Depuis une quinzaine d’années, une nouvelle réalité mondiale s’est imposée. La Chine et l’Asie sont devenues les leaders de la croissance mondiale, l’Amérique Latine est en pointe (en dépit de soubresauts récurrents), les Etats-Unis s’accrochent et l’Europe traîne la patte. Et l’Afrique dans tout ça ? Habitués à se focaliser sur trois ou quatre continents, les économistes (nous y compris) font souvent l’impasse sur le continent africain. Les raisons sont multiples : manque de statistiques, donc difficulté pour établir des prévisions, faible visibilité en matière de relations économiques et financières, instabilité géopolitique…
Pourtant, en dépit (ou à cause ?) de ces difficultés chroniques, l’Afrique constitue le continent où le potentiel de croissance est certainement le plus fort, car non encore exploité. D’ailleurs, lors de la crise de 2008-2009, alors que la grande majorité des pays de la planète sombraient dans la récession, l’Afrique a été l’une des rares zones de la planète (avec notamment la Chine, l’Inde, l’Australie, le Moyen-Orient, Israël et quelques autres) à ne pas connaître de baisse annuelle de son PIB.
En effet, après avoir déjà atteint 5,2 % en 2008, la croissance africaine a frôlé les 2,5 % en 2009. Mieux : de 2010 à 2016, la progression annuelle moyenne du PIB africain a été de 4,3 %. Bien entendu, cette croissance n’est pas homogène et a notamment bénéficié aux pays disposant de ressources naturelles importantes et/ou réussissant à réformer leur économie et/ou à attirer des capitaux étrangers, notamment en provenance de Chine. Parmi, les champions de la croissance, on distingue par exemple l’Ethiopie (avec une croissance annuelle moyenne de 10,1 %), le Ghana (7,1 %), le Mozambique (6,6 %), la République du Congo (6,4 %), l’Ouganda (5,8 %) ou encore le Nigéria et la Côte d’Ivoire (5,4 %), sans oublier le Maroc, qui, avec une croissance moyenne de 3,6 % constitue le leader de l’Afrique du Nord. Au bas de l’échelle, on distingue en revanche, le Sud-Soudan (- 6,8 %), la Libye (- 6 %), la République de Centre-Afrique (1,3 %), mais aussi l’Afrique du Sud, dont le PIB n’a progressé que de 1,8 % en moyenne de 2010 et 2016 et constitue ainsi une des grandes déceptions de ces dernières années.
Nous touchons d’ailleurs là au problème clé de la grande majorité des pays africains : l’instabilité politique et sociétale, qui empêche la croissance de prendre son envol et la pauvreté de reculer massivement et durablement. En 2017, selon les calculs du FMI, le PIB de toute l’Afrique n’est d’ailleurs que d’environ 2 300 milliards de dollars. Et seuls six pays africains (sur un total de 55) dépassent les 100 milliards de dollars de PIB : le Nigéria (avec 395 milliards), l’Afrique du Sud (344), l’Egypte (330), l’Algérie (175), l’Angola (124) et le Maroc (110). A titre de comparaison, le PIB italien dépasse les 1 900 milliards de dollars (2 570 milliards de dollars pour le PIB français) et seuls huit pays de la zone euro affichent des PIB inférieurs à 100 milliards de dollars (Malte, Chypre, l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la Slovénie, le Luxembourg et la République Tchèque).
De même, les PIB par habitant restent particulièrement faibles, avec un niveau annuel d’environ 2 500 dollars pour l’ensemble de l’Afrique en 2017, un plus haut de 15 600 dollars pour les Seychelles et un plus bas de 222 dollars pour le Sud-Soudan, qui constitue également le plus faible PIB par habitant de la planète. Pis, sur les trente pays les plus pauvres du monde (selon ce critère de PIB par habitant), vingt-cinq sont africains. A titre d’information et juste pour se rendre compte de l’écart qui sépare les pays africains de ceux du reste du monde, il faut savoir que le PIB par habitant est d’environ 39 600 dollars en France, 59 500 aux Etats-Unis et 107 700 au Luxembourg (estimations du FMI pour 2017). Rassurez-vous, nous ne sommes pas devenus altermondialistes du jour au lendemain, mais ces écarts rappellent simplement que, s’ils s’en donnent les moyens, les pays africains disposent d’une marge de croissance considérable.
Ce chemin vers la croissance a déjà été emprunté par la grande majorité des pays d’Asie, par ceux d’Amérique Latine, sans oublier l’Europe qui, il y a encore une cinquantaine d’années, comportait également pas mal de pays en voie de développement. Cette accession à la réussite économique ne sera possible que si les pays africains mettent en œuvre une plus grande stabilité politique, des Etats de droit et s’ils favorisent la transparence de leurs systèmes économiques et financiers. Si tel est le cas, comme cela se produit d’ailleurs d’ores et déjà dans certains pays africains, la mondialisation apportera ses fruits.
Car, arrêtons de diaboliser le développement des échanges internationaux. Bien entendu, celui-ci n’est pas parfait et produit toutes sortes de scories et d’inégalités. Néanmoins, la mondialisation permet aussi des transferts de capitaux et de technologies, qui sont les seuls capables de permettre la réalisation d’un « grand bond en avant » sur le chemin économique. Les Chinois, les Indiens, les Latino-Américains l’ont bien compris, c’est maintenant aux Africains de franchir le pas. Après avoir été longtemps présentés comme des pays sous-développés, trop dépendants du monde occidental, les pays émergents et notamment ceux d’Afrique sont donc en train de devenir des terres de croissance soutenue qui pourront demain tirer l’économie mondiale vers le haut. Mais, attention, rien n’est encore gagné. D’ailleurs, en dépit d’un niveau potentiel d’environ 6 %, la croissance effective du continent africain est tombée vers les 2 % tant en 2016 qu’en 2017.
Autrement dit, après l’Europe, l’Amérique, puis l’Asie, l’Afrique attend encore son heure. Il ne reste donc plus qu’à espérer que ses dirigeants sauront lui garantir un minimum de stabilité économique et sociale pour ne pas « rater le train ». En attendant, du côté de l’Occident et en particulier de la France, l’Afrique et l’ensemble du monde émergent doivent être considérés comme des terres de croissance en puissance, donc des marchés à prendre et par là même des créateurs de richesses et d’emplois. Les Chinois l’ont déjà bien compris et mis à profit, il serait temps de nous réveiller.
Marc Touati