C’est malheureusement humain : après chaque catastrophe, on cherche des coupables à tous nos maux, et bien souvent, il s’agit de boucs-émissaires, faciles à trouver mais souvent loin de la vérité. En France en particulier, le coupable est presque toujours le même : le manque de dépenses publiques. Ainsi, que ce soit après les dramatiques attentats de 2015, la crise sociétale des « gilets jaunes » et plus dernièrement la pandémie meurtrière de Coronavirus, le consensus bien-pensant n’a cessé d’avancer qu’avec plus de dépenses publiques, ces catastrophes auraient pu être évitées…
Récemment, un ancien ministre français de l’économie, précisément Arnaud Montebourg, a même annoncé que les « morts dans nos hôpitaux » étaient dus à l’austérité et au développement de l’ultra-libéralisme, oubliant évidemment de souligner qu’il était justement dans le gouvernement qui a décidé de ne pas renouveler les stocks de masques en 2013…
Quelle supercherie et quel manque d’honnêteté ! Le pire est que si, à la rigueur, la France s’était engagée dans un vrai mouvement d’austérité et d’ultra-libéralisme, on pourrait éventuellement accorder quelques crédits à ces sornettes. Mais, en réalité, il n’en est rien.
Et pour cause : depuis la seconde guerre mondiale, les dépenses publiques en valeur n’ont jamais baissé en France. De 2000 à 2019, leur poids dans le PIB français est passé de 51 % à plus de 56 %. A titre de comparaison, celui de l’Allemagne est passé de 48 % à 44 %. Encore mieux, ou plutôt encore pire, la France est devenue numéro un mondial pour le poids de ses dépenses publiques dans le PIB (à l’exception de cinq petites îles dans le Pacifique qui font « mieux » que nous). Même les pays scandinaves, qui étaient précédemment les champions en la matière, ont compris que l’augmentation des dépenses publiques n’était pas un gage de réussite. Le premier d’entre eux est désormais la Finlande, avec un niveau de 53 %, soit environ 3,5 points de moins qu’en France.
Mais ce n’est pas tout, puisque la France est aussi numéro un mondial des dépenses sociales, qui représentent 31,2 % de son PIB, contre 25 % en Allemagne et une moyenne de 20 % pour l’ensemble des pays de l’OCDE.
Enfin, en matière de dépenses de santé, la France est numéro 3 mondial, avec un niveau de 11,2 % de son PIB, à égalité avec l’Allemagne, derrière les Etats-Unis (16,9 %) et la Suisse (12,2 %). Notons que si l’on ne regarde que les dépenses publiques ou obligatoires de santé, la France repasse numéro 2, avec un niveau de 9,5 % du PIB, également comme en Allemagne, contre 14,2 % aux Etats-Unis mais 7,8 % en Suisse. A titre de comparaison, les niveaux moyens des pays de l’OCDE pour ces deux mesures des dépenses de santé sont de 8,8 % et 6,2 %.
Autrement dit, au regard de ces chiffres officiels de l’OCDE, il est fallacieux, démagogique et populiste d’avancer que la France est un pays en austérité et qui aurait sacrifié ses dépenses sociales et sanitaires sur l’autel de l’ultra-libéralisme.
D’ailleurs, n’oublions pas que ces dépenses substantielles ont un coût tout aussi pharaonique, en l’occurrence celui des prélèvements obligatoires (c’est-à-dires des impôts et taxes) qui, rapportés au PIB, placent également la France au premier rang mondial.
Le fait qu’un ancien ministre de l’économie, mais aussi de nombreuses personnalités politiques ou encore journalistiques et même de nombreux économistes osent dire que la France est un pays ultra-libéral alors qu’il est numéro un mondial des dépenses publiques et de la pression fiscale donne une idée de l’inculture économique qui prévaut dans notre beau pays.
En ce qui nous concerne, nous n’avons eu de cesse de souligner l’importance déterminante des dépenses publiques dans une économie développée telle que la France. Celles-ci sont effectivement indispensables pour assurer la stabilité sociale et sociétale, mais aussi la sécurité et la bonne santé des citoyens, conditions sine qua non pour permettre une croissance solide et sereine.
En d’autres termes, le drame de la France n’est pas le manque de dépenses publiques, mais la faible efficacité de ces dernières. Ce qui est inacceptable c’est que notre « douce France » soit « en même temps » le pays qui a les dépenses publiques et les impôts les plus élevés, mais aussi l’un des taux de mortalité lié au Covid-19 le plus fort.
Le nombre de morts emportés par ce virus pour un million d’habitants atteint ainsi 263 en France, contre 42 en Allemagne, alors que, rappelons-le, le ratio dépenses publiques/PIB outre-Rhin est 12 points inférieurs à celui qui prévaut dans l’Hexagone… Encore une preuve, s’il en fallait, qu’augmenter les dépenses publiques est loin d’être la panacée…
Le plus triste c’est qu’en dépit de cet échec cuisant, l’Etat français est aujourd’hui contraint d’accroître encore massivement ses dépenses et sa dette. Evidemment, lorsque l’incendie fait rage, il est normal de tout faire pour l’éteindre. Mais, attention, en France, dans la mesure où les dépenses publiques n’ont jamais baissé, il est à craindre que celles-ci auront encore du mal à reculer après la crise. D’où une inévitable nouvelle augmentation des impôts…
En outre, partant déjà de 100 % du PIB avant la pandémie, la dette publique va encore flamber, atteignant certainement de nouveaux sommets historiques de 130 %. Dans ce cadre, même avec le soutien de la BCE, les taux d’intérêt des obligations de l’Etat français vont augmenter fortement, cassant par là même le rebond de croissance qui devrait avoir lieu après la pandémie. Peut-être qu’alors, certains oseront encore appeler à une augmentation des dépenses publiques… Quelle tristesse !
Marc Touati