Economie mondiale : la fin d’un monde ?

Sommes-nous entrés dans un nouvel ordre de l’économie mondiale ? Les “puissances” mondiales sont-elles toujours les mêmes aujourd’hui ? Quelles conséquences pour l’énergie mondiale ? Pour l’économiste Marc Touati, l’Europe ne décide plus de rien.

Bonjour, nouvelle PE Car que nous allons consacrer à l’évolution de l’économie mondiale et à ses conséquences sur le marché de l’énergie, avec notre invité, l’économiste Marc Touati. Dans ce livre, La fin d’un monde, chez Hugo Doc, que vous avez publié à l’automne 2016, vous tentez de nous alerter sur l’évolution de l’économie mondiale alors que nous pays riches, en Occident, en Europe, nous sommes riches, mais nous ne décidons plus de rien.

C’est comme lire une cassette VHS dans un lecteur DVD. L’idée est simple.

Aujourd’hui, le monde émergent, les pays émergents, la Chine, etc., représente près de 60 % de la richesse mondiale.

On est moins de la moitié, on est autour de 40 %, et surtout, chaque année, 80 % de la croissance mondiale provient du monde émergent.

Quand on dit : “Ce qui se passe en Chine n’est pas important, “c’est nous qui décidons”, on a complètement raté le virage.

J’explique dans ce livre que les prises de décisions ne sont plus chez nous.

Les pays puissants qui font les normes, ça reste les États-Unis, l’Allemagne, le Japon, en partie, le dialogue technique des règles mondiales, y compris bancaires, se font là. En quoi est-ce que ça bascule et ce serait en train de nous échapper ?

On le voit bien. On l’a vu dernièrement. Quand le monde développé essaie d’imposer les règles, les pays émergents ne les respectent pas. Ils ont la force de ne pas les respecter. Globalement, on ne peut rien leur dire car ce sont eux, les leaders de la croissance mondiale.

Les États-Unis résistent encore. Le mouvement de Trump, c’est la volonté de dire : “l’Amérique est toujours là.” Mais malheureusement, la zone qui a le plus souffert dans cette “décadence”, c’est notamment l’Europe et la zone euro.

Le poids dans le PIB mondial, c’était 21 % dans les années 90, aujourd’hui, c’est à peine 11 %. Ce qui montre bien que malheureusement, le pays, la zone qui a le plus souffert, c’est la zone euro, notamment la France.

Oui, mais certains disent aujourd’hui qu’il faudrait revenir à une forme de protectionnisme, puisqu’on a beaucoup souffert de ce développement mondial.

C’est là qu’est l’erreur, puisque la source de croissance mondiale vient du commerce mondial.

Pour faire simple : pour avoir une croissance mondiale d’environ 3 %, cette année, on aura 3,5 %, dans le meilleur des cas, il faut une croissance du commerce mondial de 10 % en valeur.

Si demain on joue la carte très dangereuse du protectionnisme, on ferme les frontières, le commerce mondial va s’effondrer. Il n’y aura pas de croissance mondiale.

Si je veux un ordinateur français, comment je fais ? Ça n’existe plus. Si je fais du protectionnisme, je vais devoir payer plus pour des produits qui ne sont plus faits en France ou aux États-Unis.

Et pour ne pas relocaliser en six mois.

Ça prendra des années.

Au fond, Trump a eu l’air d’aller dans cette ligne, et en vérité, là, il annonce des investissements considérables dans la défense, dans les services publics. Pour l’instant, il n’a pas l’air de montrer une fermeture des frontières sur le plan du commerce mondial.

Il sait que s’il ferme toutes les frontières, s’il met des barrières douanières, tous les concurrents des États-Unis feront la même chose. Ils ne pourront plus exporter.

Ce qui est important, ce que les Américains ont bien compris et les Anglais, malgré tout, c’est le concept de croissance structurelle. Elle s’obtient lors d’un fonctionnement normal de l’économie, c’est-à-dire sans crises, sans relances, niveau normal.

Aujourd’hui, c’est à peu près 2,5 % de croissance hors inflation par an aux États-Unis ou au Royaume-Uni. En Chine, c’est à peu près 6,5 % car il y a un effet de rattrapage. 2,5% pour un pays développé, c’est très bien. Le problème, c’est qu’en zone euro et en France, on a seulement 0,7 % de croissance culturelle. Le problème n’est pas au niveau mondial, mais national.

Ce qui m’intéresse, c’est dans votre vision globale de l’économie et de son évolution mondiale, la conséquence sur la dimension énergétique, sur la dépense, sur le commerce des ressources premières, énergétiques.

C’est très intéressant. C’est là où nous, pays riches, on a encore un train de retard ou un avion de retard.

Les révolutions technologiques se font en premier dans le monde émergent. Notamment, dans l’énergie. Ça devient intéressant, car le seul moyen de faire de la croissance infinie ou durable dans un monde fini, c’est en optimisant l’existant au travers du progrès technologique. C’est intéressant car notre génération a des difficultés et des chances : on a deux grandes révolutions technologiques qui ont commencé. Une, la plus importante, les NTE, Nouvelles Technologies de l’Énergie et dans le domaine agroalimentaire.

Aujourd’hui, on sait très bien qu’on a devant nous un boulevard de croissance, des décennies de croissance, si on joue cette révolution. C’est intéressant de voir que dans les pays émergents, ils font le saut technologique.

Alors, est-ce qu’il y a un paradoxe ? En Chine, par exemple, on voit des villes nouvelles totalement propres, et pourtant, la Chine, l’Inde, le Brésil sont des producteurs d’énergies fossiles, par exemple, d’énergies classiques, des pollueurs aussi, et des gros consommateurs. Ils se projettent dans 30 ans comme étant encore des consommateurs de fossiles. N’y a-t-il pas un paradoxe entre leur hyper modernité et leur consommation renouvelable qu’ils poussent avec des coûts très bas, et le fait qu’il reste des gens qui souhaitent du gaz, du pétrole ?

En Chine, il y a 450 millions de Chinois qui vivent correctement, comme des Européens. Ils étaient 100 millions il y a 15 ans. Il reste 900 millions qui attendent. On ne peut pas les équiper dans les nouvelles technologies, c’est ça, le problème. On a besoin des anciennes énergies. Mais ce qui est important, c’est que l’accélération se fait sur les nouvelles technologies. C’est la grande nouveauté.

On serait en train de le rater ?

Oui, nous les Européens, on rate l’énergie, ce qui est dommage, là, on est dans une voiture hybride, c’est que nous, les Français, leaders dans les années 80 en énergie, en voiture électrique, nous ayons raté le virage.

Renault reprend ce virage de la voiture électrique.

On peut donner des noms, la Prius. Toyota, ça date de 1997, 1998.

Ils avaient pris le virage plus tôt.

On est en 2017 ! Bien sûr qu’on prend le virage, mais beaucoup trop tard. Or les premiers arrivés sont les mieux servis. L’enjeu est là. Ça, on le voit dans ces pays émergents, on a cette dynamique de croissance. C’est là qu’on retombe sur le problème de modernisation de nos économies, leurs structures sont trop lourdes. Il y a trop de fiscalité, trop de pressions réglementaires. On va trop loin. Ce qui fait que malheureusement, regardez le principe de précaution, on n’a pas le droit de chercher. Donc on a un gros problème. Alors, bien sûr, de Gaulle disait : « Les chercheurs qui cherchent, on en trouve, les chercheurs qui trouvent, on en cherche ». Le problème est de trouver. On sait que le nombre de brevets par habitant est faible.

Vous dites qu’il faut faire sauter certains blocages, on le retrouve dans La fin d’un monde. Ça veut dire que la demande en potentialité énergétique de toute sorte, aussi bien fossile, nucléaire que renouvelable, le mix énergétique mondial dans les années qui viennent va rester très hétéroclite, riche, ou il va se concentrer, comme certains en rêvent, uniquement sur le renouvelable ?

Non. On a un prisme large, on a un boulevard de croissance, dans le domaine énergétique. Il faut complètement repenser. Bien sûr, il y a beaucoup d’énergies propres. C’est ça l’écologie. Il faut créer ces alternatives. Tout le monde sera d’accord pour être écologiques ou écologistes. Sachant qu’on aura développé ces nouvelles technologies de l’énergie, qui nous permettront d’avoir une planète en croissance mais plus propre et moins dépendante des énergies fossiles, traditionnelles.