Selon les dernières estimations et projections du FMI, qui ont été publiées le 17 avril, la croissance mondiale a atteint 3,8 % en 2017 et devrait avoisiner les 3,9 % tant en 2018 qu’en 2019. Formidable ! Pourtant, à côté de cet optimisme de façade, le FMI n’a pas manqué de souligner que l’économie mondiale devenait de plus en plus fragile, notamment à cause d’une dette galopante à travers la planète. Celle-ci a effectivement atteint 237 000 milliards de dollars fin 2017, soit 317,8 % du PIB mondial, un record absolu. De plus, compte tenu de l’aggravation des risques géopolitiques et d’augmentation du protectionnisme, sans oublier d’une inévitable guerre des monnaies et du dégonflement des bulles boursières, le FMI a de plus en plus de mal à cacher son inquiétude.
Autrement dit, sans vouloir affoler les foules, le FMI est en train de préparer l’opinion à l’imminence d’une nouvelle crise internationale. Face à cette dernière, une question s’impose : quels sont les pays les mieux armés contre une nouvelle tempête économico-financière internationale ?
Malheureusement, il ne s’agit pas des pays développés. Et pour cause : ces derniers ont déjà utilisé toutes leurs cartouches de soutien à l’activité : taux d’intérêt monétaires historiquement bas (même s’ils remontent légèrement aux Etats-Unis depuis plus d’un an), « planche à billets » pléthorique, dont les effets ont été particulièrement mitigés, flambée de la dette publique, qui dépasse les 100 % du PIB des deux côtés de l’Atlantique, sauf dans certains pays, principalement l’Allemagne. Dès lors, en cas de nouvelle crise, la grande majorité des pays développés ne pourra pas relancer la machine, comme cela a pu être le cas en 2008.
Il faudra donc, une fois encore, se tourner vers les pays émergents, pour savoir si ces derniers pourront, une nouvelle fois, sauver la croissance mondiale. Mais là aussi, les inquiétudes sont nombreuses : ralentissement en Inde et dans de nombreux Tigres et Dragons d’Asie, convalescence prolongée de l’Amérique latine, faiblesse récurrente de la croissance dans de nombreux pays africains et du Moyen-Orient.
En fait, à l’instar de ce qui s’est produit en 2008, 2011 et 2015, la Chine pourrait, une nouvelle fois, tirer son épingle du jeu. En effet, comme nous l’avons d’ailleurs souvent expliqué, notamment dans ces mêmes colonnes, les autorités chinoises disposent d’un sens de l’anticipation très développé. Ainsi, pendant que les Occidentaux peinent à se transposer à un horizon de six mois, les Chinois n’hésitent pas à faire des prévisions à dix ans, voire sur plusieurs décennies. C’est en partie grâce à cette vision de long terme qu’ils ont pu connaître une croissance exceptionnelle et quasiment ininterrompue depuis le début des années 80. De 1980 à 2017, le PIB chinois a ainsi progressé de 2 862 % en volume, c’est-à-dire hors inflation (selon les statistiques du FMI). Sur la même période, l’augmentation du PIB réel atteint 869 % en Inde, 165 % aux Etats-Unis et 91 % en France. C’est dire l’ampleur du « miracle » chinois.
Conséquence logique de ce rattrapage détonant, la part de la Chine dans le PIB mondial (mesuré en parité de pouvoir d’achat) est passée de 2,3 % en 1980 à 18,7 % aujourd’hui. Celle de l’Inde de 2,9 % à 7,6 %, celle des Etats-Unis de 21,7 % à 15,5 % et celle de la France de 4,4 % à 2,1 %.
Seulement voilà, les arbres ne montent pas au ciel, quand bien même s’agirait-il de sequoias. Autrement dit, depuis une quinzaine d’années, les Chinois savent qu’une crise financière et une crise de croissance sont inévitables. Conformément à leur sens aigu de l’anticipation, ils ont ainsi confectionné deux armes déterminantes, que nous avons coutume d’appeler « airbags », à utiliser en cas de difficultés économiques et a fortiori de crise. En l’occurrence, un taux de change manipulable à l’envi et des réserves de changes pléthoriques, qui sont montées au plus haut à 4 056 milliards de dollars en juin 2014.
Lors de la crise de 2015, les autorités chinoises ont ainsi puisé plus de 1 000 milliards de dollars dans leurs réserves de changes pour stopper l’hémorragie, ce qui a permis à la croissance de l’Empire du milieu de repartir sans difficulté. Si bien que, depuis le début 2017, les réserves de changes chinoises sont reparties à la hausse, atteignant actuellement 3 143 milliards de dollars.
De plus, si en 2017, les Chinois ont laissé le yuan se réapprécier, ils ne manqueront pas de réactiver l’arme du taux de change, en dévaluant le yuan en cas de nouvelle crise.
Et oui, les Chinois de 2018 ne sont pas les Japonais de la fin des années 1980, qui avaient accepté d’apprécier fortement le yen, pour faire plaisir aux Américains et aux Européens, pensant au passage faire du Japon la première puissance mondiale. Ainsi, le yen passait de 200 yens pour 1 dollar à 80 yens en quelques trimestres. Mais cette décision fut en fait l’erreur stratégique de trop et constitua le point de départ d’une descente aux enfers que les plus grands « Bears » de l’époque n’auraient pu imaginer. Et pour cause : qu’elles soient immobilières, boursières ou bancaires, toutes les bulles qui s’étaient formées dans l’Archipel éclatèrent les unes après les autres, plongeant le Japon dans une crise et une déflation de plus de vingt ans, qui ne sont d’ailleurs toujours pas complétement terminées aujourd’hui.
Bien loin de ce « péché d’orgueil » doublé d’un manque de discernement dramatique, les dirigeants chinois restent maîtres de leur devise et empêcheront toute appréciation excessive du yuan.
En conclusion, lors de la prochaine et imminente crise mondiale, la Chine renforcera encore sa puissance économique et financière vis-à-vis des Etats-Unis, de la zone euro et du reste du monde.
Marc Touati