Je vous parle d’un temps que les moins de 30 ans ne peuvent pas connaître… C’était en 1999. A l’époque, le Cac 40 oscillait autour des 4 500 points. Jeune chef-économiste d’une grande banque française, j’osais alors cette prévision : Le Cac sera à 7 000 pour l’an 2000. Cela peut paraître étonnant à certains aujourd’hui, mais pendant de nombreuses années, en fait de 1998 à 2015, j’étais perçu comme un grand optimiste !
Cette anticipation audacieuse mais fondée sur l’exubérance de la bulle Internet, faillit d’ailleurs être réalisée. En effet, quelques mois plus tard, précisément lors de la séance du 4 septembre 2000, le Cac 40 touchait les 6 944,77 points. En direct, sur la chaîne financière Bloomberg TV, le présentateur me lança « Bravo, Marc ! Il y a un an vous annonciez le CAC à 7 000, nous y voilà. Vous allez pouvoir sabrer le champagne. »
« Attendez, lui répondis-je, nous n’y sommes pas encore mais c’est promis ! Dès qu’on touche les 7 000, on ouvre le champagne, même si après, il faudra se préparer à une période de correction baissière qui devient inévitable ». En fait, j’étais en train de vivre la douloureuse expérience de l’adage « il ne faut jamais vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué ». Et pour cause : le CAC n’atteignit jamais les 7 000 points.
Comme toute bulle, celle de l’Internet a effectivement explosé, puis, après un rebond correctif, se fut au tour de celle des subprimes… Seulement voilà : chassez le naturel, il revient au galop. Ainsi, en dépit de la pandémie dramatique et de la récession historique de 2020, les bourses mondiales au sens large, et celle de Paris en particulier, n’ont connu qu’un krach de 29 jours l’an passé. Certes, au cours de ces quelques jours, le Dow Jones a chuté de 37,1 % et le Cac 40 de 38,6 %. Cependant, ces affres ont très vite été oubliés dans la mesure où ces deux indices ont ensuite très fortement remonté : respectivement + 84 % et + 67,7 % entre le point bas de mars 2020 et le pic d’avril 2021.
A tel point que l’indice newyorkais a atteint un sommet historique de 34 200 points le 16 avril dernier et que l’indice parisien a frôlé les 6 300 points le 19 avril. Il n’en a pas fallu plus aux investisseurs boursiers et aux diseurs de bonne aventure en tous genres pour annoncer que l’atteinte des 7 000 points pour le Cac 40 était désormais inévitable.
Si nous aimerions évidemment en dire autant, il nous faut néanmoins raison garder. En effet, nous nous retrouvons depuis quelques semaines dans une situation analogue à celle de l’euphorie de 2000 : quels que soient la nature de l’action, son secteur d’activité, ses profits ou ses pertes, la règle est quasiment toujours le même : ça monte, voire ça flambe ! Autrement dit, la bourse est redevenue un Casino Royale, mais à une différence de taille près : vous êtes sûrs de gagner !
Dans ces conditions, il ne faut pas être grand clerc pour comprendre qu’une telle anomalie ne peut pas durer éternellement. La question est simplement de savoir quel sera le déclic qui, comme en 2000 ou en 2008, remettra les pendules à l’heure. Pour le moment, il faut néanmoins reconnaître qu’il ne sert à rien de se battre contre le vent : si déjà, en dépit de la plus grave récession depuis la seconde guerre mondiale, les marchés boursiers ont continué de progresser en 2020, rien ne semble pouvoir les arrêter à présent que la croissance redémarre à travers la planète, en particulier aux Etats-Unis et en Chine. Déjà aveuglés par la morphine des banques centrales depuis plusieurs années et a fortiori depuis la pandémie, les investisseurs sont évidemment encore plus euphoriques avec de bonnes statistiques économiques.
Pour autant, la « nature » a aussi ses limites : les arbres ne montent pas au ciel. Aussi, les marchés boursiers continuent de se complaire dans une bulle, dans la mesure où leur valorisation est trop excessive au regard de la réalité économique. Un simple comparatif permet de le montrer : de 1997 à 2021, le PIB mondial en valeur (c’est-à-dire augmenté de l’inflation) a progressé d’au mieux 170 % (c’est-à-dire en intégrant forte reprise cette année), alors que sur cette même période, le Dow Jones a explosé de 430 %. Soit 2,5 fois plus ! Face à une telle extravagance, comment peut-on continuer de refuser d’admettre que les marchés boursiers sont coincés dans une la bulle qui enfle de jour en jour ?
Mais ce n’est pas tout, car l’euphorie boursière demeure menacée par quatre grands dangers.
- Des chocs extra-économiques, et notamment une recrudescence de la pandémie (comme cela s’observe déjà malheureusement au Brésil et en Inde) ou des drames géopolitiques (comme nous ne sommes pas devins, nous n’en parlerons pas plus).
- La poursuite de la récession dans certaines parties du globe. N’oublions pas que l’Amérique latine, de nombreux pays africains et asiatiques, ainsi que la plupart des membres de la zone euro sont soit en récession soit en stagnation.
- Une forte augmentation de l’inflation à travers la planète. Celle-ci a déjà commencé et va continuer de s’intensifier, en particulier aux Etats-Unis. Face à une croissance américaine soutenue et une inflation à plus de 3 %, la Fed aura alors bien du mal à maintenir sa politique monétaire inchangée. Dès lors, sans la morphine des banques centrales, les marchés boursiers risquent de se réveiller avec la gueule de bois.
- Dans le sillage de la reflation mondiale et de la flambée des dettes publiques, la remontée des taux d’intérêt des obligations d’Etat devient de plus en plus inévitable. Elle a d’ailleurs déjà commencé aux Etats-Unis et s’installe progressivement en Europe. Là aussi, trop habitués à des taux d’intérêt extrêmement faibles, les marchés boursiers ne résisteront pas à un mini-krach obligataire.
Dans ce cadre, si les bourses peuvent certainement encore flamber dans le vide pendant quelques mois, permettant notamment au Cac 40 de dépasser les 7 000 points, il faut d’ores et déjà se préparer à un retour de manivelle majeur d’ici la fin 2021, avec une rechute probable vers les 5 000. Les amateurs de montagnes russes seront donc certainement gâtés, mais pour les autres, la prudence doit rester de mise.
Marc Touati