Ah l’Europe ! Quel beau projet ! A son actif, de belles réussites : d’abord la paix, ensuite le libre-échange au travers de l’Union européenne et enfin la zone euro qui, pour la première fois dans l’Histoire de l’Humanité, a permis d’unir 341 millions de personnes autour d’une même monnaie en temps de paix.
Pour autant, soyons francs et réalistes, l’Europe ce n’est malheureusement pas qu’une belle réussite. De nombreux échecs sont venus ternir cette belle réalisation. L’Union européenne a ainsi été très vite sclérosée par une technocratie ingérable qui a produit beaucoup trop de rigidités. De ce fait, elle a été incapable de générer une croissance durablement forte et a fortiori une situation de plein-emploi durable. De même, elle n’a pas réussi à éviter la crise de 2008-2009 et les récessions qui ont suivi.
Encore plus grave, la zone euro est l’une des lanternes rouges de la croissance mondiale depuis quinze ans et a même failli exploser lors de la crise grecque. Elle a été sauvée in extremis par la BCE et par « Super Mario », mais qui n’ont finalement fait que gagner du temps. Car comme je l’ai écrit à maintes reprises depuis des années, l’UEM ne peut perdurer sans union fédérale et politique. L’Histoire de l’Humanité nous l’a montré. De toutes les nombreuses tentatives d’union monétaire qui ont jalonné celle-ci, les seules qui ont survécu sont celles qui ont été finalisées par une union politique.
Le drame est que, depuis quelques années, les peuples de la zone euro et aussi leurs dirigeants sont devenus de plus en plus réticents à l’idée d’une union fédérale. Encore plus grave : un sentiment europhobe se répand comme un virus et gagne de plus en plus de pays et de citoyens. La raison de ce rejet est finalement assez simple : depuis des décennies, les dirigeants des pays européens, principalement par manque de courage, n’ont cessé de dire à leurs populations que s’il fallait faire des efforts c’était à cause de l’Europe. Pourtant, s’il faut assainir les dépenses publiques et les rendre plus fécondes en croissance, ce n’est pas pour l’Europe mais pour éviter à nos enfants de devoir payer une dette exorbitante. Conséquence logique de cette erreur stratégique et historique : la construction européenne est devenue le bouc émissaire idéal et a stigmatisé toutes les rancœurs, voire les haines.
Autrement dit, non seulement l’Europe n’est pas devenue la terre de croissance et d’emploi attendue mais, en plus, dans l’inconscient collectif, elle est désormais perçue comme la mère de toutes les rigidités et de toutes les inefficacités budgétaires et économiques, avec en toile de fond un chômage de masse endémique. Même les pays qui ont réussi à moderniser leurs structures économiques, sont devenus sceptiques à l’égard de la construction européenne. A commencer bien sûr par le Royaume-Uni, mais aussi par l’Allemagne. Et si, après avoir refusé l’euro, les Britanniques ont déjà franchi le Rubicon de la sortie de l’Union, de plus en plus de pays sont tentés par le repli sur soi et le retour en arrière. A commencer par l’Italie, la troisième économie de la zone euro.
Mais à la rigueur si le désamour anglo-européen était connu, l’installation d’un jeu non-coopératif au sein même de la zone euro l’est moins. C’est pourtant ce qui se passe depuis des années au travers de la concurrence fiscale qui se joue entre les pays de l’UEM. Le Luxembourg, l’Irlande et, depuis peu, le Portugal ont ainsi compris que, pour profiter à plein de la zone euro, il fallait réduire massivement les impôts, voire devenir un « paradis fiscal », en particulier pour les ressortissants étrangers européens qui choisiraient de s’exiler dans des terres d’accueil très favorables. Il est vrai que les « paradis fiscaux » n’existent que parce qu’il y a des « enfers fiscaux », à commencer par notre « douce France ». Et, malheureusement, au regard des mesures gouvernementales passées et à venir, il y a encore de la marge pour que cette dernière se mette au niveau de la quasi-totalité de ses partenaires européens en matière de prélèvements obligatoires.
Il faut donc être clair : sauf si une prise de conscience miraculeuse se produit, notamment en France, afin d’engager la zone euro vers une harmonisation des conditions fiscales et réglementaires, avec un budget fédéral efficace mais aussi moins de rigidités structurelles, l’UEM telle que nous la connaissons aujourd’hui aura disparu d’ici 2025.
Cela ne signifiera d’ailleurs pas la fin de l’euro, mais l’avènement d’une zone monétaire plus restreinte, avec une vraie intégration, une véritable union fédérale, des règles strictes et une entraide à toute épreuve. C’était justement le but du traité de Maastricht en 1992. Dommage que les dirigeants européens ne le comprennent qu’aujourd’hui, 27 ans plus tard.
Dans ce cadre, il est possible d’imaginer pour la prochaine décennie une Europe à 4 vitesses. La première sera une sorte de « zone euro premium », uniquement avec les pays qui respectent les règles d’harmonisation des conditions fiscales et réglementaires, le tout étant consolidé par un budget fédéral et une union politique.
Ensuite, une « zone euro basique » pourra réunir les pays souhaitant garder la monnaie unique, mais n’étant pas encore capables de remplir tous les critères d’adhésion à la « zone euro premium ». Ces pays pourraient ainsi bénéficier d’un taux de change un peu moins fort de manière à pouvoir retrouver le chemin d’une croissance forte et in fine intégrer la « zone premium ».
Encore un peu plus bas sur l’échelle de l’intégration européenne, la troisième Europe serait tout simplement celle de l’Union européenne actuelle, c’est-à-dire une zone de libre-échange, mais sans monnaie commune.
Enfin, la dernière Europe réunirait les pays géographiquement européens, mais qui ne souhaitent pas faire partie de l’Union européenne, avec néanmoins des relations économiques et commerciales privilégiées, tels que la Suisse, la Norvège et bientôt le Royaume-Uni.
Cette nouvelle Europe ne sera évidemment pas parfaite, mais elle aura au moins le mérite d’être claire, transparente et crédible. Ce qui ne sera déjà pas si mal…
Marc Touati