Dans un monde de plus en plus incertain, imprévisible et déconcertant, il pourrait être tentant de baisser les bras et de se tourner vers l’astrologie. C’est d’ailleurs ce que font trop souvent certains politiciens et prévisionnistes en tous genres. Rassurez-vous, tel n’est pas notre cas et nous continuerons de faire nos prévisions sur la base des fondamentaux économiques, en tout indépendance et bien loin des astres…
Pour autant, en ce nouvel an chinois, force est de constater que certaines coïncidences apparaissent troublantes. Ainsi, les années de croissance mondiale forte correspondent souvent à celles du dragon (1989, 2000, 2012), du tigre (1998, 2010), voire du chien (2006). A l’inverse, les récessions et krachs boursiers se produisent souvent lors des années du buffle (1973, 1997, 2009), du cochon (1971, 1995, 2007), du lièvre (1939, 1987, 2011) ou encore du rat (1936, 2008).
L’an passé, l’année du « cochon de terre » devait consacrer le règne de la folie et de la gourmandise. Et, comme par hasard, notamment sur ce dernier point, nous avons été particulièrement « gâtés », avec la réactivation massive des bulles sur les marchés financiers.
Malheureusement ou plutôt heureusement, tous les excès ont une fin. Et justement, l’année qui commence est celle du « rat de métal », dont les principales caractéristiques symboliques sont la rigueur, les difficultés financières et la volatilité. Pour ne rien arranger, l’apparition et le développement du coronavirus de Wuhan, cousin du Sras (qui avait fait 800 morts en 2002-2003) inscrit de facto l’année du rat sur une pente dangereuse. De quoi inévitablement, donner la chair de poule…
De manière plus occidentale, nous pourrions également rappeler que le rat est traditionnellement l’animal qui diffuse les épidémies avec une désinvolture aveugle. De quoi peut-être comprendre pourquoi, en dépit de tous les dangers qui s’amoncellent, les investisseurs boursiers ne cessent de chanter leur euphorie, permettant notamment au Dow Jones d’atteindre de nouveaux sommets historiques, au-delà des 29 000 points.
Et c’est bien là que le bât blesse. Car, au-delà des enseignements du calendrier chinois, il faut reconnaître que la flambée des marchés boursiers en dépit des risques évidents qui pèsent sur 2020 commence à devenir inquiétante. Cet aveuglement collectif ressemble de plus en plus à la situation qui prévalait en 2000, ou encore en 2007-2008. A savoir, un environnement dans lequel tous les arguments logiquement baissiers sont jetés aux oubliettes, tandis que les mobiles faussement haussiers sont mis en exergue.
Ainsi, personne ne veut voir les dangers évidents que représentent un hard Brexit, un développement du protectionnisme ou encore l’instabilité politico-sociétale qui prévaut dans de nombreux pays de la zone euro, à commencer par la France et l’Italie, sans oublier les dangers géopolitiques qui foisonnent à travers le monde, que ce soit au Moyen-Orient, en Amérique Latine, en Asie ou encore en Afrique.
Parallèlement, personne n’ose dire que pour justifier un Dow Jones à 29 000 points, il faudrait une croissance mondiale d’au moins 9 %. Or, après être déjà tombée à 2,8 % en 2019, celle-ci ne sera que d’environ 2,4 % en 2020. Du moins, si tout va bien, car ne l’oublions pas, cette année, la moitié de la croissance mondiale doit provenir de Chine. Or, si la pandémie se répand, l’activité économique chinoise s’effondrera et, avec elle, celle de l’ensemble de la planète…
De même, personne ne souligne qu’avec des PER (Price Earning Ratios) supérieurs à 15 et a fortiori à 20, de nombreuses actions et indices boursiers commencent à devenir très chers. Personne non plus pour mettre en garde contre les risques de remontée (même limitée) des taux obligataires et leurs corollaires, une chute des cours des obligations et des actions, mais aussi une nette baisse de la croissance. Et lorsque ceci se produira, que pourront faire les banques centrales et les Etats ? Pas grand-chose, puisque toutes leurs cartouches ont déjà été utilisées.
Mais, non ! Il ne faut surtout pas affoler les foules. Pour le moment, tout va bien et surtout, tout le monde veut rester dopé à la morphine, sans se soucier du lendemain.
Encore plus fort : lors de mes conférences habituelles de début d’année, avec présentation des perspectives, de plus en plus de gérants et d’investisseurs m’apostrophent en me disant : « vous savez, dans un tel marché haussier, je ne peux pas me permettre de vendre ou de conseiller de vendre, on ne se bat pas contre le vent ! »
Nous y voilà ! Le panurgisme est de nouveau de mise, comme lors de la bulle Internet au cours de laquelle les investisseurs se ruaient sur n’importe quelle société pourvu qu’elle soit « .com » ou encore à l’image de ce qui se produisait quelques mois avant l’explosion de la crise des subprimes où les CDO « subprimes » et autres « Sicav monétaires dynamiques » se vendaient comme des petits pains…
Or, lorsque tous les investisseurs vont dans le même sens, c’est forcément le moment de prendre le chemin inverse, encore faut-il en avoir le courage. Autrement dit, nous persistons et signons : les marchés boursiers et obligataires sont bien en bulle, c’est-à-dire déconnectés de la réalité économique.
Cela ne signifie pas qu’ils vont s’effondrer dès demain. Et pour cause : les bulles deviennent encore plus exubérantes lorsqu’elles s’approchent de leur fin. En d’autres termes, nous ne pouvons pas prédire avec exactitude la date du renversement, mais une chose nous paraît certaine : les marchés obligataires et boursiers vont connaître une phase de net ajustement baissier au cours de l’année 2020. Et sans vouloir jouer les « rat-bat-joie » de mauvais augure : mieux vaut prévenir que guérir…
Marc Touati