Souvenez-vous, c’était il y a tout juste huit mois, le glissement annuel des prix à la consommation s’élevait à 2,9 % aux Etats-Unis et 2,3 % dans la zone euro. Un vent de panique s’installait alors chez certains économistes et sur les marchés financiers. « Au secours, l’inflation revient ! » pouvait-on entendre ici ou là.
Evidemment, comme nous l’annoncions à l’époque, Il n’en a rien été. En février 2019, l’inflation est même retombée à 1,5 % tant outre-Atlantique que dans l’UEM. Et même si, en mars, elle est remontée à 1,9 % aux Etats-Unis, il n’y a toujours pas péril en la demeure. D’autant que celle de la zone euro a encore reculé à 1,4 % en mars.
De plus, au regard de la « planche à billets » pléthorique qu’a actionnée la BCE depuis 2015 et qui vient tout juste de prendre fin, avec néanmoins le maintien d’une politique monétaire extrêmement accommandante, l’inflation eurolandaise apparaît particulièrement faible.
De même, compte tenu de la « planche à billets » de la Fed de 2009 à 2016, d’une politique monétaire toujours très favorable, mais aussi de la remontée des cours des matières premières, sans oublier le plein-emploi, l’inflation américaine reste largement contenue. D’autant que, hors énergie et produits alimentaires, l’inflation américaine n’est que de 2,0 %, soit 0,5 point de moins que l’objectif de la Réserve fédérale.
En fait, les risques du retour de l’hyperinflation sont extrêmement faibles, voire inexistants. Et ce pour au moins six raisons.
Premièrement, la récente et légère augmentation de l’inflation (du moins aux Etats-Unis) n’est qu’un effet de correction de la faiblesse passée et une conséquence logique de l’augmentation des cours des matières premières.
Deuxièmement, en dépit d’une inévitable augmentation liée au rythme de la croissance mondiale, les prix des matières premières ne devraient pas flamber comme en 2007-2008. En effet, en 2007, après avoir déjà atteint 5,5 % l’année précédente, la croissance mondiale était de 5,7 %. Or, après avoir atteint un « petit » 3,8 % en 2017, puis être tombé à 3,3 % en 2018, cette dernière devrait encore reculer vers les 2,8 % en 2019.
De plus, pour ne parler que du pétrole, n’oublions pas que l’offre mondiale « d’or noir » reste encore supérieure à la demande, réduisant par là même les risques de pénuries à venir. Autrement dit, si un baril à 70 dollars (voire 75) paraît justifié, un baril durablement supérieur à 100 dollars semble exclu.
Troisièmement, compte tenu du caractère modéré de la croissance mondiale, l’inflation par la demande restera contenue. Et ce d’autant que les risques politiques et géopolitiques qui pèsent sur la sphère économico-financière internationale empêcheront toute euphorie.
Quatrièmement, cette croissance modérée ne permettra aucunement de tendre les taux d’utilisation des capacités de production sur des niveaux élevés. Autrement dit, de nombreux mois (voire des années) s’écouleront encore avant que les capacités de production soient utilisées à plein, empêchant ainsi tout risque de flambée des coûts de production, donc, in fine, de l’inflation.
Cinquièmement, dans le prolongement de la faiblesse des tensions exercées sur l’appareil productif, le chômage demeure élevé dans de nombreuses parties du globe, en particulier en Europe (excepté en Allemagne et au Royaume-Uni). Autant dire que la flambée des salaires qui pourrait être un prélude à une forte hausse des prix n’est ni pour demain, ni pour après-demain. Et même aux Etats-Unis, où le plein-emploi règne, la progression des salaires est et demeurera modérée.
Sixièmement, rappelons-nous que même si la croissance est plus vigoureuse que prévu (ce qui reste peu probable, en particulier en Europe), le fort degré de concurrence internationale empêchera les entreprises d’augmenter leurs prix de façon excessive. Et même si les coûts de production progressent et progresseront encore dans les pays émergents, les marges de gains de productivité et de réduction de coûts demeurent encore très élevées à travers la planète.
Au total, le risque d’hyperinflation et même d’une inflation nettement et durablement supérieure à 3 % apparaît extrêmement faible.
Plus fondamentalement, il ne faut pas oublier l’essentiel : un peu d’inflation n’a jamais tué personne. Bien au contraire, une inflation comprise entre 2 et 3 % est normale lorsque l’activité économique progresse et peut même dynamiser la consommation, donc la croissance, puis l’emploi. En effet, elle permet aux entreprises de mieux répercuter l’augmentation des coûts sur les prix de vente, donc de maintenir un niveau appréciable de leurs marges et des salaires qu’elles distribuent.
De plus, un peu d’inflation incite les ménages à ne pas différer leurs achats mais, au contraire, à dépenser au plus vite. Une dynamique de la demande s’installe alors, créant plus d’emplois, donc plus de revenus et plus de consommation.
Le retour d’une inflation entre 2 % et 3 % ne serait donc pas dangereux mais, au contraire, souhaitable. Malheureusement, compte tenu du ralentissement actuel et à venir de la croissance mondiale, il ne se produira pas. Or, ne l’oublions pas : mieux vaut une inflation à 2 %, avec une croissance à 2,5 %, qu’une inflation de 0 %, avec un PIB en baisse de 1 %…
Marc Touati