Allemagne – France : 5 – 1.

Dans mon dernier livre « Un monde de bulles » (toujours en tête des ventes de sa catégorie sur Amazon.fr, j’en profite d’ailleurs pour vous remercier de votre fidélité), j’ai consacré un chapitre au comparatif économique franco-allemande, avec un titre évocateur « Allemagne : 5 – France : la bulle ».

Or, depuis quelques trimestres, l’économie française continue de croître, certes modérément et à coup de milliards d’euros d’augmentation des dépenses publiques, tandis que le PIB allemand a connu deux trimestres de baisse au cours de l’année écoulée.

Il n’en a évidemment pas fallu plus à certains pour laisser croire que l’économie hexagonale était sur le point de dépasser durablement celle de l’Allemagne. Certains encore plus audacieux en ont même profité pour annoncer que, compte tenu de l’affaiblissement politique d’Angela Merkel, la France allait redevenir rapidement la locomotive économique et politique de l’Union européenne. Magnifique !

Seulement voilà, au-delà des apparences et malheureusement pour notre « douce France », il n’en est rien et il ne sera rien.

Et plutôt que de faire des plans sur la comète, comme le font depuis des années les dirigeants politiques français en vain, il serait bien plus opportun de regarder la réalité en face et notamment les quelques graphiques suivants, qui sont bien plus parlants que de longs discours.

Certes, pour commencer, il faut reconnaître que sur le front de l’activité économique actuelle, la France marque un point.

Voici le fichier pdf :

EconomicWorld020919

Ecart de croissance depuis un an : La France fait mieux que l’Allemagne.

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Sources : Destatis, INSEE, ACDEFI

En effet, au deuxième trimestre 2019, le glissement annuel du PIB allemand est tombé à 0,4 %, tandis que celui du PIB français a augmenté à 1,4 %. Il ne s’agit donc d’un écart d’un point, soit du jamais vu depuis le quatrième trimestre 2009.

Cette divergence apparente s’explique principalement par le fait que l’Allemagne pâtit beaucoup plus du fort ralentissement du commerce mondiale. La part des exportations dans son PIB est effectivement de 45 %, contre 30 % pour le France. De plus, l’économie française bénéfice encore des 12 milliards accordés par l’Etat à la suite du mouvement des « gilets jaunes ».

Ecart de croissance France-Allemagne : + 1 point sur un an mais – 26 points depuis 2006.

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Sources : Destatis, INSEE, ACDEFI

Mais, attention, comme le montre le graphique ci-dessus, sur longue période l’écart de croissance reste largement à l’avantage de l’Allemagne, en l’occurrence 26,3 points de plus depuis 2006.

Allemagne : la chute de l’indice IFO du climat des affaires annonce de nouvelles baisses du PIB.

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Sources : Destatis, IFO, ACDEFI

Bien entendu, les indicateurs avancés de l’activité continuent de se dégrader fortement outre-Rhin, tandis qu’ils s’améliorent légèrement en France.

En août, la nouvelle baisse de l’indice IFO du climat des affaires annonce même de nouvelles diminutions du PIB allemand. Et ce d’autant que l’indice des perspectives d’activité est au plus bas depuis juin 2009.

L’indice IFO des perspectives d’activité au plus bas depuis juin 2009.

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Sources : Destatis, IFO, ACDEFI

Bien différemment, l’indice INSEE du climat des affaires en France a stagné en août, montrant que la croissance devrait se stabiliser entre 1 et 1,3 %.

France : l’indice INSEE du climat des affaires stagne en août.

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Sources : INSEE, ACDEFI

Autrement dit, à court terme, l’écart de croissance devrait rester à l’avantage de la France. Mais, ne rêvons pas : une fois les effets des cadeaux budgétaires passés, la conjoncture française se reconnectera rapidement à celle de l’Allemagne. Dès lors, les cinq faiblesses structurelles de la France par rapport à l’Allemagne reprendront le dessus.

Comme nous l’avons vu plus haut, l’écart de croissance sur long terme demeure largement à l’avantage de nos voisins d’outre-Rhin. Ce qui nous amène au score de 1 partout.

Mais il y a bien plus grave. En effet, alors que de 2002 à 2007, le taux de chômage allemand était nettement supérieur à son homologue français, la situation s’est inversée depuis 2008 et n’a ensuite cessé de se dégrader au détriment de la France.

Longtemps supérieur à son homologue français, le taux de chômage allemand demeure structurellement inférieur.

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Sources : Eurostat, ACDEFI

Ainsi, selon les chiffres harmonisés d’Eurostat, le taux de chômage allemand est passé d’un sommet de 11,2 % d’avril à août 2005, pour atteindre aujourd’hui un plancher de 3,0 % en juillet 2019. A l’inverse, le taux de chômage français est passé d’un plus bas de 7,2 % en février 2008 à un sommet de 10,5 % lors de l’été 2015, pour finalement atteindre 8,5 % actuellement. L’Allemagne reprend donc l’avantage : 2 – 1.

Et ce, d’autant que le comparatif est encore plus douloureux en matière de chômage des moins de 25 ans. Actuellement, ce dernier n’est ainsi que de 5,6 % en Allemagne, contre 19,2 % en France. Certes, ce dernier était encore de 25,5 % en octobre 2016, mais, compte tenu des aides et des artifices statistiques, il est clair qu’à 20 %, le taux de chômage des jeunes français est un lourd handicap pour notre économie et notre société.

Taux de chômage des jeunes : 5,6 % en Allemagne et 19,2 % en France.

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Sources : Eurostat, ACDEFI

Troisième grand écart : le solde de la balance commerciale. Là aussi, le comparatif fait froid dans le dos. En effet, le dernier excédent commercial français remonte à août 2004. Depuis, que des déficits ! Avec un record de déficit sur douze mois de 69,3 milliards d’euros atteint en octobre 2011.

Déficit commercial français : 54,4 milliards d’euros en juin 2019.

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Sources : Minefi, ACDEFI

Après une légère diminution, notamment en 2015-2016, c’est reparti de plus belle en 2017-2018. En septembre 2018, le déficit commercial français sur douze mois a ainsi atteint 60,4 milliards d’euros, pour certes rebaisser depuis, mais tout en restant élevé, à encore 54,4 milliards d’euros en juin 2019.

De plus, compte tenu du ralentissement passé et à venir du premier partenaire commercial de la France (en l’occurrence la zone euro), une nouvelle dégradation est à attendre pour la fin 2019 et surtout 2020. Certains diront que c’est à cause d’un euro trop fort, mais attention, la vigueur de l’euro et la faiblesse structurelle de la croissance eurolandaise ne sont pas des obstacles insurmontables.

La preuve : malgré ces deux inconvénients, l’Allemagne n’a cessé d’engranger des excédents commerciaux. En fait, son dernier déficit commercial remonte à 1951 !

Depuis, grâce une spécialisation géographique et sectorielle audacieuse, mais aussi grâce à une modernisation massive et permanente de son économie, l’Allemagne dégage des excédents commerciaux structurels impressionnants. A savoir, environ 20 milliards d’euros par mois et près de 250 milliards par an.

Excédent commercial allemand : environ 20 milliards d’euros par mois et près de 250 milliards par an !

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Sources : Destatis, ACDEFI

Et même si le ralentissement mondial pèse et va encore peser négativement sur le commerce allemand, ce dernier restera largement excédentaire, tout comme celui de la France demeurera fortement déficitaire. De quoi rappeler combien l’absence de réformes structurelles et de stratégies efficaces de spécialisation internationale coûte cher à l’économie française. L’écart se creuse donc encore : 3 – 1.

Mais ce n’est pas tout, puisqu’un tel écart de performances s’observe également en matière de comptes publics. Ainsi, pour la sixième année consécutive, l’Allemagne devrait dégager un excédent public. Après avoir atteint 1,7 % du PIB en 2018, il devrait avoisiner 1,3 % cette année.

Très loin de ces performances, le dernier excédent public français remonte à 1974. Quant à la fameuse barre des 3 % de déficit/PIB, qui a certes été enfoncée en 2018, elle devrait être de nouveau dépassée en 2019, avec un niveau d’au moins 3,3 %.

Comptes publics : excédents versus déficits…

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Sources : INSEE, Destatis, Prévisions ACDEFI

A ce sujet, notons que sur les 7 premiers mois de l’année 2019, le déficit budgétaire français a atteint 109,7 milliards d’euros, contre 82,8 milliards d’euros un an plus tôt. Pour faire simple : un tel déficit sur les 7 premiers mois de l’année n’a tout simplement jamais été observé dans l’histoire contemporaine française. A l’évidence, ça calme !

Et malheureusement, à cause notamment la faiblesse des taux d’intérêt des obligations d’Etat, la gabegie de dépenses publiques dans l’Hexagone est loin d’être terminée. Ces écarts entre excédents publics allemands et déficits massifs français ne tombent évidemment pas du ciel. Ils sont principalement dus à une optimisation des dépenses publiques outre-Rhin, contre une aggravation des gaspillages publics en France. Le score passe donc bien à 4 – 1.

Dépenses publiques / PIB : près de 57 % en France, 44 % en Allemagne.

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Sources : Destatis, INSEE, Eurostat, ACDEFI

Conséquence logique de ces écarts, les ratios « dette publique / PIB » ont également évolué de manière divergente depuis 2010. Ainsi, après avoir atteint un sommet de 81,8 % en 2010, celui-ci n’a cessé de baisser outre-Rhin, pour finalement tomber à 60,9 % en 2018 et vraisemblablement 57 % en 2019.

Dette publique / PIB : 100 % en France, 57 % en Allemagne.

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Sources : Destatis, INSEE, FMI, Eurostat, ACDEFI

A l’inverse, alors que le ratio « dette publique / PIB » était très proche de celui de l’Allemagne jusqu’en 2010, le « ciseau » s’est ouvert depuis lors. Et pour cause : de 83 % en 2009, celui-ci est est monté à 100,7 % au quatrième trimestre 2017 et se stabilise depuis autour des 100 %.

En conclusion, que ce soit sur les fronts de la croissance de long terme, du chômage, de la balance commerciale, du déficit public et de la dette publique, rien n’y fait : la France perd par chaos face à l’Allemagne, qui remporte donc le match 5 – 1.

Il faudrait donc arrêter de laisser croire que, par miracle, la France serait devenue le modèle économique de l’Europe, tandis que l’Allemagne en serait désormais le cancre…

Espérons simplement qu’un jour cela changera vraiment et durablement, et pas seulement dans les discours et les faux-semblants. L’espoir fait vivre…

Marc Touati