Croissance européenne et mondiale : la France de plus en plus seule. (E&S n°273)

Humeur :

La France de plus en plus isolée en Europe.

Alors que l’Allemagne continue de tourner le dos à la morosité économique, que le Royaume-Uni a renoué avec la croissance soutenue et que les PIIGS (Portugal, Irlande, Italie, Grèce et Espagne) sortent progressivement de la crise, la France continue de « briller » par sa mollesse économique.

Ainsi et sans surprise, le tube de l’été « la reprise est là… » n’a pas passé l’automne dans l’Hexagone. Et pour cause : à peine a-t-elle fait son apparition que la fameuse reprise a déjà disparu. Telle pourrait être la synthèse de la première version des comptes nationaux de la France au troisième trimestre 2013. En effet, après avoir reculé de 0,4 % du deuxième trimestre 2012 au premier de 2013, puis avoir rebondi de 0,5 % au deuxième, le PIB français a rechuté de 0,1 % au troisième.

Mais au-delà de cette contre-performance sur laquelle nous allons revenir ci-après, la vraie tristesse réside dans le fait que la France est l’un des rares pays d’Europe occidentale (avec l’Italie et Chypre, respectivement – 0,1 % et – 0,8 %) à connaître une variation négative de son PIB au troisième trimestre 2013. + 0,8 % pour le Royaume-Uni, + 0,3 % pour l’Allemagne et la Belgique, + 0,2 % pour l’Autiche et le Portugal, ou encore + 0,1 % pour l’Espagne et les Pays-Bas.

Quant à la zone euro dans son ensemble, son PIB a progressé de 0,1 %, enregistrant ainsi son deuxième trimestre consécutif de croissance. La dernière fois que la France a connu deux trimestres consécutifs de progression du PIB remonte aux troisième et quatrième trimestres 2011. Cela commence à faire long…

Mais, au-delà de ces chiffres sujets à caution et à révision, le plus inquiétant est que cet écart entre la France et ses partenaires européens risque de s’aggraver. En effet, elle est le seul pays européen à refuser de réformer son économie en profondeur et reste de ce fait menacée par un nouveau plongeon.

D’ores et déjà, le détail des comptes nationaux français du troisième trimestre a de quoi inquiéter. Et pour cause : en retirant la contribution de la formation de stocks, variable ô combien artificielle, le PIB français a en fait chuté de 0,6 % au troisième trimestre. En d’autres termes, en dehors d’un mouvement de restockage technique, l’économie française reste bien ancrée dans une léthargie dangereuse.

Pis, à côté d’une consommation sous perfusion qui n’a progressé que de 0,2 % au troisième trimestre, l’investissement s’est de nouveau effondré de 0,6 %, une contre-performance identique pour l’investissement des entreprises et celui des ménages. Cela fait désormais sept trimestres consécutifs que l’investissement recule dans l’Hexagone, soit une régression de 4,7 %. Par rapport à son point haut du premier trimestre 2008, l’investissement national enregistre un effondrement de 13 % !

La France demeure donc bien engoncée dans le cercle pernicieux « désinvestissement-chômage-croissance zéro ». La nouvelle baisse de l’emploi de 0,1 % au troisième trimestre ne fait d’ailleurs que confirmer ce triste état des lieux. Pour retrouver une variation positive de l’emploi dans le secteur marchand, il faut même remonter au deuxième trimestre 2011. Depuis lors, on recense un total de 189 600 destructions d’emplois nettes. Et ce n’est malheureusement pas terminer. Dans ces conditions, le chômage va continuer d’augmenter, alimentant la morosité ambiante, notamment sur le front de la consommation.

Que dire enfin des exportations qui se sont affaissées de 1,5 %. Le problème est que la vigueur de ces dernières était la pierre angulaire des prévisions de reprise du gouvernement…

Plus globalement, avec un acquis de seulement 0,1 % au sortir du troisième trimestre, la croissance annuelle du PIB français devrait bien avoisiner le zéro pointé en 2013. Quant à celle de 2014, elle devrait au mieux atteindre 0,9 %, contre 1 % pour la zone euro. Il faut donc admettre la triste réalité hexagonale : le taux de chômage va se rapprocher des 12 % en 2014, le déficit public va rester supérieur à 4 % du PIB et la dette publique atteindra les 100 % du PIB.

La validation sans enthousiasme du projet de budget 2014 de la France par la Commission européenne montre d’ailleurs qu’à l’instar des économistes indépendants (de plus en plus rares dans notre « doux pays »), cette dernière reste inquiète sur les perspectives économiques et budgétaires hexagonales. Avec, en toile de fond, un malaise sociale de plus en plus prégnant.

En conclusion, avec des prix à la consommation qui ont encore reculé de 0,1 % en octobre (soit un glissement annuel de 0,6 %), la France est non seulement menacée par la stagnation, le chômage de masse, mais aussi par la déflation et, in fine, la crise sociale. Mais, quand nos dirigeants politiques vont-ils enfin réagir et surtout agir dans le bon sens, c’est-à-dire celui emprunté par tous nos partenaires européens ? S’obstiner seul dans l’erreur risque vraiment de coûter très cher à la France…

 

Marc Touati



Quid de l’économie et des marchés cette semaine :

Mamie Yellen aime la croissance et les marchés…


Janet Yellen, future présidente de la Fed, est sur le point de devenir la femme la plus puissante du monde. Et si jusque-là, la science économique et la finance mondiale ont été incroyablement dominées par des hommes, il ne fait aucun doute que le virage de politique monétaire qui devra être amorcé par cette colombe participera à la faire entrer dans l’Histoire.

Janet Yellen, une adepte du salaire d’efficience et de l’illusion monétaire

Encore peu connue du grand public il y a quelques mois, Janet Yellen dispose en revanche d’une notoriété certaine dans le monde académique. Tout d’abord, parce qu’elle est mariée à George Akerlof, co-lauréat du prix Nobel d’économie en 2001 pour ses travaux sur les asymétries d’information. Mais surtout parce qu’avec ce même Akerlof, elle est l’auteur en 1986 d’un célèbre papier intitulé Efficiency Wage Models of the Labor Market. Il s’agit plus précisément de modèles qui mettent en évidence une relation croissante entre le niveau de rémunération perçu par un salarié et son niveau de motivation et d’implication dans l’entreprise.

Un papier fort intéressant mais qui comporte néanmoins des faiblesses. En effet, des tensions peuvent apparaître au sein d’une entreprise en fonction de la présence plus ou moins élevée de syndicats. Dès lors, l’évolution du salaire d’efficience (comprenez le niveau optimal qui garantit au dirigeant un engagement total de la part de son salarié) peut s’avérer plus rapide que l’évolution de la productivité du travailleur. Toutes choses égales par ailleurs, ce décalage contraint alors l’entreprise à réviser à la hausse sa politique de prix afin de conserver un niveau de marge identique. Un processus tout bonnement inflationniste, auto-entretenu par des revalorisations salariales annuelles quasi automatiques.

Ce biais inflationniste ne pose pourtant pas de problème aux économistes néo-keynésiens. Bien au contraire. Ils soutiennent effectivement que les travailleurs sont victimes de l’illusion monétaire. Un salarié raisonnera ainsi toujours en termes de salaire nominal sans tenir compte de l’évolution des prix (et donc, par extension, de sa capacité réelle à consommer). Janet Yellen, qui succèdera à Ben Bernanke à la tête de la Fed en 2014, devra pourtant éviter ce type de réflexe dogmatique si elle veut mener à bien son double mandat. Pour mémoire en effet, le banquier central américain a en charge la promotion du plein emploi mais aussi le maintien de la stabilité des prix (la cible d’inflation est de 2%).

L’héritage de Ben Bernanke est considérable

Et à l’heure où la reprise américaine se confirme et que le taux de chômage s’inscrit sur une tendance baissière, c’est paradoxalement un travail gigantesque qui attend Janet Yellen. Sa première mission ne sera en effet pas des moindres. Elle consistera en la réduction progressive du programme de rachat d’actifs mis en place par la Fed, en prenant garde de ne pas affoler les marchés. En mettant sur pied une politique monétaire dite non conventionnelle, Helicopter Ben a en effet habitué les investisseurs internationaux à l’euphorie monétaire, voire même à l’ivresse. Une liquidité abondante (85 milliards de dollars par mois) conjuguée au maintien des taux cibles des federal funds à un niveau proche de zéro qui ont permis de booster les marchés boursiers dont les indices atteignent des niveaux records.

L’effervescence qui s’empare des marchés à l’approche de chacune des prises de parole du banquier central témoigne ainsi du lourd héritage que lègue Ben Bernanke à Janet Yellen. Cette dernière devra, à l’instar de son prédécesseur, rivaliser d’habilité et de discernement pour faire passer les bons messages dans le but de pouvoir apaiser des marchés sans cesse sur le qui-vive. Car aucune erreur de communication n’est permise, sous peine de sanctions sévères. En témoigne par exemple l’évaporation de 3 000 milliards de dollars sur les places financières le 22 mai dernier suite à une simple évocation par Ben Bernanke du tapering. « Retirer le bol de punch quand la fête s’anime », la célèbre formule de William McChesney Martin Jr, président de la Fed entre 1951 et 1970, résume parfaitement la tâche qui attend Janet Yellen.

Si la mission s’annonce périlleuse, Janet Yellen est néanmoins très bien placée pour relever le défi. Présidente de la Banque fédérale de San Francisco entre 2004 et 2010, elle a ensuite passé trois longues années auprès de Ben Bernanke, en tant que vice-présidente du conseil des gouverneurs de la Fed. A ce titre, elle connait mieux que quiconque les risques liés à une mauvaise communication du banquier central. Elle est d’ailleurs à l’origine de la politique de forward guidance de la Fed qui consiste, depuis janvier 2012, à annoncer des objectifs chiffrés d’inflation et de chômage. Par ailleurs, Janet Yellen est assurément une fine analyste économique réputée pour sa méticulosité et son goût de la prévision économique. Ainsi, selon une étude récente réalisée par le Wall Street Journal, de tous les responsables actuels de la Fed, elle est celle qui a établi les prévisions les plus justes entre 2009 et 2013

 

Janet Yellen révolutionnera-t-elle la politique monétaire américaine ?

Son allocution réussie du 14 novembre dernier devant le Sénat américain a par ailleurs de quoi rassurer les marchés financiers. Janet Yellen y a notamment développé ses visions quant aux performances de l’économie américaine et du marché du travail qui demeurent encore « très loin » de leur niveau potentiel, dans un contexte d’inflation contenue. Une manière habile pour cette colombe de garantir aux investisseurs la poursuite d’une politique monétaire ultra-accommodante. Du moins, à court terme. Elle ne s’est en effet pas privée d’ajouter que le soutien actuel à la reprise constitue «  le chemin le plus sûr pour revenir à une approche plus normale de la politique monétaire ». L’annonce officielle d’un changement en douceur de la politique de la Fed dans les mois à venir ? Oui, clairement. Un véritable modèle de communication.

Si son pragmatisme et son aisance à l’oral devraient permettre une transition monétaire paisible, jusqu’où Janet Yellen osera-t-elle aller ? Issue d’une famille traumatisée par la Grande dépression des années 1930 et par le chômage de masse qui s’en suivit, Janet Yellen a toujours privilégié dans ses travaux académiques les questions ayant trait au chômage. De là à imaginer qu’elle révolutionne la politique monétaire américaine en fixant une priorité sur la croissance (à travers notamment un taux de chômage cible) plutôt que sur le strict respect de la cible d’inflation, il n’y a qu’un pas. Un bouleversement plausible quand on sait qu’en 2010 le FMI, par l’intermédiaire de son économiste en chef Olivier Blanchard, et le keynésien et prix Nobel 2008 Paul Krugman, avançaient qu’une cible d’inflation à 4% permettrait de relancer la croissance économique et de diminuer le fardeau du poids de la dette.

Argentier de la planète, un poste fantastique et amplement mérité pour cette femme dont la carrière a jusque-là été exemplaire. Et si le départ de Ben Bernanke marque le début d’une nouvelle aventure, celle-ci devrait s’avérer passionnante tant Janet Yellen est charismatique. Dotée d’une grande expertise économique et d’un incroyable aplomb, sa réussite à la tête de la Fed participa à la faire entrer dans l’Histoire.

 

Anthony Benhamou

 



Les évènements à suivre du 18 au 22 novembre :


Zone euro : légère baisse des indicateurs avancés.


 

Calendrier complet des statistiques et évènements de la semaine :


Nos prévisions économiques et financières pour 2013-2014 :

Pour visualiser les tableaux et graphiques, merci de consulter le fichier pdf