C’est à en perdre son latin : quels que soient les évènements qui viennent menacer la croissance mondiale et par là même la bonne santé des bourses internationales, ces dernières demeurent quasiment impassibles et continuent de s’engluer dans une bulle qui devient de plus en plus extravagante. En effet, qu’il s’agisse des attaques perpétrées en Arabie Saoudite en septembre 2019, de l’assassinat du général iranien par les Etats-Unis le 3 janvier 2020 et des menaces de représailles sanglantes de la part de l’Iran ou encore plus récemment de la pandémie de Coronavirus qui se répand en Chine et à travers le monde, rien n’y fait ! En dehors de quelques séances de baisse, les bourses internationales continuent leur « petit bonhomme de chemin », comme si de rien n’était… Face à cette étonnante réaction, une question se pose : les marchés boursiers seraient-ils tout simplement devenus éminemment résilients ou alors complètement inconscients ?
Dans le cas des risques engendrés par l’épidémie de Coronavirus, on frise effectivement la folie. Et pour cause : la Chine réalise chaque année environ 40 % de la croissance mondiale. En 2019 par exemple, sur une progression du PIB planétaire de 2,8 %, sa contribution a été de 1,2 point. Cette année, selon nos prévisions et avant même la nouvelle épidémie, sur une croissance mondiale de 2,4 %, la contribution de la Chine devait avoisiner 1,2 point, donc la moitié. Même si l’on espère toutes et tous que le Coronavirus sera rapidement éradiqué et même si la Chine dispose d’une capacité de rattrapage à toute épreuve, laisser croire que ce triste épisode n’aura aucun impact sur la croissance mondiale relève de la gageure ou plutôt de l’aveuglement le plus dangereux.
D’ores et déjà, la suppression des festivités du Nouvel an chinois (qu’il ne sera évidemment pas possible de rattraper…) et les nombreux blocages industriels et commerciaux ont des impacts massifs sur la croissance chinoise, mais aussi sur celle de l’ensemble de ses clients et de ses fournisseurs. Que ce soit chez les constructeurs automobiles européens et mondiaux, mais aussi pour les entreprises dans tous les secteurs industriels à travers le globe, les blocages chinois ont provoqué des ruptures de stocks et des arrêts de production considérables. La Chine étant « l’usine du monde », il est inévitable que son blocage, même temporaire, produise des effets sur l’ensemble de l’économie planétaire.
Que dire alors du secteur du luxe ?! En effet, fer de lance de la croissance mondiale et des bourses internationales, il faut rappeler que, depuis une dizaine d’années, 60 % de la croissance du secteur du luxe mondial provient directement ou indirectement de Chine ! Enfin, le secteur du tourisme commence aussi à souffrir fortement de l’absence des clients chinois, et notamment en France, qui, après les « gilets jaunes », les grèves des transports et le non-ramassage des poubelles, doit faire face à la désertion des touristes chinois…
Selon nos estimations et en étant très optimistes, c’est-à-dire en souhaitant que le Coronavirus ne va pas se développer davantage, les blocages déjà observés devraient générer une baisse de la croissance chinoise de 6 % actuellement à 4 % dès le premier trimestre 2020. Même si un rebond est possible, cela signifie que la croissance annuelle moyenne du PIB chinois devrait au mieux atteindre 4,5 % en 2020, soit un manque à gagner pour la croissance mondiale de 0,3 point.
Ce n’est certes pas dramatique, mais, compte tenu des effets en cascade du ralentissement chinois sur l’ensemble des économies du globe, une baisse de la croissance mondiale sous les 2 % en 2020 n’est malheureusement pas impossible.
Pourtant, face à ce danger immédiat, les marchés boursiers continuent d’avancer dans une bulle qui ne veut plus s’arrêter de gonfler. Certes, d’aucuns rappellent que lors de l’épidémie de SRAS du printemps 2003, les bourses internationales n’avaient pas trop souffert. Peut-être, mais, à l’époque, elles venaient de toucher leur plus bas post-11 septembre 2001 et guerres en Afghanistan et en Irak. Entre son sommet du début 2000 et son plancher du 11 mars 2003, le Dow Jones avait par exemple chuté de 36 %. Il était donc loin de la bulle qui prévaut aujourd’hui, sachant que depuis 2017, le même Dow Jones a flambé de plus de 60 % !
En outre, à l’époque, la croissance chinoise est passée de 10,8 % à 7,9 %. Aujourd’hui, elle tomberait de 6 % à 4 %. Enfin, en 2003, la Chine ne représentait « que » 8 % du PIB mondial (en parités de pouvoir d’achat), contre quasiment 20 % à l’heure actuelle. Autrement dit, les conséquences du SRAS et celles du Coronavirus sur la croissance et les bourses internationales ne sont absolument pas comparables.
Face à de telles évidences, la nonchalance récente des marchés boursiers n’en est que plus incongrue. Mais malheureusement, elle s’explique très bien. Elle est tout simplement due à la situation de « paradis artificiel » engendré par la politique ultra-accommodante des banques centrales à travers le monde et notamment par leurs « planches à billets » pléthoriques. Ces dernières constituent une sorte de « drogue dure » qui permet aux bourses internationales de faire fi des dangers environnants et notamment du fort ralentissement à venir de l’activité mondiale. Or, ne l’oublions jamais, les marchés boursiers sont censés refléter une réalité économique, en l’occurrence celle des profits, elle-même liée à la croissance mondiale. Si cette dernière chute, le château de cartes s’effondre.
Les banques centrales et leur « cocaïne à profusion » permettront peut-être de reculer l’échéance, mais l’inévitable ne peut être évité. Et lorsque le krach se produira, il sera malheureusement impossible de relancer la machine comme en 2009, car les autorités politiques, budgétaires et monétaires de la planète n’auront plus de cartouche pour y parvenir.
En conclusion, en plus du Coronavirus, le monde reste menacé par deux autres dangereux virus : la fuite en avant des banques centrales et l’inconscience des marchés boursiers.
Marc Touati