C’est l’une des nombreuses conséquences néfastes des taux d’intérêt négatifs dont bénéficie la dette publique française : les pouvoirs publics, déjà structurellement réticents aux réformes structurelles et à la baisse des dépenses publiques, ne veulent désormais plus en entendre parler : au diable la réduction des déficits publics, dépensons sans compter ! Dernier exemple en date : en dépit de son caractère indispensable, la réforme fondamentale des retraites est quasiment annulée, ou du moins très fortement édulcorée.
Pourtant, il faut être clair et comprendre l’ampleur du problème : dans la mesure où le financement du système de retraite par répartition consiste à faire payer les retraités par les actifs, il ne s’agit ni plus ni moins d’un système Madoff à l’échelle hexagonale. Evidemment, lorsque l’on comptait 3,14 actifs pour un retraité (c’est-à-dire depuis l’après seconde mondiale jusqu’au début des années 1970), ce « système Ponzi » (du nom de « l’illustre » prédécesseur de Madoff dans les années 1920 Charles Ponzi) ne posait aucun réel problème. Seulement voilà, actuellement, on ne recense plus qu’environ 1,4 actif pour un retraité et le ratio va empirer au cours des prochaines décennies. Autrement dit, à l’instar du système Madoff qui s’est effondré lorsque les nouveaux cotisants n’étaient plus suffisamment nombreux par rapport aux anciens (qui, en plus, réclamaient leur dû), le système de retraite par répartition à la française est voué à l’explosion. Souligner une telle réalité ne relève pas de la politique, ni même de l’économie, mais tout simplement de la mathématique.
De plus, les retraités représentent environ 24 % de la population française et n’ont jamais été aussi nombreux. De même, Ils n’ont jamais passé autant de temps à la retraite : près de 26,5 ans en moyenne pour une personne née en 1949. Selon le Conseil d’Orientation des Retraites (COR), plus de 300 milliards d’euros soit environ 14 % du PIB, sont consacrés chaque année au financement des retraites. Et avec l’arrivée à l’âge de la retraite des générations de la fin du « baby-boom », la hausse du nombre de retraités va considérablement s’accélérer à partir de 2035. De 16,3 millions en 2019, leur nombre devrait dépasser la barre des 22 millions en 2050.
Pourtant, en dépit d’une telle évidence, une grande majorité des Français, du moins selon les sondages, continue de vouloir maintenir le statu quo. Chacun y va de son argument. Pour les uns, la retraite à 62 ans est un acquis social qu’il est impensable de casser ; pour d’autres il suffit de créer un nouvel impôt pour tout résoudre (encore un…).
Le pire est que les prévisions avancées par le COR restent excessivement optimistes ! En effet, celui-ci pense que le taux de chômage français va tendre progressivement vers 5 % ou, au pire des cas, vers 7 %, tout en imaginant que la productivité croîtrait de 1,8 % par an, contre moins de 1 % depuis quinze ans. Et même selon ces hypothèses dignes d’un conte de Noël, les déficits annuels des retraites prévus par le COR avoisineraient les 11 milliards d’euros à partir de 2020.
En outre, il ne faut pas oublier qu’il s’agit là de déficits annuels qui se cumuleront dans le temps et pourront avoisiner les 1 500 milliards d’ici 2050. Or, la dette publique atteint déjà plus de 2 300 milliards d’euros et va encore augmenter, indépendamment des déficits des retraites. Il est donc clair que, si la question du financement des retraites n’est pas résolue au plus vite, la dette publique française flambera encore nettement et que, ce faisant, le retour apparent d’une certaine crédibilité de la France sera vite inversé, ce qui finira par entraîner une dégradation massive de la note de la dette publique française. D’où, même si personne ne veut y croire actuellement, une inévitable augmentation des taux d’intérêt des obligations d’Etat, impliquant moins de croissance, plus de déficits, plus de trous des retraites et de la sécu…
En outre, n’oublions pas que les caisses de retraites détiennent énormément d’obligations d’Etat en portefeuille. Avec le dégonflement à venir de la bulle obligataire, donc la remontée des taux d’intérêt de ces mêmes obligations, les cours de ces dernières vont baisser, réduisant la valeur des actifs des caisses de retraites et compromettant davantage leur capacité de paiement des pensions.
Le pire est que la énième réforme des retraites que prépare l’actuel gouvernement semble se diriger vers le « minimum syndical ». En effet, elle se contentera d’essayer d’harmoniser une toute petite partie des 35 régimes de retraites, et surtout d’établir des prévisions de croissance et de chômage irréalistes, avec des colmatages de brèches en tout genre, des saupoudrages de mesurettes, des nouveaux impôts, etc. Autrement dit, beaucoup de bruit et de marketing pour pas grand-chose.
En fait, pour résoudre définitivement le problème, il faudrait avant tout consacrer une plus grande responsabilisation des Français face à leur retraite et engager une véritable harmonisation de l’ensemble des systèmes. Chaque Français devrait notamment connaître officiellement et chaque année le montant de ses cotisations retraites, ainsi que le montant des prestations retraites auxquelles elles lui donnent droit. Ensuite, chacun pourra choisir : partir tard ou tôt à la retraite et, en fonction de son choix, recevoir plus ou moins de pensions. Dans le même temps, il faudra forcément soutenir le système par répartition avec une retraite par capitalisation qui permettra aux retraités de toucher l’ensemble des sommes collectées pendant leur vie active, soit d’un seul coup, soit sous forme de rente.
Les deux mots clés du sauvetage de la retraite française sont donc « responsabilité » et « liberté ». Il n’est plus possible de continuer à entretenir la déresponsabilisation des Français à l’égard de l’économie en général et des systèmes sociaux en particulier. Chaque individu est capable de comprendre que s’il vit plus longtemps (et c’est tant mieux), il doit forcément cotiser plus pour garder le même niveau de prestations retraites qu’avant.
En revanche, il doit aussi avoir la certitude que ces cotisations supplémentaires ne serviront pas simplement à entretenir le « mammouth » ou à payer des personnes qui ont beaucoup moins cotisé que lui. Les Allemands, les Anglais, les Italiens et beaucoup d’autres à travers le monde l’ont compris, il n’y a pas de raison que les Français n’y parviennent pas.
Marc Touati