précisément + 0,05 %, c’est-à-dire toujours très loin du scénario catastrophe. Notons enfin que la dernière baisse du Dow Jones sur un mois de mai remonte à celui de 2012, mais que depuis 2014, son augmentation au cours de ce même mois a oscillé entre + 0,1 % et + 0,9 %.
N’en déplaise aux devins du calendrier, il faut donc se rendre à l’évidence : il n’y a pas de règle boursière relative au mois de mai. Tout dépend du contexte économico-politico-financier du moment. Or, pour cette année, force est de constater que celui-ci milite plutôt pour une baisse notable. Non seulement, parce qu’après le mini-krach de février, les indices boursiers ont retrouvé leur exubérance irrationnelle et exagérément progressé en mars-avril, mais aussi parce que les récents indicateurs économiques ont été globalement négatifs. Les derniers indices Markit montrent ainsi que la croissance mondiale va encore ralentir au cours des prochains trimestres.
Dès lors, après un mois de mai difficile, celui de juin pourrait bien être encore plus dramatique. D’ailleurs si, depuis 2000, les mois de mai n’ont pas été si négatifs que certains le voudraient, ceux de juin ont été bien plus dévastateurs. En effet, douze d’entre eux ont consacré une variation négative du Dow Jones.
Au cours de celui de 2008, un mini-krach a même été enregistré (- 10,2 %). A l’inverse et contrairement aux belles performances du mois de mai, aucun mois de juin n’a bénéficié d’une forte progression, la plus élevée atteignant simplement 3,6 % en 2010. Au total, la variation moyenne du Dow Jones au cours des dix-huit derniers mois de juin a été négative, à savoir – 1,3 %.
En d’autres termes, s’il y a bien un mois dont il faut se méfier c’est plutôt celui de juin, qui, avec août et septembre, constituent une sorte de triangle des Bermudes des marchés boursiers. De quoi réconforter les « mages du calendrier »…
Cette année encore ne devrait pas déroger à cette règle. Car, si le mois de mai risque de réserver pas mal de mauvaises surprises, les dangers de juin s’annoncent particulièrement coriaces : le 13, la Réserve fédérale américaine devrait ainsi resserrer une nouvelle fois son étreinte monétaire ; le 14, lors de sa réunion de politique monétaire, la BCE pourrait également durcir son discours. Entretemps, il faudra malheureusement craindre la poursuite voire l’exacerbation des mouvements sociaux en France, mais aussi la publication de nombreuses enquêtes de conjoncture à travers la planète qui pourraient encore jeter le doute sur l’état de la croissance mondiale.
En conclusion, pas besoin d’être devin pour comprendre que les marchés boursiers internationaux vont rester particulièrement chahutés au cours des deux prochains mois, et certainement jusqu’à la fin de l’année. Accrochez-vous !
Marc Touati