On l’oublie souvent, mais les banques sont le poumon du système économique. Sans elles, ce dernier n’est effectivement plus irrigué et finit par s’éteindre, entraînant des faillites et des licenciements en cascade, puis, au bout du compte, une récession et une crise sociale dramatiques. Autrement dit, un système bancaire fragilisé est généralement annonciateur d’une économie en berne, a fortiori si celle-ci est déjà affaiblie.
Or, avant même la pandémie de Covid-19, les banques de la zone euro accumulaient plus de 600 milliards d’euros de créances douteuses (dont environ 140 milliards pour les seules banques françaises). Plus structurellement, à cause de conditions réglementaires de plus en plus contraignantes, mais aussi de taux d’intérêt obligataires beaucoup trop bas, les banques européennes ont entamé une traversée du désert de plus en plus coûteuse. Pire, avec la concurrence des financements alternatifs et devant affronter depuis quelques mois une récession historique, elles sont désormais en danger. A tel point que certains, et notamment au sein de la Commission européenne, n’hésitent plus à mettre en garde contre de multiples faillites bancaires au cours des trimestres à venir dans l’ensemble de l’Union.
Certes, les banques européennes ne sont pas encore dans un marasme aussi profond que celui qui a suivi la crise des subprimes de 2007 et qui a atteint son paroxysme avec la faillite de Lehman Brothers en 2008. Cependant, ce retour en force des vieux démons de la crise bancaire rappelle que le système bancaire et financier de la zone euro reste menacé, notamment par une nouvelle phase d’aggravation des créances douteuses qui pourrait voir le jour dans les prochains mois. Dès le premier trimestre 2020, toutes les banques européennes ont d’ailleurs augmenté massivement leurs provisions pour défaillances de crédits, grevant mécaniquement leurs résultats trimestriels et entraînant même des pertes pour certaines d’entre elles. La banque néerlandaise ABN Amro a fait ainsi état de sa première perte trimestrielle depuis 2013, à savoir 395 millions d’euros. L’allemande Commerzbank a également plongé dans le rouge avec une perte de 295 millions. Quant à la Société Générale, sa perte trimestrielle a atteint 326 millions d’euros.
Bien entendu, toutes les banques de la zone euro ont et vont encore bénéficier de l’aide pléthorique de la BCE. Pour autant, au-delà de ces cadeaux sans limite, celles-ci doivent faire face à quatre handicaps majeurs. Premièrement, des règles prudentielles extrêmement contraignantes. Deuxièmement, des taux d’intérêt des obligations d’Etat excessivement et anormalement bas. Car, ne l’oublions pas, le principal métier des banques réside dans ce que l’on appelle la transformation, à savoir se financer à court terme, idéalement le moins cher possible (ce qui est le cas aujourd’hui avec des taux monétaires à 0 %) pour prêter et/ou placer sur des produits obligataires à des taux bien plus élevés. Seulement voilà, aujourd’hui et comme cela s’observe depuis 2015, les taux des obligations d’Etat sont quasiment équivalents aux taux monétaires. Dans de trop nombreux cas, ils sont mêmes négatifs.
Autrement dit, les banques ne parviennent plus à « gagner leur vie » avec leur métier de transformation. Pour ne rien arranger, la volatilité des marchés boursiers réduit également les gains sur les fronts de la banque d’investissement et de la gestion d’actifs. Au final, il ne reste donc plus que les commissions diverses et variées, les prêts à la consommation ou encore la vente de téléphones pour permettre aux banques de joindre les deux bouts. C’est un peu juste…
C’est alors qu’intervient le troisième handicap du secteur bancaire, en l’occurrence une dépression économique historique. Certes, au cours des derniers mois, certains Etats, et notamment celui de la France, ont garanti certains prêts aux entreprises à hauteur de 90 %. Mais ne rêvons pas : le marasme économique est tellement fort que les pertes pour non-remboursement que vont devoir supporter les banques seront dramatiquement élevées.
A la rigueur, si la dépense publique avait réussi à stopper la récession et à déclencher une reprise forte et durable, l’impact de cet inconvénient aurait pu rester limité en durée et en ampleur. Malheureusement, comme cela s’est particulièrement bien observé dans l’Hexagone, l’augmentation des dépenses publiques a été et restera incapable de restaurer une croissance vigoureuse. Or, l’une des conséquences inévitables de la récession réside dans l’augmentation du risque de défaut, donc des créances douteuses et plus globalement du coût du risque. Dès lors, le cercle pernicieux devient infernal, dans la mesure où cette fragilisation du bilan des banques réduit l’octroi de crédits à l’économie, donc alimente la récession, puis le chômage, mais aussi les déficits publics…
D’où un quatrième danger, à savoir le risque de réactivation de la crise de la dette publique. Il est vrai que depuis cinq ans, toute la planète financière veut croire que cette dernière est bel et bien terminée et que les taux longs ne remonteront jamais. Pourtant, il n’en est rien. En effet, compte tenu de la flambée à venir des dettes publiques et de la limitation inévitable des effets de la « planche à billets » de la BCE, les taux d’intérêt des obligations souveraines finiront par augmenter, engendrant mécaniquement des moins-values sur les portefeuilles obligataires.
Après avoir dû constituer des provisions pour créances douteuses du secteur privé, les banques italiennes, françaises, européennes, et mondiales pourraient donc bien devoir rééditer l’opération, mais, cette fois-ci, pour des créances accordées au secteur public, qu’il s’agisse des obligations d’Etat ou des crédits accordés aux collectivités locales. Sans parler des risques sur les pays émergents et sur la situation géopolitique mondiale. Voilà pourquoi, et même si les banques européennes ont réduit leurs activités dangereuses (et notamment le « property trading », c’est-à-dire la spéculation avec leurs fonds propres) et bénéficient encore d’une politique monétaire extrêmement accommodante, elles restent fortement menacées par une récession historique, une dette publique trop élevée et un risque de remontée massive des taux d’intérêt des obligations d’Etat.
En conclusion, même si, pour l’instant, le consensus veut croire que la situation est sous contrôle, la probabilité d’une nouvelle crise bancaire majeure demeure plus qu’élevée.
Marc Touati