Et c’est reparti ! Après les comptes en Suisse, puis les « Panama Papers », la classe politico-médiatique mondiale semble redécouvrir que la Terre n’est pas plate et s’émeut des fameux « Paradise Papers », qui dénoncent notamment l’optimisation fiscale réalisée par de nombreuses personnalités françaises et internationales dans ce que l’on appelle pompeusement et avec une forte dose de culpabilisation des « paradis fiscaux ».
« Oh que c’est vilain ! Pourtant, depuis le G20 d’avril 2009, on nous avait promis que les paradis fiscaux avaient disparu ! Oh ben mince alors ! On nous aurait donc menti ?! » Soyons donc sérieux et arrêtons de nous voiler la face : il existe aujourd’hui une cinquantaine de paradis fiscaux à travers le monde. Citons-en quelques-uns parmi les plus connus et par ordre alphabétique : Antigua, les Bahamas, le Bahrein, le Costa-Rica, les Emirats Arabes Unis, le Libéria, les Philippines, les Seychelles, l’Uruguay… Il existe également des paradis fiscaux qui font partie intégrante de pays de l’OCDE qui ont « pignon sur rue ». Citons par exemple Gibraltar, Jersey ou les îles Caïman sous pavillon britannique, l’Etat américain du Delaware, la principauté de Monaco (qui est presque française), Saint-Martin ou Curaçao (sous dépendance néerlandaise), Hong-Kong et Macao, appartenant à l’Empire du milieu. Enfin, certains paradis fiscaux sont tout simplement des pays développés, notamment Singapour et la Suisse, et d’autres font même partie de la zone euro, en l’occurrence le Luxembourg et l’Irlande.
Et oui, on l’oublie trop souvent, mais selon la définition officielle de l’OCDE, un paradis fiscal est un « pays ou territoire à fiscalité réduite ou nulle, c’est-à-dire où le taux d’imposition est jugé très bas en comparaison avec les niveaux d’imposition existant dans les pays de l’OCDE ». Selon cette considération, on pourrait donc même y inclure le Royaume-Uni, voire le Portugal. Pour attirer les entreprises et les particuliers étrangers, ce dernier a effectivement décidé d’exonérer d’impôt pendant dix ans les ressortissants de l’Union européenne qui auraient la gentillesse de s’installer dans les contrées lusitaniennes.
Si l’on pousse le raisonnement à l’extrême, dans la mesure où la France est l’un des pays au monde où le taux de prélèvements obligatoires est le plus élevé, cela signifie donc que, pour un Français, la quasi-totalité des pays de la planète sont des paradis fiscaux. Nous touchons là au nœud du problème car si les paradis fiscaux sont si nombreux c’est avant tout parce qu’il existe des enfers fiscaux ! En d’autres termes, si nous réduisons massivement la pression fiscale en France et ailleurs, les paradis fiscaux n’auront plus lieu d’être car le jeu n’en vaudra plus la chandelle.
Bien entendu, nous ne parlons ici que des personnes et entreprises honnêtes. Il est clair que l’argent sale, les fraudes et arnaques en tous genres doivent être combattus avec une tolérance zéro. De même, il est tout à fait normal de payer des impôts dans son pays, ne serait-ce que par reconnaissance et surtout par solidarité envers les plus démunis. Car il est clair que si l’impôt permet de réduire les inégalités et de vaincre la pauvreté, alors oui, celui-ci est tout à fait salutaire. Mais, est-ce vraiment le cas en France aujourd’hui, voire depuis déjà une vingtaine d’années ? Regardons la réalité en face : depuis les années 1980, les impôts et les dépenses publiques n’ont cessé de flamber. Et ce, que ce soit, en valeur, en volume (c’est-à-dire hors inflation) et surtout en pourcentage du PIB. Or, en dépit de cette gabegie de dépenses publiques et de cette fiscalité de plus en plus confiscatoire, la croissance structurelle de la France est passée de 2,5 % à moins de 1 %, le chômage atteint des proportions dramatiques, les inégalités augmentent et la pauvreté s’accroît. Autrement dit, les Français paient de plus en plus d’impôts, mais l’économie française et la solidarité qu’elle devrait mettre en place fonctionnent de moins en moins bien.
Encore plus grave, l’obstination à vouloir augmenter sans cesse la pression fiscale casse la croissance, ce qui finit par réduire l’assiette fiscale et limiter les recettes de l’Etat. Conséquence logique de ce manque de clairvoyance et de ce dogmatisme maladif, les déficits publics sont restés dramatiquement élevés, entraînant la dette vers des niveaux inadmissibles. Le plus drôle (du moins pour les amateurs d’humour noir) est que les gouvernements successifs, et notamment ceux de François Hollande, ont justement utilisé l’argument de la nécessité de réduire les déficits pour justifier leurs augmentations d’impôts. La boucle est donc bouclée, mais dans le mauvais sens. Et pour faire croire aux citoyens que l’aggravation de la pression fiscale est normale, on montre du doigt ceux qui en ont assez de payer énormément pour alimenter le mammouth de la dépense publique sans réduire les inégalités.
Dans la mesure où nous vivons (heureusement d’ailleurs) dans une économie internationale ouverte, les plus aisés pourront alors quitter la France. Les dindons de la farce seront donc, une fois encore, la classe moyenne qui s’appauvrit d’ailleurs d’année en année. C’est bien là que réside l’un des principaux drames de la stratégie d’augmentation de la pression fiscale : cette dernière ne fait finalement qu’appauvrir les Français et égaliser vers le bas. Pis, au-delà des artistes, chefs d’entreprise et autres ingénieurs qui quittent la France, ce sont des milliers d’emplois qui sont en danger. Avec un taux de chômage de 9,7 % en catégorie A et de 22 % toutes catégories, il est clair qu’une rechute de l’activité et les destructions d’emplois qui en suivront ne feront qu’aggraver la situation, ce qui accroîtra encore les déficits et la dette, incitant de nouveau les dirigeants hexagonaux à augmenter encore les impôts… et le cercle pernicieux continuera…
Il faut donc arrêter de faire croire que tous nos maux sont dus aux paradis fiscaux, arrêter également de liguer les Français les uns contre les autres et d’attiser la lutte des classes. Le seul moyen de sortir la France du marasme est, au contraire, de réduire massivement la pression fiscale qui pèse sur les ménages et les entreprises, et pas seulement de réduire d’un côté pour augmenter de l’autre, comme le font les dirigeants actuels. Si tel n’est pas le cas et si on continue à stigmatiser les Français qui ont réussi et qui paient donc beaucoup d’impôts, alors il faut se préparer à un véritable exode fiscal qui coûtera très cher à notre beau pays et ce pendant de très nombreuses années.
Marc Touati