L’euro/dollar baisse et c’est tant mieux. De 1,25 dollar en février 2018 et en dépit des prévisions consensuelles, l’euro est effectivement revenu vers 1,12 dollar depuis novembre dernier, niveau qui prévaut encore aujourd’hui.
C’est évidemment positif pour la croissance eurolandaise. Et pour cause : le niveau normal de l’euro/dollar est de 1,15 dollar pour un euro. Et ce, tant selon la parité des pouvoirs d’achat (PPA) que selon le taux de change naturel, dit Natrex. Ce dernier caractérise le niveau d’équilibre de l’euro/dollar en fonction des principaux fondamentaux économiques, tels que la croissance, l’inflation, l’épargne et la balance commerciale.
Pour autant, n’oublions pas que le niveau d’équilibre de l’euro est différent selon les pays : 1,30 dollar pour l’Allemagne, mais 1,05 dollar pour la France, 0,90 dollar pour l’Italie et 0,70 dollar pour la Grèce. Autrement dit, à l’exception de l’ancienne zone Deutschemark (Allemagne et Benelux), l’euro reste encore trop fort pour permettre le retour d’une croissance soutenue dans la grande majorité des pays de l’UEM.
Et pour ceux qui auraient tendance à oublier qu’une devise surévaluée est dangereuse, rappelons que les vecteurs de transmission d’un euro trop fort sur l’économie sont au nombre de trois. Premièrement, il augmente les prix des exportations, qui deviennent donc trop chères et finissent par reculer. Les entreprises exportatrices sont alors contraintes de réduire leur production, avec souvent des destructions d’emplois et de revenus à la clé.
Deuxièmement, un euro trop fort signifie que les prix des produits importés reculent. Si cette évolution peut être perçue comme un avantage, notamment pour les consommateurs nationaux, elle se traduit également par un effet pervers. En effet, si les produits importés sont moins chers, les producteurs nationaux voient la compétitivité-prix de leurs produits diminuer à vue d’œil. Ils perdent donc des parts de marché, réduisent la voilure et licencient. Les revenus sont abaissés et la consommation avec. Troisièmement, lorsque l’euro est trop cher, investir dans la zone euro depuis l’étranger devient très onéreux, tandis qu’investir à l’étranger devient meilleur marché pour un Eurolandais. Dès lors, les flux d’investissements étrangers vers l’UEM se tarissent et les flux d’investissements eurolandais à l’étranger augmentent, réduisant mécaniquement la croissance et l’emploi dans la zone euro.
Réciproquement, la baisse de l’euro produit les mêmes effets, mais dans le bon sens : davantage d’exportations, plus de compétitivité des produits nationaux vis-à-vis des produits importés, donc plus de parts de marché pour les premiers et, enfin, plus d’investissements étrangers dans l’UEM et moins de fuite de capitaux à l’extérieur de cette dernière.
Mais, attention, il ne faudrait pas trop rêver : la baisse de l’euro ne peut pas complètement changer la donne économique. L’atteinte d’un euro normal est une condition nécessaire mais pas suffisante pour relancer la croissance de manière forte et durable. Et ce, pour trois raisons principales. Primo, les écarts de compétitivité-prix au sein de la zone euro demeurent importants. Le niveau de l’euro est effectivement le même pour tous les pays de l’UEM. Ainsi, une dépréciation de la monnaie ne peut profiter exclusivement à un pays particulier de la zone. Dans ce contexte, la compétitivité-prix a plutôt trait aux différentiels de coûts du travail entre membres. Et sur ce point, la France peut faire beaucoup mieux. Nous voyons là l’importance d’engager une véritable réforme de modernisation de nos structures économiques.
Secundo, la compétitivité dite hors prix peut affecter durablement le commerce extérieur français. Elle se rapporte à la qualité de la production et au caractère innovant des produits nationaux. Or, en plein processus de désindustrialisation, il n’y a, a priori, aucune raison pour que la baisse de l’euro engendre une hausse relative de la qualité de la production hexagonale… Tertio, il ne faut pas oublier qu’une baisse de la devise ne produit ses premiers effets sur l’activité qu’environ six à neuf mois après avoir été enclenchée.
Au total, chaque fois que l’euro s’apprécie de 10 %, la croissance eurolandaise perd environ 0,5 point. À l’inverse, lorsque l’euro se déprécie de 10 %, la progression de l’activité gagne 0,5 point. Ce qui n’est certes pas énorme, mais dans le contexte de faiblesse économique actuelle est toujours bon à prendre.
En conclusion : oui, la France et la zone euro ont besoin d’un euro moins fort. Ne l’oublions jamais : la dernière fois que la croissance a été forte dans l’Hexagone et dans l’UEM, c’était en 1999-2000, lorsque l’euro valait environ 0,90 dollar. À l’inverse, chaque fois que l’euro a dépassé 1,20 dollar, la croissance s’est effondrée.
Attention cependant à ne pas aller trop loin, car un euro inférieur à un dollar pourrait également nuire à la crédibilité de l’UEM et susciter un mouvement de défiance à son égard. C’est d’ailleurs ce qui risque de se passer au cours des prochains mois. En effet, que ce soit la crise italienne qui dure et va certainement s’intensifier ou encore les élections européennes qui risquent de déboucher sur une forte montée des partis extrémistes, les tensions politico-économico-financières risquent de s’exacerber à travers l’Europe et en particulier au sein de la zone euro.
Face à ce jeu dangereux, les taux d’intérêt des obligations de certains Etats, bien sûr italien, mais aussi français, pourraient remonter dangereusement, réactivant la crise de la dette publique, qui, tel un volcan temporairement endormi, pourrait se réveiller et devenir encore plus dévastatrice que par le passé.
De quoi souligner que si la baisse de l’euro/dollar va forcément apporter quelques effets bénéfiques à la croissance eurolandaise, ceux-ci risquent rapidement d’être effacés en cas de crise politique majeure au sein de l’UEM. C’est triste à écrire, mais la frontière entre le paradis et l’enfer est parfois bien mince, en particulier en Europe.
Marc Touati