L’immobilier français va-t-il prendre le bouillon ?

Pour éviter les affres des bulles et des krachs boursiers ou encore des crises en tous genres, il est souvent conseillé d’investir dans « la pierre ». En effet, si les modes financières passent, l’immobilier reste, constituant par là même un bon placement de père de famille.

Les chiffres de l’INSEE sont d’ailleurs formels : les ménages ayant acheté leur résidence principale sont les mieux protégés contre les revers de fortune et la pauvreté. A l’inverse, les 30 % des Français les moins bien dotés sont ceux qui ne possèdent pas de patrimoine immobilier. Seulement voilà, si l’achat de sa résidence principale constitue, à juste titre, le premier objectif des ménages, la valeur des biens immobiliers est aussi soumise à variation et peut aussi faire l’objet de « bulle ».

Or, les bulles immobilières sont particulièrement coûteuses car leurs effets sur l’économie réelle sont très puissants et touchent directement les particuliers. Ainsi, après une hausse de 200 % de 1984 à 1991, les prix des logements anciens dans l’Hexagone s’effondrèrent d’environ 35 % entre la fin 1991 et 1998 : un krach immobilier dramatique dont l’économie française ne se remettra pas avant longtemps. La récession s’impose d’ailleurs en 1993, puis la croissance restera molle jusqu’en 1998.

Malheureusement, une nouvelle bulle s’est installée au cours des années suivantes. De 1998 à 2008, les prix des logements anciens ont ainsi flambé de 151 %. Par la suite, une évolution sinusoïdale s’est observée.

La crise de 2009 a ainsi suscité une chute de quasiment 10 %, puis la bulle est revenue au galop en 2011-2012 (+ 13 %), avant de marquer de nouveau le pas en 2013-2015 (- 7 %), pour finalement repartir de plus belle de 2016 à 2020. Du premier trimestre 2016 au premier trimestre 2020, les prix des logements anciens ont ainsi flambé de 14 %.

Autrement dit, après la baisse justifiée de 2013-2015, la récente remontée des prix immobiliers, principalement à Paris, mais aussi dans certaines villes de province comme Lyon, Bordeaux ou Rennes, confirme que nous sommes toujours face à une bulle, c’est-à-dire un phénomène de décalage entre le prix de marché des actifs immobiliers et leur valeur réelle. Et si, jusqu’à présent, les achats en provenance de fonds russes, qataris, chinois et autres ont masqué la réalité immobilière française, la réduction de ce type d’achats va de nouveau dévoiler cette dernière au grand jour.

Les quelques statistiques qui suivent sont d’ailleurs parfaitement illustratives de cette situation.

A commencer par celles qui montrent le décalage criant entre le niveau des prix immobiliers et le PIB en valeur dans l’Hexagone. Tout comme lors de la bulle de 1984-91, l’écart entre le premier et le second atteint effectivement 1,7. Autrement dit, l’excès de valorisation financière est toujours très élevé et appelle un retour de la baisse des prix.

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De la bulle de 1984-91…

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Sources : INSEE, ACDEFI

Et ce, avant même le début de la dépression économique suscitée par la pandémie de Covid19. En d’autres termes, si celle-ci perdure et que les prix de l’immobilier ne baissent pas, cet écart sera encore plus élevé, donc dangereux.

… à celle de 2000-2020

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Sources : INSEE, ACDEFI

Certes, en 2016-2019, à l’image des prix immobiliers, les ventes (en montant et en nombre) ont légèrement remonté. Nous restons cependant toujours loin des niveaux de 2000-2005, confirmant par là même que le marché demeure fragile. Et ce d’autant que depuis le début 2020, les ventes sont reparties à la baisse.

En outre, depuis 2018, avec notamment le remplacement de l’ISF par l’IFI (un impôt sur la fortune concentré sur la richesse immobilière), la tendance des prix a commencé à s’inverser, hors Paris intra-muros et quelques grandes villes de province.

De plus, en dépit des analyses récurrentes qui voudraient que l’immobilier français soit toujours très bon marché par rapport à ses concurrents étrangers, le rapport entre les prix des logements et le revenu disponible des ménages confirme qu’il n’en est rien.

La bulle immobilière française reste la plus gonflée.

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Sources : CGEDD, ACDEFI

En effet, comme le montre le graphique ci-dessus, la cherté relative de l’immobilier français (c’est-à-dire comparativement aux revenus des ménages nationaux) demeure l’une des plus élevées d’Occident, avec celle du Royaume-Uni, et très loin devant celle de l’Allemagne et des Etats-Unis.

Ne l’oublions jamais : l’augmentation des prix immobiliers est vertueuse si elle est à l’aune de celle des revenus des particuliers.

Dans le cas où elle dépasse largement cette dernière, elle devient risquée, voire néfaste, notamment pour les ménages qui n’ont plus les moyens d’accéder à la propriété, à cause de prix des logements trop élevés.

Or c’est exactement ce qui s’observe depuis quelques années. En effet, de 1960 à 2000, l’indice du prix des logements rapporté au revenu disponible par ménages (en base 1 en 2000) a oscillé entre 0,6 et 1,7, atteignant un niveau moyen, considéré comme « normal », de 1,1.

Bien loin de ce niveau raisonnable, il est actuellement de 1,7. C’est certes légèrement moins que le sommet de 1,72 atteint en 2011, mais toujours beaucoup trop élevé.

A ce jeu des excès, il faut d’ailleurs souligner que le ratio parisien a largement dépassé son sommet de 2012, atteignant un nouveau pic historique de 2,68 au premier trimestre 2020 (contre, rappelons-le, un niveau « normal » de 1,1).

Pour information, notons également que le record national de ce ratio est détenu par la ville de Lyon avec un niveau de 2,9.

Les prix des logements sont beaucoup trop élevés par rapport aux revenus des ménages.

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Sources : INSEE, Calculs ACDEFI

Loin de ces extravagances, le ratio de l’ensemble de la province, qui avait atteint un plafond de 1,72 en 2007, a reculé à 1,53 en 2017 et 2018, un plancher depuis 2005, pour remonter très légèrement à 1,58 au premier trimestre 2020. Autrement dit, il existe encore des régions de France où les prix de l’immobilier demeurent relativement « normaux ».

Paris et Lyon sur des plus hauts historiques.

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Sources : CGEDD, ACDEFI

Plus globalement à l’échelle nationale, le moteur principal de la dynamique immobilière française reste évidemment la faiblesse des taux d’intérêt des crédits immobiliers, qui demeurent historiquement bas.

Seul bémol de ce crédit « pas cher », le taux d’endettement des ménages rapporté à leur revenu disponible ne cesse de battre des records également historiques, atteignant désormais 101,5 %, contre par exemple 53 % en 1992 et 56 % en 2000. Notons également que les encours des seuls crédits à l’habitation représentent 82 % du revenu des ménages, là aussi un record.

La dette des ménages français dépasse les 100 % de leur revenu disponible.

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Sources : INSEE, ACDEFI

Bien entendu, tant que les taux d’intérêt obligataires restent faibles, il n’y a pas péril en la demeure. Néanmoins, comme les déficits publics et la dette publique de la France repartent en forte hausse, tout comme d’ailleurs leurs homologues européens, une remontée des taux obligataires et hypothécaires apparaît inévitable, ce qui pèsera immanquablement sur les crédits, puis sur les cours de l’immobilier.

Et ce, d’autant que, face à l’augmentation récente du coût du risque pour les banques françaises, ces dernières sont contraintes de durcir leurs conditions d’octroi de crédits et même de faire peser une prime de risque supplémentaire sur les taux d’intérêt des crédits immobiliers.

En outre, les mesures gouvernementales (et notamment l’Impôt sur la Fortune Immobilière) devraient encore affaiblir le marché immobilier.

Autant de facteurs qui réduiront mécaniquement la demande de biens immobiliers.

Du côté de l’offre, l’augmentation du chômage va malheureusement fragiliser de plus en plus de ménages, qui, comme nous venons de le souligner, sont déjà historiquement endettés, notamment sur le front immobilier.

Face au chômage et à la baisse de pouvoir d’achat que cela entraînera, de nombreux ménages risquent de se retrouver en situation de surendettement et par là même contraints de vendre leur logement pour lequel ils se sont souvent endettés plus que de raison.

Parallèlement, le développement de la digitalisation et du télétravail va de facto réduire l’appétence pour les bureaux et les locaux commerciaux.

Or, de nombreux investisseurs et fonds d’investissements immobiliers se sont lourdement endettés pour acquérir ce type de biens, en comptant sur les loyers pour rembourser leurs échéances de crédits. Si les locataires ne sont plus là, ces investisseurs seront alors, eux aussi, contraints de vendre pour rembourser leurs dettes et éponger leurs pertes.

Face à la baisse des prix de l’immobilier commercial et de bureaux, ces investisseurs pourraient même être forcés de vendre les biens sur lesquels ils gagnent encore de l’argent, en l’occurrence ceux de l’immobilier d’habitation. Ce qui accroîtra encore l’offre de logements.

Enfin, et plus structurellement, le marché de l’immobilier va devoir également digérer les conséquences du « papy-boom », en l’occurrence une augmentation du nombre de décès de nos aînés, c’est-à-dire des enfants du « baby-boom », soit un total d’environ 630 000 décès par an au cours des dix prochaines années, en espérant que le Covid19 n’aggravera pas ce chiffre, contre une moyenne de 570 000 décès annuels depuis 2010.

Ces évolutions ne manqueront évidemment pas d’accroître encore l’offre de logements.

Au final, les fondamentaux du marché immobilier sont clairs : des prix trop élevés, un resserrement des conditions de crédits, une baisse de la demande et une augmentation de l’offre. Dans ce cadre, il ne faut pas être grand clerc pour comprendre que si l’offre devient structurellement plus élevée que la demande, les prix finiront forcément par baisser.

Face à ce constat, de plus en plus de professionnels de l’immobilier commencent à s’inquiéter, voire à dénoncer une bulle qui est devenue trop extravagante et qui ne va pas tarder à se dégonfler massivement.

Si cette perspective fait peur à certains, il est toutefois utile de rappeler que la baisse des prix n’est pas forcément une mauvaise nouvelle. Elle pourrait même au contraire s’avérer salutaire, ne serait-ce que pour redonner de la solvabilité à une demande fragile.

Les agents immobiliers ont d’ailleurs tout intérêt à ce que les prix reculent modérément, de manière à augmenter le nombre de transactions plutôt que de voir les prix continuer de monter avec de moins en moins d’opérations.

C’est d’ailleurs ce qui devrait s’observer, puisque nous anticipons une baisse de l’ordre de 20 % des prix immobiliers en moyenne sur le territoire français (et notamment dans les grandes villes où la bulle est la plus forte) au cours des deux prochaines années.

Ensuite, une fois la correction passée, les prix remonteront progressivement. L’immobilier restera donc un placement porteur à moyen terme. Il a simplement besoin d’un « Reset » pour pouvoir repartir sur des bases plus saines.

Marc Touati