L’humeur de la semaine

Cachez cette récession que je ne saurais voir…

Cachez cette récession que je ne saurais voir…

Lorsqu’il y a environ six mois, nous écrivions dans ces mêmes colonnes que les Etats-Unis devraient éviter la forte récession mais que c’était plutôt la zone euro qui était menacée par cette dernière, nous n’étions pas pris au sérieux. Lorsqu’il y a trois mois, nous exprimions notre agacement à l’égard d’une BCE sourde à la réalité économique, qui ne cessait de répéter que la croissance eurolandaise se portait durablement à merveille, on nous demandait de nous taire. Et pourtant ! Depuis quelques semaines, les économistes, les investisseurs internationaux et autres observateurs économiques semblent avoir découvert l’eau chaude. Aussi se réveillent-ils avec fracas en annonçant à hue et a dia que la récession menace dangereusement la zone euro. Loin de nous l’idée de nous vanter ou de donner des leçons à qui que ce soit. Depuis quinze ans, nous faisons chaque début d’année, le bilan de nos prévisions et nous savons que la prévision économique est une leçon d’humilité permanente. D’ailleurs, en ce qui concerne notre anticipation d’un fort ralentissement voire d’une récession pour la zone euro cette année, nous n’avons que peu de mérite. En effet, pour établir nos prévisions, nous ne disposons pas de boule de cristal, nous utilisons simplement les statistiques disponibles que nous transformons en indicateurs avancés de la croissance à venir. Ainsi, dès février dernier, au regard de ces derniers, il était objectivement clair que la zone euro était menacée sinon par la récession, du moins par un très fort ralentissement. Et ce d’autant que l’absence de réactivité de la part des autorités monétaires et budgétaires aggravaient de jour en jour la situation. Cette perspective était évidemment encore plus claire il y a trois mois. Mais non, à l’instar du Tartuffe de Molière qui feignait de ne pas voir la réalité pour mieux servir sa cause et ses vices, de trop nombreux dirigeants eurolandais se sont complu dans leur dogmatisme refusant d’admettre l’inévitable…

L’Europe aux abois et la caravane américaine passe…

L’Europe aux abois et la caravane américaine passe…

Avant tout, nous nous devons de signaler à ceux qui, comme nous, sont des Européens de la première heure, que les réalités décrites dans les quelques lignes à venir sont très dures à supporter. En effet, depuis quinze ans, les matchs économiques Etats-Unis/Europe se suivent et se ressemblent. A chaque fois, l’écroulement de l’Oncle Sam est annoncé, tandis que la résistance (transformée dernièrement en « résilience ») de l’économie européenne est avancée. Et pourtant, à chaque fois, c’est exactement l’inverse qui se produit. La première expérience de ce type remonte à 1995. En 2002, bis repetita. Les Etats-Unis apparaissent sonnés par la récession de 2001 et les attentats du 11 septembre, tandis que la zone euro est très souvent présentée comme un havre de stabilité, de croissance forte et d’inflation limitée. Le résultat est le même qu’en 1995 : l’économie américaine repart dès 2002 et retrouve le chemin d’une croissance supérieure à 3 % à partir de 2003. Et ce n’est malheureusement pas terminé. Car, l’histoire se répète une troisième fois. La réponse à cette triste situation est malheureusement simple : aux Etats-Unis, tout est fait pour la croissance et l’emploi, tout en sachant que dès que ceux-ci sont de retour, la politique économique cesse d’être accommodante. Dans la zone euro, il n’en est rien : le dogmatisme ne cesse de primer sur le pragmatisme, tant en matière de politique monétaire que de politique budgétaire, de stratégie de change ou encore de vision du monde. En d’autres termes, nous préférons mourir guéris plutôt que de vivre avec une ou deux cicatrices sur le dos. Quel dommage !

Economie française : bonjour les dégâts…

Economie française : bonjour les dégâts…

Et ca continue, encore et encore… Malheureusement, les statistiques relatives à l’économie française se suivent et se ressemblent : elles ne cessent de décrire une activité fragile et de plus en plus moribonde. Cette semaine n’a pas dérogé à cette triste règle. Ainsi, alors qu’elle aurait pu être marquée par la ratification parlementaire de la Loi de Modernisation Economique (LME), cette troisième semaine de juillet restera certainement ancrée dans les esprits comme celle qui a confirmé le plongeon de l’économie française au mieux vers la stagnation, au pire vers la récession. En effet, après le plongeon de la production industrielle en mai et le nouveau record de déficit extérieur pour le même mois, la consommation en produits manufacturés a reculé de 0,4 % en juin, en dépit du début des soldes. Pis, le climat des affaires dans l’industrie hexagonale s’est nettement détérioré en juillet. En effet, après avoir réussi tant bien que mal à se maintenir au-dessus de la barre des 100 (qui représente sa moyenne de longue période) depuis 2005, l’indice synthétique de l’enquête INSEE dans l’industrie a désormais cassé cette ligne de résistance. Avec un niveau de 98 en juillet, il retrouve donc un plus bas depuis mai 2005 et se rapproche dangereusement des planchers des années 2003 et 1993, c’est-à-dire les dernières phases de récession ou quasi-récession observées dans l’Hexagone. Dans ce cadre, nous sommes contraints de réviser en baisse de 0,1 point nos prévisions de croissance du PIB français, qui sont désormais de 1,5 % cette année et 1,4 % pour l’an prochain, tout en sachant qu’au regard des dernières statistiques publiées, ces prévisions demeurent encore optimistes et pourraient donc bien être à nouveau révisées en baisse dans les prochains mois…

France : le spectre de 1993.

France : le spectre de 1993.

Ce qui devait arriver arriva et arrivera. C’est malheureusement la triste synthèse des statistiques récentes et à venir de l’économie française. En effet, après le plongeon de la confiance des ménages et des chefs d’entreprise tant dans l’industrie que dans les services, après le nouveau record historique du déficit extérieur et avant la rechute de la consommation en juin, la production industrielle française a enregistré un plongeon de 2,6 % sur le seul mois de mai. Il s’agit là de son plus mauvais résultat depuis les – 2,7 % d’octobre 2005, le précédent record remontant à octobre 1988 à – 2,8 %. Autrement dit, sur les vingt dernières années, il s’agit de la troisième plus mauvaise « performance » réalisée par la production industrielle française. Au-delà des chiffres de la production, il faut bien comprendre que ces évolutions devraient rapidement se traduire par des réductions d’emplois conséquentes à partir de septembre, ce qui réduira encore un pouvoir d’achat déjà bien amputé et accroîtra de facto les risques sociaux. Dans ce contexte bien triste, il n’y a donc plus grand chose à ajouter si ce n’est que la France est certainement à la veille d’une crise sans précédent depuis la récession de 1993. Nos prévisions d’une croissance française de 1,6 % cette année et de 1,5 % l’an prochain risquent donc de s’avérer bien trop optimistes… Pour ceux qui ont la chance de partir en vacances, profitons-en bien car, après un été déjà très chaud sur les marchés (cf. L’Humeur de la semaine dernière), la rentrée aussi devrait être très mouvementée…

L’été sera chaud.

L’été sera chaud.

« Pourquoi a-t-on créé les économistes ? Pour que les météorologues ne soient pas les seuls à se tromper ». Au-delà de cette boutade bien connue (qui rappelle néanmoins que les économistes doivent avant tout faire des prévisions et pas seulement se résoudre à décrire le passé, tout en étant constamment habités par un esprit d’humilité), il y a depuis quelques années une nouvelle similitude entre ces deux professions. En effet, depuis le réchauffement climatique et surtout depuis la canicule de 2003, au début de chaque période estivale, tant les météorologues que les économistes, prévisionnistes et autres devins en tous genres nous annoncent que l’été sera chaud. Et sur ce point, il faut reconnaître que les seconds se sont un peu moins trompés que les premiers. Car, si, climatiquement, les derniers étés ont été plutôt frais, en économie et sur les marchés financiers au sens large, les étés ont été de plus en plus caniculaires. La question est alors de savoir si, au cours de l’été 2008, un nouveau cran sur l’échelle de la panique et de la défiance sera atteint. Il faut reconnaître que tous les ingrédients pour y parvenir sont là. Autrement dit, il est clair que les « bearish » ont de quoi passer un été formidable. Pourtant, ne l’oublions pas, le pire n’est jamais certain et de l’obscurité actuelle pourrait bien naître la lumière. Evidemment nous ne sommes pas devins et nous ne nous aventurerons pas à des spéculations sur l’activité cyclonique, sur l’occurrence de frappes militaires en Iran ou encore sur l’organisation d’attentats pendant les JO de Pékin. En revanche, nous avons la possibilité et surtout le devoir d’annoncer quelques dates phares qui marqueront inévitablement cet été 2008 d’un point de vue économique et financier. En fait, il y en aura deux…

La France Présidente.

La France Présidente.

A l’évidence, la France n’a vraiment pas brillé sur la scène européenne au cours du premier semestre 2008 : perte d’une place dans le classement de la croissance européenne, désormais juste derrière le Portugal et juste devant l’Italie qui s’enracine à la dernière place ; dégradation des relations franco-allemandes, par manque d’engagement clair de l’Hexagone en matière de réformes de la dépense publique ; et enfin élimination dès le premier tour de l’Euro 2008 en n’ayant marqué que deux buts, dont un contre son camp… Mais, c’est promis, du moins au dire de nos dirigeants politiques, tout ceci n’est que de l’histoire ancienne, car la France va nettement se rattraper lors du second semestre au cours duquel elle assurera (pour la douzième fois de son histoire) la Présidence de l’Union européenne. En effet, et comme d’habitude, les promesses françaises sont ambitieuses : canalisation positive de l’immigration, politique active de l’environnement, réforme des Institutions européennes, redéfinition de la stratégie de défense, refonte de la politique agricole commune… Malheureusement, et comme d’habitude également, toutes ces promesses risquent de rester bien loin de la réalité. Pour nous consoler, nous pourrons toujours admirer la Tour Eiffel qui, pour fêter la Présidence européenne de la France, sera illuminée en bleu. C’est d’ailleurs certainement LA mesure française que retiendront le plus les Européens au cours des six prochains mois. L’apport principal de la France à la construction européenne ne sera donc ni dans l’économie ni dans le politique, mais dans le bling bling. On fait ce qu’on peut avec ce qu’on a…

La récession est de retour… en Europe.

La récession est de retour… en Europe.

A force d’avoir été annoncée presque partout et notamment par de nombreux « spécialistes très éminents », la récession risque bien de faire son grand retour. Cependant, alors qu’une large majorité de prévisionnistes l’attendait aux Etats-Unis (elle devait même être la plus grave depuis l’après-guerre), c’est finalement en Europe que la probabilité du retour de la récession est la plus forte. Certes, l’Oncle Sam n’est pas encore complètement sorti d’affaire. Ainsi, la nouvelle baisse de la production industrielle et des mises en chantier en mai confirme que la croissance restera très molle au deuxième trimestre. Néanmoins, le scénario de forte baisse du PIB américain pendant au moins deux trimestres s’est considérablement éloigné. C’est du moins ce qu’a dernièrement indiqué la remontée des indices ISM des directeurs d’achat dans l’industrie et les services, mais aussi la relance des ventes au détail. Dans ces conditions, après avoir avoisiné les 1,8 % cette année, la croissance américaine devrait retrouver son niveau structurel dès 2009, en l’occurrence autour de 3 %. En Europe malheureusement, la situation est toute autre. Evidemment, partant d’une croissance structurelle d’environ 1,8 %, il est mécaniquement difficile de faire des étincelles et d’atteindre les 3 % de croissance. Mais surtout, après avoir atteint 2,7 % l’an passé, en particulier grâce à l’économie allemande, il est désormais temps de repasser sous les 2 %, voire sous les 1 % à l’horizon du début 2009. En effet, dans la mesure où rien n’est fait pour tenter de redresser la barre, il n’y a aucune raison qu’une reprise se produise. Autrement dit, alors que les Etats-Unis continuent de bénéficier de toutes les armes de politique économique (baisse des taux monétaires, assouplissements fiscaux et dollar faible), la zone euro n’en dispose d’aucune, voire les utilise contre elle.

La peur au ventre.

La peur au ventre.

Remontée des taux de la BCE en juillet, certainement à l’automne pour la Réserve fédérale, américaine, retour des rumeurs sur l’Iran, risque de nouvelle flambée des cours du pétrole, craintes de nouvelles dévalorisations d’actifs pour les banques américaines et européennes, relance de la crise du crédit, notamment via les cartes bancaires, puis assèchement de la consommation, notamment outre-Atlantique, menaces terroristes prises très au sérieux par les autorités chinoises à l’occasion des Jeux Olympiques de Pékin… Et pour couronner le tout, nous sommes vendredi 13… A l’évidence, cet été 2008 s’annonce très mal. Après une belle remontée en mai, les marchés boursiers ont d’ailleurs retrouvé le chemin de la baisse, alimentant le moulin des bearish (« baissiers ») et donnant envie aux rares optimistes esseulés de jeter l’éponge. Ce n’est pourtant pas ce que nous ferons. Nous préférons au contraire souligner que les prémices du rebond sont déjà présents tant sur les marchés financiers que sur l’économie américaine. En effet, avant même que les Américains aient reçus majoritairement leur chèque de crédit d’impôts, les ventes au détail ont déjà bondi de 1 % en mai, et ce après avoir également augmenté de 0,5 % en mars et 0,4 % en avril. Les mauvaises langues diront que l’augmentation du prix de l’essence a mécaniquement gonflé ce chiffre. Pourtant, hors consommation d’essence, les ventes au détail augmentent tout de même de 0,8 % ! Autrement dit, le scénario d’une baisse durable du PIB américain qui était majoritairement annoncé il y a peu a bien fini par fondre comme neige au soleil. Histoire de rappeler que les Cassandres n’ont pas toujours raison. Ainsi, après avoir atteint au moins 1,8 % cette année (contre rappelons-le, 0,5 % annoncé il y a peu par le FMI), la croissance américaine devrait bien retrouver son niveau potentiel à l’horizon 2009, en l’occurrence 3 %.

Faut-il vraiment avoir peur de l’inflation ?

Faut-il vraiment avoir peur de l’inflation ?

Après plus de quinze ans d’absence sur les podiums des craintes économiques mondiales, l’inflation a fait dernièrement son grand retour. Selon certains, bien souvent ceux qui écrivaient il y a peu que l’inflation était définitivement vaincue, nous serions même à la veille d’un mouvement international d’hyperinflation. Leur raisonnement apparaît imparable. La faible inflation observée de 1993 à 2007 était principalement due à la faiblesse des cours du baril et des matières premières au sens large ainsi qu’à la désinflation importée liée aux faibles coûts de la main-d’œuvre des pays émergents. Dès lors, à présent que le pétrole et les autres « commodities » flambent, mais aussi que les salaires dans les pays émergents commencent à augmenter, le cercle vertueux de la faible inflation des années 90 va laisser place à la spirale infernale de l’inflation galopante qui ne ferait donc que commencer. Forts des derniers chiffres d’inflation dans la zone euro, aux Etats-Unis et dans de nombreux pays émergents, certains n’hésitent plus à parler de fléau inflationniste durable tout en félicitant chaudement Jean-Claude Trichet qui aurait donc été le seul à anticiper ce mouvement. Au-delà de la satisfaction de savoir que le meilleur économiste du monde est un Français, cette théorie très à la mode du retour de l’hyperinflation nous paraît cependant excessive. Et ce, pour au moins quatre raisons que nous explicitons ci-après. Aussi, ne nous trompons donc pas d’ennemi : le fléau qui nous menace le plus aujourd’hui ne réside pas dans l’inflation mais dans la faiblesse de la croissance et de l’emploi.

Libéral et keynésien.

Libéral et keynésien.

Depuis le XVIIème siècle et la naissance du capitalisme, les théories économiques n’ont cessé de se développer, se complétant parfois, s’opposant souvent, avec généralement pour but de devenir la théorie dominante. Depuis lors, l’histoire de la pensée économique a ainsi été une succession de périodes de gloire des différentes théories, les unes réfutant les autres et ne pouvant, du moins en apparence, subsister ensemble. A l’inverse, depuis une quinzaine d’années, il n’y a plus de théorie dominante. Ainsi, la bonne politique économique doit à la fois intégrer des préoccupations keynésiennes de demande, mais aussi des dimensions structurelles relatives à l’offre selon une logique libérale ou encore la nécessité de limiter l’inflation sous les 4 % ou sous les 2,5 % hors énergie et produits alimentaires comme le soutiennent les monétaristes modernes. Le tout n’ayant finalement qu’un seul but : l’efficacité économique. Il ne nous reste donc plus qu’à souhaiter que très vite, tant en France que dans l’ensemble de la zone euro, les dirigeants politiques et monétaires comprennent qu’il est désormais possible, voire indispensable, d’être à la fois libéral et keynésien, de faires des réformes structurelles sur l’offre tout en soutenant la demande et en imposant une règle d’or : l’efficacité et la rationalité économiques doivent toujours primer sur les dogmatismes théoriques et idéologiques.