Il faut le reconnaître : le virage est difficile à négocier pour Jean-Claude Trichet et ses collègues de la BCE : comment reconnaître que la récession est aux portes de la zone euro sans se dédire de leur récente stratégie et de leurs précédentes déclarations sur la vigueur de la croissance eurolandaise ? Pour le moment, l’inflexion n’est pas encore marquée mais un début de mouvement est décelable. En effet, Jean-Claude Trichet reconnaît que les résultats économiques sont moins bons que ceux qu’il avait anticipés jusqu’à présent. Cela fait plaisir à entendre. Pour être clairs : si le Président de la BCE fait une telle déclaration, cela signifie que le PIB a inévitablement baissé au cours du deuxième trimestre. Pis, la suite ne devrait être guère plus flamboyante. La BCE essaie donc de préparer les marchés à un revirement de sa position d’ici l’automne. Notre scénario est donc le suivant…
Déficit extérieur français : un puits sans fond.
Heureusement que la langue française est riche, car au rythme auquel se succèdent les mauvaises nouvelles relatives à l’économie hexagonale, nous allons finir par manquer de qualificatifs. Ainsi, après les déceptions, les déboires et les sommets historiques atteints depuis un an par le déficit extérieur français, ce dernier a franchi une nouvelle marche dans sa phase de dégradation. En effet, en juin, le déficit de notre balance commerciale a atteint l’incroyable niveau de 5,64 milliards d’euros, pulvérisant ainsi son précédent record de 4,7 milliards qui datait de… mai 2008. Sur douze mois, ce déficit atteint mécaniquement un nouveau record historique a 48,338 milliards d’euros. Dès lors, même si une correction baissière est enregistrée en juillet, la barre des 50 milliards d’euros devrait être atteinte sans difficulté. A quelques jours de la publication des comptes nationaux du deuxième trimestre, l’évolution de la balance commerciale trimestrielle est également riche d’enseignements. Ainsi, sur l’ensemble du deuxième trimestre, le déficit extérieur français en valeurs a atteint 14,049 milliards d’euros contre 10,337 milliards au premier trimestre. Ce creusement massif, qu’il faudra d’ailleurs augmenter mesuré en volume, confirme que le commerce extérieur devrait enlever au moins 0,3 point à la croissance française au cours du deuxième trimestre…
Etats-Unis : une croissance de 3,8 % hors stocks.
Certes, la progression annualisée du PIB américain au deuxième trimestre est moins forte que prévu, en l’occurrence 1,9 % contre 2,3 % attendu par les marchés. Néanmoins, s’il y a encore deux mois et a fortiori début 2008, on avait annoncé à ces mêmes marchés que la croissance américaine atteindrait un tel niveau, ils auraient signés tout de suite. D’ailleurs, souvenons-nous qu’il y a encore quelques mois également, une grande majorité des économistes annonçait une baisse durable du PIB américain pour 2008. Non seulement, celle-ci n’a pas eu lieu mais, au surplus, la croissance américaine a fait mieux que résister. Ainsi, mesurée hors stocks, ces derniers constituant une variable d’ajustement, la progression annualisée du PIB américain a été de 3,8 % au cours du deuxième trimestre. Aussi, nous maintenons notre prévision d’une augmentation annuelle du PIB américain de 1,9 % cette année, sachant que ce niveau pourrait être aisément amélioré si la formation de stocks se reprend.
France : descente aux enfers.
Décidemment, juillet 2008 constituera certainement l’un des plus mauvais mois que l’économie française ait connu depuis la récession de 1993. En effet, après la baisse de la production industrielle, la flambée du déficit extérieur, l’augmentation du déficit public, le repli de la consommation des ménages malgré les soldes, la chute du climat des affaires dans l’industrie, les services, le bâtiment et même le commerce de gros, c’est au tour de la confiance des ménages et des mises en chantier d’atteindre de nouveaux planchers. Il faut reconnaître que, depuis le début 2008, l’évolution de l’indice de confiance des Français calculé par l’INSEE est devenue monotone : chaque mois, un nouveau plancher historique est atteint. Dès lors, chaque mois également, de nombreux observateurs économiques annoncent que le fond a été touché et qu’on ne pourra pas aller plus bas. Mais non, le fond a bien été atteint, mais désormais, on creuse… Pis, ces fortes inquiétudes sont corroborées par l’enquête trimestrielle de l’INSEE dans l’industrie, également publiée aujourd’hui. En effet, celle-ci montre tout d’abord que les carnets de commandes tant étrangers que globaux et tant passés que futurs s’effondrent littéralement. Conséquence logique de cette forte baisse de régime, les entreprises industrielles françaises annoncent une réduction massive des effectifs pour les trimestres à venir…
La zone euro en récession.
Ce n’est désormais plus notre prévision, mais une réalité : la zone euro est entrée en récession. En effet, après être déjà passé sous la barre des 50 en juin, l’indice des directeurs d’achat eurolandais a encore chuté en juillet, tant dans l’industrie que dans les services. En atteignant respectivement 47,5 et 48,3, ces indicateurs avancés de l’activité économique globale confirment qu’une baisse du PIB devrait être observée tant au deuxième qu’au troisième trimestre 2008. Et ce d’autant que, pays par pays, la situation est tout aussi déplorable. A commencer par l’Allemagne qui avait jusqu’à présent surpris par sa résistance mais qui désormais souffre comme les autres. La « bonne nouvelle » de cette détérioration résidera dans la baisse de l’euro vers des niveaux plus normaux (c’est-à-dire autour des 1,40 dollar à partir de l’hiver prochain puis 1,30 dans un an), ainsi que dans la baisse des taux de la BCE en fin d’année. D’où un redémarrage potentiel de l’activité à partir du printemps 2009. Que de temps perdu. Car d’ici là, l’emploi sera réduit drastiquement et le pouvoir d’achat des ménages avec…
France : Soldes sur la consommation…
La bonne surprise que certains attendaient n’a pas eu lieu. Ainsi, alors que, depuis 1998, la consommation des ménages n’a cessé de soutenir la croissance française, générant régulièrement des « bonnes surprises » au travers de sa résistance tenace, le miracle ne s’est pas produit en 2008. En effet, après avoir déjà baissé de 1,8 % en mars-avril, puis rebondi techniquement de 1,7 % en mai (et non pas de 2 % comme annoncé il y a un mois), la consommation des ménages en produits manufacturés a repris le chemin de la baisse, en reculant de 0,4 % en juin. Si ce repli peut paraître limité, il n’en demeure pas moins très inquiétant dans la mesure où il a été enregistré malgré le début des soldes dès le 25 juin, contre par exemple le 27 juin l’an passé. En fait, depuis 1993, c’est seulement la troisième fois que la consommation des ménages recule lors d’un mois de juin. Plus globalement, nous sommes malheureusement contraints de rappeler que la faiblesse de la consommation n’est ni nouvelle ni sur le point de s’arrêter. Aussi, la croissance hexagonale ne pourra plus compter sur le moteur de la consommation au moins jusqu’à l’été 2009. Elle ne pourra donc que vivoter entre – 0,1 % et 0,5 % par trimestre et entre 1 et 1,5 % en variation annuelle et ce, pendant encore un an.
Déficit extérieur français : 45 milliards d’euros en mai et bientôt 50.
Lorsqu’il y a quelques mois, nous annoncions l’atteinte d’un déficit extérieur français de 45 milliards d’euros pour 2008, nous paraissions excessivement pessimistes. Pourtant, avant même la fin de cette année, c’est déjà chose faite. En effet, en mai, le déficit extérieur de la France a atteint un double sommet historique : d’une part sur un mois à 4,738 milliards d’euros (contre 3,7 milliards en avril) et d’autre part, sur un an à 45,603 milliards d’euros. Bien entendu, certains pourraient croire que ce creusement est dû au déficit énergétique. Mais, il n’en est rien, puisque ce dernier s’est même réduit, passant de 4,7 milliards en avril à 4,36 milliards en mai. Malheureusement, l’origine principale de cette détérioration est bien plus grave que l’augmentation des prix énergétiques, car elle réside dans l’effondrement des exportations françaises. Et dans un avenir proche, rien ne semble en mesure d’améliorer la situation. En effet, la nette décélération de la croissance européenne, l’euro trop fort et le baril trop cher vont encore peser sur le déficit extérieur français qui pourrait bien atteindre prochainement la barre des 50 milliards d’euros sur un an. La somme des deux déficits français (budgétaire et extérieur) pourrait donc bien dépasser le niveau record des 100 milliards d’euros cette année, une « performance » dont la France se serait évidemment bien passée.
Etats-Unis/Euroland : le découplage se confirme.
Une fois encore, l’économie américaine surprend par sa résistance. En effet, alors que de nombreux économistes n’ont de cesse d’annoncer son écroulement depuis des mois, voire des années, celle-ci continue de résister et d’éviter la crise tant annoncée et parfois même souhaitée. Ainsi, en juin, alors que le consensus de marché prévoyait une nette baisse de l’indice ISM des directeurs d’achat dans l’industrie américaine à 48,5 et que, pour notre part, nous annoncions le retour sur la barre des 50, cet indicateur avancé de la croissance américaine a finalement atteint 50,2. Et ce, alors que dans la zone euro, la barre des 50 a été enfoncée, à 49,2.
Allemagne et Euroland : les vaches maigres sont de retour.
Après un bon premier trimestre, soutenu notamment par une formation de stocks exceptionnellement forte, la croissance allemande est bien sur le point de repartir en nette baisse. Après l’espoir de la petite hausse du climat des affaires de l’enquête IFO en mai, c’est bien ce que confirme le fort repli de ce dernier en juin. En effet, au cours du dernier mois, l’indice synthétique de l’enquête IFO a chuté de 2,2 points, atteignant un niveau de 101,3, un plus bas depuis décembre 2005, c’est-à-dire à une époque où la croissance allemande n’était que de 1,6 % (niveau du glissement annuel du PIB au quatrième trimestre 2005). Mais bien plus grave que l’enquête IFO, ce lundi 23 juin sera marqué par l’évolution détonante des indices PMI des directeurs d’achat dans l’ensemble de la zone euro. En effet, tant dans l’industrie que dans les services, ces indices, indicateurs avancés de la croissance eurolandaise, ont glissé sous la fameuse barre des 50, qui représente la frontière entre la progression et le recul de l’activité. Ils atteignent respectivement 49,1 et 49,5. Autrement dit, après avoir résisté tant bien que mal à la tempête internationale, la zone euro est bien en train non seulement de s’enliser dans la croissance faible, mais elle risque aussi désormais de plonger dans la récession.
France : c’est la crise.
Cela commence à devenir lassant, depuis environ trois mois et à l’exception de l’étonnante croissance du premier trimestre, les statistiques françaises se suivent et se ressemblent : tout va de plus en plus mal pour l’économie hexagonale. Après la baisse de la consommation, la chute du climat des affaires dans les services et l’industrie et la dégringolade des mises en chantier, la confiance ou plutôt la défiance des ménages fait de nouveau parler d’elle. Ainsi, alors qu’après déjà huit mois consécutifs de baisse et quatre mois de dépassement de nouveaux planchers historiques, on pouvait espérer une accalmie, tel n’a pas été le cas. Bien au contraire, puisque le moral des ménages a aggravé son plongeon perdant encore trois points sur le seul mois de mai et atteignant par là même un nouveau plus bas historique, à – 41. Par rapport à son niveau de juin dernier, cet indice affiche ainsi une baisse de 28 points. Là aussi, du jamais vu en si peu de temps depuis que cette enquête existe. Dans ce cadre, il faut malheureusement être clair : déjà affaiblie depuis six mois et en baisse marquée depuis deux mois, la consommation des ménages va poursuivre son déclin dans les prochains trimestre. Comme d’habitude, les mesures de déblocage de l’épargne salariale permettront d’éviter la catastrophe, mais la fièvre acheteuse ne renaîtra pas de sitôt dans l’Hexagone. En d’autres termes : c’est la crise.