Comme nous l’avions annoncé avant même le vote en faveur du Brexit, ce dernier n’a, pour l’instant, pas produit d’effets dramatiques sur l’économie britannique. De plus, comme nous l’expliquions il y a quinze jours dans ces mêmes colonnes, nos amis d’outre-Manche vont tout faire pour que le Brexit ne leur soit pas trop coûteux, voire avantageux.
Face à ces résultats passés et à venir, certains pourraient en déduire qu’à l’image du Brexit, le Frexit n’aurait pas de conséquences catastrophiques pour l’économie française. Cette déduction est évidemment hâtive et surtout erronée. Et ce, pour au moins trois raisons principales.
Premièrement, avec le Brexit, le Royaume-Uni a certes quitté l’Union européenne, mais n’a pas changé pas de devise. A l’inverse, un Fraxit se traduirait par le remplacement de l’euro par le franc. Or, souvenons-nous que lors du passage du franc à l’euro, il a fallu plus de trois ans pour adapter les systèmes informatiques et la comptabilité des banques et des entreprises au sens large. Dès lors, on imagine le capharnaüm qui suivrait le mouvement inverse. Sans parler de la valse des étiquettes et des confusions en tous genres.
Deuxièmement, en dépit du Brexit, le marché obligataire du Royaume-Uni est et restera crédible. A l’inverse, en cas de Frexit, la France ne pourra plus compter sur la protection de la zone euro et de la BCE, qui a notamment permis de faire baisser massivement le taux des obligations de l’Etat français depuis 2015.
Dans ce cadre, sans la « planche à billets » de la BCE et la crédibilité de l’ensemble de la zone euro, le taux d’intérêt de l’OAT à dix ans montera rapidement vers les 5 %. N’oublions pas que lorsque la Grèce était sur le point de quitter l’UEM, le taux à dix ans des obligations de l’Etat grec est monté à 35 % !
A côté de ces aspects certes techniques mais non-négligeables, la troisième grande différence entre un Brexit et un Frexit réside dans le décalage, pour ne pas dire le fossé, qui existe entre les structures économiques solides du Royaume-Uni et celles particulièrement fragiles de la France.
Quelques chiffres seront bien plus explicites que de longs discours. Ainsi, du premier trimestre 2000 au quatrième trimestre 2019, le PIB réel a augmenté de 40,1 % au Royaume-Uni, contre 28,7 % en France et 27,7 % dans la zone euro. Les écarts de variation du PIB par habitant à prix constants depuis 1980 sont encore plus conséquents : + 99 % outre-Manche, contre + 65 % en France.
Mais malheureusement, il y a pire. En l’occurrence l’évolution du chômage. Ainsi, en données harmonisées par Eurostat, le taux de chômage britannique est actuellement de 3,7 %. Il a même reculé de 1,2 point depuis le vote en faveur du Brexit. Bien loin de cette performance, le taux de chômage français a certes reculé, mais reste supérieur à 8 %.
Cet écart est encore plus dramatique sur le front du chômage des jeunes. Ainsi, le taux de chômage des moins de 25 ans est actuellement de 11 % au Royaume-Uni, contre 20 % dans l’Hexagone (et 15,6 % dans la zone euro). Or, au plus fort de la dernière crise, il faut savoir que le taux de chômage des Britanniques de moins de 25 ans était quasiment identique à ceux de leurs homologues français et eurolandais. En septembre 2011, il est même passé au-dessus, à précisément 22,3 % contre 21,4 % dans la zone euro et 21,9 % en France.
De 2015 à 2019, en dépit des aides pléthoriques et des nombreux « emplois » aidés, le chômage des moins de 25 ans est resté élevé dans l’Hexagone. A l’inverse, avec beaucoup moins d’aides mais beaucoup plus de croissance et de flexibilité du marché du travail, le taux de chômage des jeunes britanniques a perdu plus de 10 points. De quoi rappeler que l’augmentation des dépenses publiques n’est absolument pas la solution pour réduire durablement le chômage.
D’ailleurs, depuis le début des années 1990, le Royaume-Uni a réussi à stabiliser le poids de ses dépenses publiques autour de 40 % de son PIB. Ce qui lui a permis de réduire la pression fiscale et de soutenir sa croissance structurelle. Cette dernière est ainsi passée d’environ 1,2 % au début des années 1990 à 2,3 % actuellement. Cette sagesse des dépenses publiques donne même une marge de manœuvre conséquente à Boris Johnson pour soutenir l’activité britannique au cours des prochaines années.
Bien loin de cette stratégie efficace, la France n’a cessé d’augmenter le poids des dépenses publiques dans son PIB : 49,6 % en 1990, 54,2 % en 1995 et 56 % aujourd’hui. Cela s’est accompagné d’une augmentation maladive de la pression fiscale (qui, rapportée au PIB, est devenue la plus forte de la planète) et a engendré un affaiblissement de sa croissance structurelle, qui est tombée de 2 % en 1995 à environ 0,8 % aujourd’hui.
Grâce à une croissance structurelle vigoureuse (environ 2,3 %), aux effets bénéfiques de la dépréciation contrôlée de la livre sterling, qui reste néanmoins une devise internationale respectée (ce qui serait loin d’être le cas pour le franc français) et à un « policy mix » (c’est-à-dire les politiques budgétaire et monétaire) efficace, l’économie britannique a et devrait continuer de bien résister face au Brexit.
Bien loin de cette résilience, si la France devait sortir de la zone euro, elle pâtirait de six handicaps majeurs : une croissance structurelle moribonde, des coûts organisationnels pléthoriques pour remplacer l’euro par le franc, un dérapage des comptes publics, une « planche à billets » de la Banque de France inefficace et créatrice d’hyper-inflation, un krach obligataire dramatique pour l’Etat, les entreprises et les ménages, sans oublier une crise politique sans précédent. Et donc, au final, une récession durable, un chômage en augmentation et un délitement de la société française. Nous sommes prévenus…
Marc Touati