Euro fort, France faible : argent trop cher ! (E&S n°270)

Humeur :

Euro trop fort, argent trop cher…

Et c’est reparti pour un tour : alors que l’économie eurolandaise commence à peine à sortir la tête de la récession, l’euro se remet à flamber, ce qui finira par susciter prochainement une nouvelle rechute de l’activité. Mais quand allons-nous enfin doter la zone euro d’une véritable gouvernance économique efficace ?

En effet, depuis 2007, c’est la même chanson : l’euro trop fort, que nous appelons également « l’euro killer », est une véritable punition pour les pays de l’UEM, à l’exception peut-être de l’Allemagne. Rappelons la réalité empirique : à chaque fois que l’euro s’apprécie de 10 % sur une année, il retire 0,4 point à la croissance eurolandaise. Pis, au-delà des 1,30 dollar, ce coût avoisine les 0,8 point.

Les vecteurs de transmission de cette appréciation excessive à l’économie réelle sont au nombre de trois. Primo, le renchérissement abusif des exportations qui réduit mécaniquement ces dernières. Secundo, la diminution du prix des produits importés amoindrit automatiquement la compétitivité des biens fabriqués dans la zone euro et notamment en France qui se retrouvent donc en concurrence déloyale par rapport aux importations. D’où moins d’activité, moins d’emplois, plus de chômage, mois de revenus et moins de consommation… Tertio, avec un euro trop fort, les acquisitions dans l’UEM deviennent plus chères pour des investisseurs étrangers. A l’inverse, les investissements à l’étranger deviennent plus intéressants, d’où une réduction global des investissements en zone euro.

D’ailleurs, que ce soit en 2007-2009, puis en 2011-2012, les conséquences de cet euro trop fort ont été dramatiques, puisque la zone euro est entrée en récession dès le deuxième trimestre 2008, que cette récession a été plus forte qu’aux Etats-Unis et que, « grâce », une fois encore, au retour d’un euro trop fort au printemps-été 2009, la reprise eurolandaise a été l’une des plus faibles au monde. De même, en 2011-2013, l’UEM est la seule zone de la planète à être retombée en récession. Merci l’euro fort !

En dépit de ces réalités incontestables, les mêmes erreurs se répètent. Ainsi, alors que la zone euro commençait enfin à retrouver le chemin d’une croissance supérieure à 0,5 %, en particulier grâce à l’Allemagne, l’euro s’apprécie de nouveau depuis quelques mois et à un rythme dangereux depuis quelques jours.

Le raisonnement sous-jacent est toujours le même, c’est-à-dire consensuel mais erroné. Il s’appuie sur le fantasme selon lequel l’économie américaine irait beaucoup plus mal que celle de la zone euro. Et ce malgré la réalité des chiffres : au moins 2 % de croissance pour les Etats-Unis cette année et l’an prochain, contre 0 % pour la zone euro cette année et 1 % en 2014. Là où le bât blesse encore plus, c’est que si l’euro reste fort, le 1 % de croissance de l’an prochain va vite devenir une douce illusion et laissera place au retour de la stagnation. Avec des conséquences évidemment dramatiques en termes d’emplois et de déficit public. D’où un retour en force des crises de la dette publique en Grèce, en Espagne… et aussi en France.

Pis, les crises sociales qui se sont installées un peu partout dans la zone euro prendront du poil de la bête, engageant la plupart des pays eurolandais dans une situation politique de plus en plus difficile.

Plus que jamais, l’euro à 1,38 dollar n’a aucun sens économique. Certes, il est supportable pour l’Allemagne, mais invivable pour les autres membres de la zone euro. Néanmoins, il ne sert à rien de se battre contre des moulins. Et ce d’autant que les Etats-Unis ne veulent prendre aucun risque sur leur croissance et sont amplement satisfaits de pouvoir profiter encore d’un dollar faible sur le dos des européens. Le mouvement spéculatif sur l’euro/dollar a donc encore quelques beaux jours devant lui.

Dans ce cadre, l’euro devrait se stabiliser autour des 1,35 dollar, et même flamber vers les 1,40 dans les prochaines semaines. Il sera alors temps d’acheter du dollar, car, ensuite, compte tenu du rapide retour en arrière de la croissance eurolandaise, l’euro reviendra vers les 1,25 dollar, voire les 1,20. Niveau, qui rappelons-le, constitue celui du taux de change naturel et reste le seul moyen de pouvoir permettre à la zone euro de retrouver le chemin d’une croissance durablement forte.

Mais tant que les Eurolandais préféreront être les dindons de la farce, il faudra continuer à compter les points : en plus pour la croissance américaine et en moins pour celle de la zone euro. Il faudra aussi apprendre à naviguer entre 1,20 et 1,40 sur l’euro/dollar au gré des publications statistiques et des décisions de politique monétaire des deux côtés de l’Atlantique. Les marchés des changes vont donc rester particulièrement actifs et les risques sociaux de plus en plus dangereux. Euro trop fort, argent top cher… une réalité qui va forcément mal finir…

 

Marc Touati



Quid de l’économie et des marchés cette semaine :

PEA : Professionnels En Arnaques…


Coup de poignard ! Vol ! Guet-apens ! Holdup ! Racket ! Si la énième séquence fiscale du gouvernement a fait jaser de nombreux observateurs, cette fois-ci un point de non-retour semble avoir été atteint. En cause notamment, la rétroactivité sur la fiscalité du Plan Epargne en Actions (PEA) prévue par la Loi de Financement de la Sécurité Sociale 2014 (LFSS). Une rupture unilatérale et fourbe du contrat de confiance entre le gouvernement et les citoyens français pour la modique somme de 600 millions d’euros…

Après « Où est Charlie ? », place au jeu de « La taxe cachée ».

« Le temps est venu de faire (…) une pause fiscale ». Cette annonce hâtive de François Hollande le 30 août dernier, avait pour objectif d’apaiser les craintes des entreprises et des ménages français dans un contexte de reprise économique timide. Une joie pourtant de très courte durée. Rapidement en effet, le premier ministre Jean Marc Ayrault n’eut d’autre choix que de reporter la pause fiscale à 2015. Un exemple consternant de la cacophonie fiscale qui domine le paysage économique et social français.

Et les couacs se suivent et se ressemblent ; d’abord l’annonce d’une nouvelle taxe…, puis la rétractation…, puis finalement le maintien tout en insistant sur le caractère éphémère de la nouvelle taxe qui…, en fait n’est pas nouvelle puisque c’est l’assiette qui se trouve modifiée etc. Il paraît ainsi clair que « le temps est venu de faire » l’acquisition d’une boussole commune afin de cesser la navigation à vue.

C’est dans ce chahut qu’une taxe « cachée » sur les placements est en train de voir le jour. Certains placements qui bénéficiaient jusqu’ici d’une fiscalité allégée vont en effet être désormais taxés à hauteur de 15,5%. S’il s’agit officiellement d’une simplification fiscale portant sur des placements comme l’assurance-vie et surtout les PEA, force est de constater que l’addition devrait être lourde pour de nombreux contribuables français. Car cette loi s’applique de façon rétroactive depuis 1997.

Les gains réalisés sur les PEA étaient jusque-là taxés en fonction du taux applicable l’année où ils étaient réalisés ; à titre d’illustration, les plus-values de 2004 étaient taxées à 10% et celles de 1997 à 4%. Un taux unique de 15,5% s’appliquera désormais sur l’ensemble des gains réalisés sur les PEA, quels que soient l’année et le taux alors en vigueur. De quoi provoquer, fort logiquement, la colère de nombreux épargnants.

Il y a dix ans en effet, alors que la mode était aux produits structurés et aux effets de levier, beaucoup ont préféré investir sur l’entreprise et l’économie réelle. Au risque même de passer pour des ringards. Et quand les tenants de l’innovation financière allaient droit dans le mur, les ringards se transformaient progressivement en chevaliers blancs. Cet énième alourdissement fiscal sonne ainsi clairement comme une trahison.

Et que dire de la manière ? Cette nouvelle disposition fiscale a été subtilement glissée dans les 136 pages que comptent le PLFSS 2014 sans que le gouvernement ne s’attarde sur sa justification économique et sociale… De là à penser qu’il n’y en a pas, la tentation est forte. Le diable se trouve dans les détails, c’est bien connu. Cette absence de communication a en outre de quoi surprendre tant le gouvernement a jusqu’à présent excellé en la matière.

La rétroactivité sur la fiscalité du PEA devrait ainsi rapporter à l’Etat environ 600 millions d’euros. Oui, vous avez bien entendu, 600 millions d’euros. A titre indicatif, la dette de la France est légèrement inférieure à 2 000 milliards d’euros, dont 150 milliards de dette sociale (comprenez l’accumulation des déficits de la sécurité sociale). Briser la confiance d’un grand nombre de français pour l’équivalent d’une caisse de supérette de quartier apparaît alors clairement être une stratégie inquiétante pour le pays.

Un scénario à la chypriote plutôt que la diminution réelle de la dépense publique ?

Combien de temps la schizophrénie gouvernementale va-t-elle encore durer ? Car la hausse de la fiscalité sur le PEA s’inscrit en totale contradiction avec le rapport sur l’épargne financière co-rédigé par Karine Berger et Dominique Lefebvre. Remis le 2 avril 2013 aux ministres Pierre Moscovici et Bernard Cazeneuve, ce rapport préconise en effet la consolidation de la confiance des épargnants et l’incitation en des placements longs afin de mieux répondre aux besoins de financement et notamment ceux des PME. Un véritable éloge de l’épargne longue… pour mieux la manger ? Sans-doute.

Manifestement, la surtaxe du PEA se révèle être d’une incohérence totale. Plus particulièrement au regard de la création du PEA-PME dont le lancement est prévu début 2014. L’objectif de ce nouveau produit consiste en effet à drainer l’épargne des français vers des firmes de taille moyenne. Et si ce placement présente les mêmes « avantages » fiscaux que son grand frère le PEA, il y a fort à parier que les épargnants rechignent à y placer leurs disponibilités ; la notion d’acquis fiscal n’étant désormais plus garantie pour les placements à long terme, un réflexe « court terme » devrait être adopté.

Un véritable bonneteau fiscal de plus en plus insupportable qui ne fait qu’écorcher l’image de l’hexagone à l’étranger et briser la confiance de l’ensemble des français. La confiance ? Certainement l’élément le plus important pour assister à un rebond de la consommation et surtout de l’investissement pour in fine pouvoir renouer avec des taux de croissance positifs. Seule une hausse du PIB permettrait en effet la création d’emplois et allégerait le fardeau du poids de la dette qui se rapproche dangereusement du seuil des 100%.

Cependant, à défaut de taux de croissance positif, la hausse de la fiscalité semble être l’unique option que le gouvernement a trouvée pour épouser la trajectoire budgétaire dictée par Bruxelles. Une rigueur intolérable qui ne touche quasiment pas la dépense publique. Une rigueur intolérable qui ne fait que cibler les entreprises et, désormais, les épargnants. Une rigueur intolérable qui s’apparente à un bail in où personne n’aurait une chance de s’en sortir. A se demander même si l’ile de Chypre ne serait pas devenue frontalière à la France.

Dans un rapport récent, le très sérieux, mais néanmoins de moins en moins crédible, FMI a tenté d’avancer ses solutions aux problèmes d’endettement des pays développés. Et alors que les Etats-Unis étaient en plein shutdown et négociaient le relèvement du plafond légal de la dette, l’institution a préconisé l’instauration d’une taxe à taux unique de 10% sur toute l’épargne financière nette des ménages. Ceci revient à faire payer ceux qui ont préparé leur avenir au détriment de ceux qui ont dépensé de l’argent qu’ils n’ont jamais eu.

Force est donc de constater que la rétroactivité sur la fiscalité du PEA ressemble en tous points à la recommandation du FMI. Et à l’aube d’une nouvelle dégradation de la notation souveraine française, il est évident que les responsables politiques français se sont de nouveau livrés à une improvisation fiscale dont eux seuls ont le secret. A moins que la France ne soit sous plan FMI sans que personne ne le sache…

 

Anthony Benhamou

 



Les évènements à suivre du 28 octobre au 1er novembre :


Etats-Unis : léger ralentissement en vue.


 

Calendrier complet des statistiques et évènements de la semaine :


Nos prévisions économiques et financières pour 2013-2014 :

Pour visualiser les tableaux et graphiques, merci de consulter le fichier pdf