« Pour 100 briques t’as plus rien ! » Tel était le titre d’une célèbre comédie d’Edouard Molinaro de 1982. A l’époque, 100 briques signifiaient généralement 100 millions d’anciens francs, donc un million de nouveaux francs, soit environ 150 000 euros d’aujourd’hui. Et effectivement, avec une telle somme, ce n’était pas et ce n’est toujours pas le « Pérou », du moins cela ne permet pas d’arrêter de travailler. Comme quoi, avec le temps et un peu d’inflation, les richesses fondent comme neige au soleil. De quoi rappeler qu’il ne sert pas à grand-chose de thésauriser, mais que la seule véritable création de richesses réside dans le travail, l’investissement et l’épanouissement personnel.
Toujours est-il que, presque quarante ans plus tard, cette même phrase est toujours d’actualité, si ce n’est que les briques sont devenues des milliards d’euros. C’est du moins ce qui ressort de la dernière tentative du couple franco-allemand relayée par la Commission européenne pour essayer de sortir l’Europe de la crise du Coronavirus et surtout de sa plus grave récession depuis la seconde guerre mondiale.
Certes, ne boudons pas notre plaisir, pour nous qui n’avons cessé de demander une augmentation massive du budget européen, le plan européen de relance de 750 milliards d’euros annoncé par la Commission européenne a de quoi nous mettre du baume au cœur.
De plus, alors que nous évoquions la semaine dernière dans cette même chronique qu’il était indispensable de mutualiser la dette européenne pour essayer de sauver la zone euro, c’est exactement ce vers quoi l’Europe commence enfin à se diriger. En effet, pour financer ces 750 milliards d’euros, ce sera bien l’Union européenne à 27 qui fera appel aux marchés obligataires internationaux et qui remboursera collectivement cette dette. Parallèlement, elle distribuera ces milliards aux pays et aux régions les plus affaiblis par la crise du Coronavirus, sans distinction de poids dans le PIB européen et encore moins de sérieux budgétaire ou autres critères discriminants.
S’il ne s’agit pas exactement d’Eurobonds (c’est-à-dire d’obligations d’un Etat fédéral européen), force est de reconnaître que cela y ressemble fortement. Autrement dit, n’ayons pas peur des mots : ce plan constitue un véritable exploit, voire un miracle, pour nos amis Allemands et en particulier pour Angela Merkel qui déclarait en juin 2012 que les projets d’euro-obligations étaient non seulement « contraires à la Constitution » allemande, mais aussi « économiquement erronés » et « contre-productifs », tout en ajoutant qu’ils ne verraient pas le jour « de son vivant ».
L’exploit est d’autant plus impressionnant que l’annonce de ce plan intervient à peine quinze jours après la mise en demeure de la cour constitutionnelle de Karlsruhe à l’encontre de la « planche à billets » excessive de la BCE. Hasard ou coïncidence ? Toujours est-il que cette succession d’évènements contradictoires a de quoi nous mettre la puce à l’oreille et surtout nous impose la plus grande prudence. Et ce, pour au moins 5 raisons.
Premièrement, même si la somme peut paraître folle, n’oublions pas que les 750 milliards d’euros promis ne représentent que 5,7 % du PIB de l’Union européenne. C’est évidemment mieux que rien, mais lorsque l’on sait que ce dernier a baissé d’au moins 15 % en valeur (c’est-à-dire inflation comprise) au cours de la récession engendrée par la crise du Coronavirus, on comprend que ce plan de relance est d’ores et déjà hautement insuffisant pour permettre de relancer massivement et durablement l’activité de l’Union européenne.
Deuxièmement, même si, par miracle, ce plan est renouvelé chaque année, cela signifiera que le budget européen sera d’environ 7 % du PIB de l’Union, contre un budget fédéral qui représente plus de 20 % du PIB américain. Autrement dit, la marge de manœuvre du budget européen restera très mesurée.
Troisièmement, même si les annonces de Mme Merkel et de M. Macron, puis de la Commission européenne ont pu produire certains effets ici ou là, il ne faut pas oublier que ce plan doit être validée par l’ensemble des pays de l’Union européenne. S’il est clair que les pays du Sud n’ont aucune raison de le refuser (quoique…), des pays tels que les Pays-Bas, l’Autriche, la Finlande, voire l’Irlande, qui ont su mettre en place une politique sérieuse de dépenses publiques risquent de traîner la patte.
Quatrièmement, comme je ne cesse de le répéter depuis des années, ce plan confirme, une fois encore, que les dirigeants européens ne cessent de répéter les mêmes erreurs. Du haut de leur tour d’ivoire, ils restent effectivement persuadés qu’en dilapidant les milliards d’euros, ils vont résoudre tous les problèmes.
Par définition, cette stratégie est vaine, voire dangereuse. En effet, elle ne consiste qu’à colmater les brèches et à essayer de calmer le jeu temporairement sans résoudre les origines du mal, à savoir l’insuffisance d’investissements innovants et plus globalement l’absence de croissance économique durablement forte et saine. Ainsi, tant que l’Union européenne et la zone euro ne seront pas dotées d’une véritable gouvernance économique efficace tant en matière de croissance que de sérieux budgétaire, la crise ne pourra prendre fin.
D’où un inévitable et douloureux cinquièmement sur le financement de ces mesures. Car si pour le moment, les taux d’intérêt des obligations d’Etat restent très bas, il est clair que de nouveaux dérapages publics à l’échelle européenne vont forcément finir par changer la donne. A fortiori si la BCE est contrainte de limiter sa « planche à billets ».
Le risque est alors grand que pour financer toujours plus de dépenses publiques, il faudra encore augmenter les impôts. Or, l’aggravation de la pression fiscale réduit mécaniquement l’activité économique, donc l’assiette fiscale, ce qui finit par abaisser les recettes de l’Etat et donc par creuser les déficits. Très logiquement, la dette publique augmente, les taux d’intérêt également et le cercle pernicieux de la bulle de la dette recommencera inévitablement à s’installer.
En conclusion, si la gouvernance de l’Union européenne et a fortiori celle de la zone euro ne sont pas améliorées, les 500 milliards d’euros annoncés ne serviront pas à grand-chose et finiront même par coûter très cher…
Marc Touati