Comme cela était malheureusement prévisible, nous re-voilà donc dans un double cauchemar : les scènes de « guérilla urbaine » à Paris passent en boucle sur toutes les télés de la planète et, pour ne rien arranger, une grève de grande ampleur semble se préparer pour une période indéterminée qui commencera le 5 décembre. Incertitude, attente sur les quais, entassement dans des rames bondées, agressivité des usagers, embouteillages monstres aux abords et au sein des grandes villes, mais aussi baisse de l’activité, commerces désertés, retard dans les livraisons, baisse du moral des ménages et des chefs d’entreprise… Le spectre des grèves de 1995 revient malheureusement nous hanter.
Autrement dit, si l’on voulait casser le peu de croissance qui existe encore dans l’Hexagone, on ne se serait pas pris autrement. Sans vouloir polémiquer, rappelons simplement qu’un jour de grève nationale représente un coût proche de 2 milliards d’euros, notamment au travers des effets négatifs qu’elle suscite en termes de consommation des ménages et d’activité des entreprises dans l’industrie et les services.
Cette estimation du coût de la grève s’opère comme suit : le PIB français de 2019 est de 2 415 milliards d’euros, chaque jour ouvré représentant un PIB d’environ 9,7 milliards. On peut globalement estimer que le coût d’une grève forte représente environ 20 % d’activité en moins au niveau national (dans le commerce, cela peut même atteindre voire dépasser les 50 %), soit un coût d’environ 1,9 milliards d’euros. Autrement dit, si l’on estime que le coût économique d’une journée de grève se situe entre 1,5 et 2 milliards d’euros, on est vraisemblablement proche de la réalité.
Dans ce cadre, nous anticipons que, si les mouvements de grève se poursuivent et a fortiori se généralisent, la variation du PIB français au quatrième trimestre 2019 sera proche de 0 %, voire négative. Bien entendu, lorsque la grève se termine, un effet de rattrapage de la baisse d’activité passée s’opère mais cette compensation n’est que partielle. En outre et surtout, le véritable coût de la grève réside dans l’affaiblissement de la confiance de l’ensemble des acteurs économiques du pays, ce qui aura forcément un impact durable sur la croissance nationale, qui est déjà très fragile.
Le degré de déprime et de décélération de l’activité est évidemment proportionnel à la durée de la grève, mais aussi à l’issue de cette dernière. Ainsi, si le gouvernement lâche du lest, cela amènera d’autres corporatismes à vouloir, eux aussi, bloquer le pays pour obtenir satisfaction. Dès lors, on risque d’observer une multiplication des mouvements sociaux un peu partout dans l’Hexagone. De plus, si le gouvernement cède sur un sujet aussi central que la retraite, il infirme la stratégie de « rupture » sur laquelle Emmanuel Macron a été élu et met en danger l’avenir économico-financier du pays.
Aussi, à côté des drames humains que toute cette décroissance va produire, le retour des grèves pour des raisons aussi déterminantes que la réforme inévitable des retraites va encore nuire à la crédibilité de l’économie française en matière de capacité à se réformer.
Essayez par exemple d’expliquer à un Allemand, à un Anglais, à un Italien ou encore à un Grec ou à un Espagnol, qui n’a cessé de faire des réformes depuis des années presque sans rechigner, que les Français refusent encore de moderniser leur économie. Essayez de lui expliquer comment une petite frange de la population peut paralyser un grand et beau pays comme la France pour le simple motif qu’il ne faut pas toucher à ses petits avantages. C’est perdu d’avance…
Il faut se rendre à l’évidence : nos voisins européens, qui ont tous fait énormément d’efforts et de sacrifices depuis 2008, ne nous comprennent plus et ne sont plus prêts à accepter les dérives françaises. Il est donc grand temps de parler vrai et de responsabiliser nos concitoyens : en temps de crise, tout le monde doit se retrousser les manches et personne ne doit l’en empêcher. La liberté s’arrête là où commence celle des autres. Et ce, en particulier dans une économie exsangue, toujours proche de la banqueroute, en dépit des apparences.
C’est là tout le dilemme de l’économie française : il faut la réformer massivement pour qu’elle se redresse vraiment et durablement, mais la moindre réformette génère des mouvements de grèves qui grèvent à leur tour une croissance déjà très molle et incitent par là même les dirigeants du pays à céder aux pressions.
Il n’existe donc qu’une seule solution : engager une vraie et profonde « thérapie de choc » qui certes générera des mouvements sociaux mais qui permettra à l’économie française de nettement se reprendre une fois les grèves passées. Parallèlement, pour éviter tout dérapage sociétal, il faut également développer la culture économique des Français.
Il faut effectivement sortir de la culture de « lutte des classes » qui fait tant de mal à notre « douce France ». Cela permettra notamment de faire comprendre aux jeunes et aux moins jeunes que si le système capitaliste n’est évidemment pas parfait, il est le seul capable de fonctionner, comme l’ont montré les échecs cuisants des autres expériences. Dès lors, ce n’est pas en le détruisant que l’on créera un monde meilleur, mais en améliorant son fonctionnement.
Pour ce faire, il serait par exemple opportun de faire comprendre à nos concitoyens que si la France plonge dans le chaos social, la récession s’imposera durablement et le chômage flambera. Ce qui aggravera encore la situation de la classe moyenne et a fortiori des plus défavorisés. Est-ce là l’héritage que nous voulons laisser à nos enfants ?
Si nous voulons sortir par le haut de la crise actuelle et éviter que la France sombre dans une révolution sociétale, nous savons donc ce qui nous reste à faire. Mais si nous continuons de refuser de voir la réalité en face et que nous maintenons notre comportement dogmatique, alors la haine et la lutte des classes s’imposeront de plus en plus, ce qui finira par plonger la France dans un marasme sans nom. Et inutile évidemment de souligner que si la « bulle » sociale française explose, toutes les autres bulles (boursières, obligataires, immobilières…) exploseront « en même temps ».
Marc Touati