C’est triste à dire, mais l’euro vient de fêter ses vingt ans (précisément le 1er janvier 2019) dans l’indifférence quasi-générale. Le vingtième anniversaire de la création de l’Union Economique et Monétaire (UEM) n’a effectivement donné lieu à aucune cérémonie particulièrement remarquable et encore moins à une liesse populaire. Et pour cause : l’euro n’a plus la cote. Pire, après l’avènement d’un gouvernement europhobe à la tête de l’Italie il y a un an et à quelques jours des élections européennes, certains continuent d’avancer que l’euro a été une erreur économique et que l’Europe se serait bien mieux portée sans lui.
Une idée reçue particulièrement pratique mais évidemment totalement erronée. A commencer par la soi-disant flambée des prix qu’aurait suscitée la création de la monnaie unique. En effet, non seulement l’inflation n’a pas été plus forte depuis 1999 mais elle a, au contraire, été inférieure à celle qui prévalait au cours des années précédentes.
Les statistiques sont sans appel : de 1980 à 1998, l’inflation annuelle moyenne a été de 9 % dans la future zone euro et de 4,8 % en France. De 1999 à 2018, cette même inflation annuelle moyenne est tombée à 1,7 % dans l’UEM et à 1,5 % en France. Parallèlement, à titre de comparaison avec le reste du monde, l’inflation annuelle moyenne de 1999 à 2018 a été de 4 % à l’échelle de la planète, 2,2 % aux Etats-Unis et 2 % au Royaume-Uni. Autrement dit, sans aucune équivoque, il n’est pas possible de dire que l’euro a suscité une aggravation de l’inflation dans les pays de l’UEM, notamment en France, et encore moins une inflation supérieure à celle du reste du monde.
Certes, il ne faudrait pas non plus tomber dans l’angélisme et laisser croire que la zone euro a été un paradis de croissance et d’emploi. Bien au contraire malheureusement. Ainsi, la création de l’euro n’a absolument pas permis à l’UEM d’éviter les affres de la crise financière de 2008 et encore moins les récessions de 2009 et 2011. En outre, il ne faut pas oublier que, de 1999 à 2018, la croissance annuelle moyenne de la zone euro n’a été que de 1,5 %, contre 1,9 % au cours de la décennie précédente et surtout contre 3,8 % pour l’ensemble de la planète et 2,2 % pour les Etats-Unis sur cette même période.
Autrement dit, l’objectif de faire de l’Union Economique et Monétaire une terre de croissance forte et durable a été complètement ratée. Et ce, pour trois raisons essentielles.
Premièrement, de 1999 à 2011, la politique monétaire de la zone euro a été inefficace et même contreproductive. Que ce soit en 2000, 2002 et a fortiori en 2007, 2008 et 2011, la BCE a effectivement largement ignoré les risques qui pesaient sur la croissance et surestimé les risques inflationnistes. Ce n’est qu’avec l’arrivée de Mario Draghi à la tête de la BCE en novembre 2011 que la situation a enfin changé.
Deuxièmement, les dirigeants politiques eurolandais ont été incapables de finaliser la zone euro. Ainsi, ils ont oublié d’engager une harmonisation des conditions fiscales et réglementaires, ainsi que l’homogénéisation des marchés du travail. De même, ils n’ont pas été capables de doter la zone euro d’une véritable politique budgétaire à même de faire le pendant à l’orthodoxie monétariste de la BCE et d’éviter les chocs asymétriques.
Troisièmement, l’UEM a été incapable de piloter l’évolution de l’euro, notamment face au dollar et n’a pas réussi à imposer ce dernier comme monnaie de réserve internationale susceptible de remplacer le dollar. De ce point de vue, l’euro a été une excellente arme pour soutenir la croissance… américaine.
Il faut donc avoir l’honnêteté de le dire : si la création de l’euro est une réussite technique, elle n’en est pas une sur le front de la croissance et de l’emploi.
Pour autant, il faut également souligner que si l’euro n’avait pas été là, la situation aurait été encore plus dramatique. Et notamment en France. En effet, le franc aurait été attaqué, ce qui aurait contraint la Banque de France à augmenter fortement ses taux directeurs, réduisant par là même la croissance hexagonale. Dans le même temps, l’Italie et les autres pays européens auraient dévalué massivement leur devise, ce qui aurait réduit la compétitivité des produits français et les exportations avec, aggravant encore la situation économique globale.
Cet affaiblissement de la croissance aurait suscité une augmentation massive des déficits publics et une flambée de la dette publique encore plus haut qu’actuellement. Dès lors, sans la protection et les achats d’obligations d’Etat de la BCE, les taux d’intérêt des bons du Trésor français auraient flambé, aggravant encore la récession, donc augmentant le chômage et les déficits, puis la dette, ce qui aurait suscité une nouvelle vague de hausse des taux d’intérêt obligataires, cassant encore davantage l’activité et le cercle pernicieux aurait continué jusqu’à la faillite.
Pour ceux qui pourraient encore douter de ce type de krach obligataire en l’absence de l’euro, rappelons ainsi qu’en mars 2012, lorsque la Grèce était sur le point de quitter l’UEM, le taux d’intérêt à dix ans des obligations de l’Etat grec avoisinait les 40 % et que celui à deux ans montait à 377 %, précisément le 7 mars 2012.
Plus récemment, lors du cafouillage autour de la nomination du gouvernement italien fin mai 2018, le taux d’intérêt à dix ans des obligations de l’Etat transalpin a flambé dans des proportions impressionnantes : entre le 4 et le 30 mai 2018, il est passé de 1,7 % à 3,4 % ! S’il a certes reculé depuis, il s’est néanmoins stabilisé entre 2,6 % et 3,1 %, plongeant l’Italie dans sa troisième récession en une décennie.
En conclusion, si l’euro n’était pas là, la situation économique et sociale de la France et de l’ensemble des pays de l’UEM serait encore plus difficile qu’aujourd’hui. Malheureusement, de trop nombreux Français et Européens n’en sont toujours pas convaincus. Dès lors, et même si cela n’est évidemment pas souhaitable, il nous faut reconnaître que l’euro ne fêtera peut-être jamais son trentième anniversaire…
Marc Touati