France, Zone euro, Etats-Unis : les dangers n’ont pas disparu. (E&S n°269)

Humeur :

La France toujours en danger…

En dépit de la morosité ambiante, de la multiplication des plans de licenciement et des tensions sociales qui ne cessent de croître sur l’ensemble du territoire, le gouvernement n’en démord pas : l’économie française se porte bien et va bientôt faire des étincelles. Certes, l’accord in extremis sur le budget et la dette publique outre-Atlantique a permis de rasséréner les esprits, du moins temporairement. Pour autant, les risques sont toujours élevés, en particulier en Europe et en France plus précisément.

Evidemment, nous aimerions tous annoncer le retour de la croissance forte dans l’Hexagone. Pourtant, soyons réalistes : il n’en est rien. Et ce, notamment parce que l’économie française reste fragilisées par cinq handicaps : un matraquage fiscal insupportable, une crise de la dette qui est loin d’être terminée non seulement en France mais dans la grand majorité des pays européens, des taux d’intérêt qui remontent et vont encore augmenter dans les prochains mois, un euro trop fort, et, pour couronner le tout, un manque de confiance durable.

Revenons sur cette liste des freins à la croissance qui n’est malheureusement pas exhaustive.

1. Le matraquage fiscal est devenu confiscatoire. Avec un taux de prélèvements obligatoires de plus de 46 % du PIB, la France a conforté son titre de champion du monde de la fiscalité. Le gouvernement lui-même commence à admettre l’idée d’un ras-le-bol fiscal. Pourtant, il continue d’augmenter la pression fiscale. A croire qu’il souffre d’une véritable crise de schizophrénie. Et c’est bien là que le bât blesse. Car, à force de ponctionner les entreprises et les ménages, tout en augmentant les dépenses publiques de fonctionnement, le gouvernement est en train de casser la corde qui permettait aux entreprises de continuer à investir et à embaucher malgré une pression fiscale et réglementaire prohibitive.

2. La crise de la dette publique est toujours bien présente. Et pour cause : depuis désormais six ans, la croissance française est insuffisante ne serait-ce que pour rembourser les intérêts de la dette publique. Ainsi, simplement pour payer ces derniers, l’Etat doit encore augmenter sa dette déjà pléthorique. C’est ce que l’on appelle la « bulle de la dette » qui traduit le fait que cette dernière s’autoalimente. A ce rythme, la dette publique atteindra 100 % du PIB courant 2014, suscitant une augmentation des taux d’intérêt des obligations d’Etat.

3. Il s’agit là du troisième frein à la croissance. Après avoir atteint des planchers historiques, permettant de limiter le déficit public, les taux d’intérêt des obligations d’Etat ont déjà repris le chemin de la hausse depuis le printemps dernier. A quasiment 2,5 % aujourd’hui, ils devraient même se rapprocher des 3 % d’ici novembre, lorsque le gouvernement devra reconnaître que le déficit public sera supérieur aux 4,1 % du PIB en 2013 et toujours proche des 4 % en 2014. En plus d’augmenter le coût de la dette publique, cette augmentation des taux d’intérêt cassera l’investissement, l’emploi et la consommation.

4. A plus de 1,35 dollar pour un euro, la devise européenne reste beaucoup trop forte. Le niveau d’équilibre de l’euro/dollar (en fonction des fondamentaux économiques) est de 1,15 dollar pour l’ensemble de l’UEM. Pis, il est de 1,05 pour la France. Il faut donc être réaliste : tant que l’euro ne passera pas sous les 1,20 dollar, la croissance ne pourra redémarrer significativement et durablement.

5. Dans le contexte global d’une croissance faible engendrée par ces quatre handicaps, la confiance des entreprises et des ménages va rester faible. Certes, les indicateurs INSEE du moral des industriels et des particuliers se sont légèrement redressés ces derniers mois. Ils restent cependant toujours inférieurs à leur moyenne de longue période et montrent que les acteurs économiques français restent particulièrement inquiets, en particulier sur le front de la fiscalité et du chômage.

Pour conclure, n’en déplaise au gouvernement, mais surtout à l’ensemble des Français, l’atonie économique hexagonale n’est pas terminée. En fait, l’économie nationale s’est engluée dans un cercle vicieux dramatique : désinvestissement-chômage-baisse de la consommation-croissance molle…

Bien pire, l’augmentation de la pression fiscale et le maintien d’un euro trop fort vont alourdir la facture, ou plutôt la « fracture ». Et ce ne sont évidemment pas les artifices tels que les emplois d’avenir ou le CICE qui vont inverser significativement la tendance. Au total, la croissance pourra se stabiliser entre 0 et 1 % au moins jusqu’à la fin 2014, ce qui est très loin d’une vraie reprise qui ne commencerait vraiment qu’à partir d’une progression annuelle du PIB  de 2 %.

Le vrai problème est qu’avec une croissance structurelle (c’est-à-dire celle obtenue lors d’un fonctionnement normal de l’économie) de seulement 0,8 %, l’atteinte de la barre des 2 % est devenue inenvisageable. Du moins tant que la France refusera d’engager de véritables réformes structurelles, telles que la baisse de la pression fiscale pour tous (entreprises et ménages), la réduction des dépenses publiques vers un niveau plus efficace de 50 % du PIB (contre 57,1 % actuellement), sans oublier la diminution du coût du travail et des rigidités réglementaires en tous genres.

La bonne nouvelle est donc que nous savons ce qu’il nous reste à faire. La mauvaise est qu’à l’inverse de la grande majorité de leurs homologues à travers l’Europe et le monde, les dirigeants français n’ont pas le courage politique suffisant pour mettre en œuvre ces mesures de bon sens. Quel gâchis…

 

Marc Touati



Quid de l’économie et des marchés cette semaine :

Y a-t-il une poule mouillée pour sauver les Etats-Unis ?


Deux semaines après l’échec des négociations sur le budget américain, la planète Terre avait les yeux rivés sur les hauteurs de Washington. Démocrates et républicains tentaient en effet d’y négocier un accord sur le relèvement du plafond de la dette. Si les Etats-Unis d’Amérique sont passés tout près de l’abysse fiscal, le scenario happy end a finalement pris le dessus. Vraiment ?

Une énième négociation pour une entente chimérique.

Après le fiscal cliff de janvier 2013 et le budgetary sequester d’avril 2013, une nouvelle terminologie a fait son apparition dans tous les médias depuis le 1er octobre ; le shutdown. Ce terme désigne la fermeture partielle d’un ensemble d’agences fédérales américaine suite à l’échec des négociations sur le budget 2014. Les républicains (majoritaires à la Chambre des représentants) ont en effet conditionné le vote du budget au report (à défaut d’une suppression) d’Obamacare, la réforme de santé menée par Barack Obama lors de son premier mandat, qui est entrée en vigueur ce mois-ci. Un chantage tout bonnement inacceptable pour les démocrates (majoritaires au Sénat). Une impasse politique, et surtout idéologique, qui a poussé environ 800 000 fonctionnaires fédéraux au chômage technique.

Le shutdown constitue en fait un épisode récurrent de la vie politique américaine. Depuis les années 1970 en effet, la première puissance économique mondiale a connu dix-sept paralysies fédérales et, comme dans tout bon film américain, autant de dénouements favorables. Néanmoins, un autre évènement de la vie politique américaine est venu se télescoper au shutdown, à savoir le débat sur le relèvement du plafond légal de la dette (16 700 milliards de dollars). Une énième querelle bipartisane dont les effets auraient pu être désastreux. En effet, si l’arrêt de l’Etat fédéral a coûté jusque-là 0,6% de PIB (environ 24 milliards de dollars), cette nouvelle impasse constituait sans aucun doute une menace bien plus forte. Probablement un effet de type Lehman Brothers multiplié par dix….

Démocrates et républicains sont bien heureusement (et sans surprise) parvenus à un accord in extremis, sur le plafond de la dette et sur la fin du shutdown. Un épilogue désormais familier. Néanmoins, le monde a véritablement tremblé et le voyage en terre inconnue qu’aurait provoqué une non-entente a été, au moins pendant quelques heures, une hypothèse crédible. En témoignent notamment les inquiétudes du Japon et de la Chine qui détiennent 47% de la dette américaine et qui, de façon inédite, ont appelé à un compromis rapide. En témoigne également la menace sur le AAA américain de l’agence de notation Fitch et le réajustement plus ou moins brutal de taux qui en aurait résulté.

L’accord finalement conclu entre les deux camps prévoit une réouverture des agences fédérales jusqu’au 15 janvier (et le paiement rétroactif du demi-mois de salaire perdu pour les fonctionnaires) ainsi qu’un relèvement du plafond de la dette jusqu’au 7 février. Par ailleurs, une commission devrait être mise en place pour négocier le budget pour le reste de 2014. Les échéances négociées sont toutefois de très courtes durées et une nouvelle pièce de théâtre devrait se jouer très bientôt. Une énième crise budgétaire et un énième accord de dernière minute qui devraient favoriser l’émergence d’un risque de déflagration mondiale. Sans oublier le désordre monétaire lié au tapering de la Fed qui devrait débuter au mois de décembre 2013.

Il faut un James Dean, il faut un chevalier blanc.

Comme dans beaucoup de cas, la théorie des jeux apporte un éclairage intéressant. Elle permet effectivement de simplifier une situation initialement complexe. La non-entente entre démocrates et républicains, qui aurait pu plonger les Etats-Unis en cessation de paiement, ressemble ainsi à un chicken game. La scène se passe devant une falaise (fiscale) où deux chefs de groupe (Barack Obama et John Boehner) se livrent à une course automobile. Le but du jeu consiste à rester le plus longtemps possible au volant de son bolide avant de sauter. Une course de deux semaines qui se termine donc finalement par le saut du camp républicain, qui non seulement a voté le relèvement du plafond de la dette et l’arrêt immédiat du shutdown, mais n’a obtenu aucune concession sur Obamacare.

Si Barack Obama se rêve en James Dean dans Rebel without a cause et John Boehner passe pour une poule mouillée, les deux camps sortent en réalité affaiblis de ce rallye. Tout d’abord parce que l’accord obtenu ne fait que repousser l’échéance de trois mois et qu’une grande entente, véritable problème de fond, n’apparait être qu’une chimère. En outre, de par son intransigeance et sa non-recherche du compromis, Barack Obama a clairement joué avec le feu et aurait pu plonger le monde dans un marasme économique et social sans précédent depuis 1929. Enfin, il convient de souligner que le comportement de John Boehner est difficile à comprendre ; à la fois poule mouillée et chevalier blanc de l’histoire, le chef de file des républicains a en effet participé à la création du désordre économique dans le pays ainsi qu’à la sortie de crise.

L’économie américaine va mieux mais reste fragile.

Sources : BEA, BLS, ACDEFI

NB : En raison du shutdown, les chiffres du chômage de septembre n’ont pas été publiés…

Combien de temps encore de tels conflits de politique intérieure américaine vont-ils durer et mettre en péril l’ensemble des économies mondiales ? A commencer par l’Europe. Toute juste sortie de récession, cette zone demeure effectivement fragile et particulièrement sensible aux chocs externes. Un non accord au Congrès américain aurait ainsi eu des conséquences désastreuses sur les bourses européennes et aurait anéanti le début de reprise (déjà bien timide) que connait la zone.

Mais la situation des émergents n’est pas mieux. La chute de la roupie indienne qui devrait coûter à l’Inde environ 1,4% de croissance en 2013 en est la meilleure illustration. De quoi affaiblir la suprématie américaine dans le monde ? Possible. Selon un média d’Etat chinois, il s’agirait « peut être du bon moment pour une planète abasourdie de commencer à envisager la construction d’un monde désaméricanisé ».

Beaucoup de choses peuvent être dites ou écrites sur ce nouvel épisode de la vie américaine. Qui sont par exemple les responsables, et ont-ils conscience du chaos qu’ils peuvent engendrer ? Force est néanmoins de constater que le débat a le mérite d’exister et que la législation américaine se préoccupe des questions qui ont trait au niveau d’endettement public et de son financement.

Et si cela constituait une leçon pour les pays d’Europe ? De l’autre côté de l’Atlantique en effet, les niveaux de dette publique atteignent des sommets sans qu’aucune limite d’ordre légal ne soit mise en place… de là à se poser la question d’un plafond légal de la dette en Europe… ?

 

Anthony Benhamou

 



Les évènements à suivre du 21 au 25 octobre:


La zone euro reste fragile.


 

Calendrier complet des statistiques et évènements de la semaine :

Nos prévisions économiques et financières pour 2013-2014 :

Pour visualiser les tableaux et graphiques, merci de consulter le fichier pdf