Notre « Humeur » de la semaine dernière sur la différence grandissante et criante entre la croissance des Etats-Unis et celles de la zone euro et de la France a suscité de nombreuses réactions. Certaines enthousiastes sur la nécessité de réveiller notre « Vieux Contient », d’autres négatives sur la futilité de la recherche de la croissance à tout prix et sur l’importance de faire passer avant tout les préoccupations écologiques. Il est vrai que depuis quelques années à travers le monde et bien sûr dans l’Hexagone, l’économie verte fait un véritable tabac. Mais, au-delà de ce succès marketing, il ne faudrait cependant pas tomber dans le piège de la mode et du mimétisme qui consisterait à penser qu’en dehors du « vert » point de salut, en particulier parce que derrière cette « noble cause » peuvent se cacher des sous-entendus très pernicieux voire dangereux, à commencer par la théorie de la décroissance. Ainsi, la « green economy » constitue à la fois une chance pour l’avenir économique de la planète mais aussi un danger dont il est pour le moment difficile de parler, tant les esprits restent enchantés par la vision d’un monde vert.
Pour mieux comprendre cette problématique, il faut remonter à une question qui n’a cessé de faire réfléchir les économistes depuis des siècles et encore plus aujourd’hui, à savoir : Comment faire de la croissance infinie dans un monde fini ? En effet, dans la mesure où la terre est ronde et où nous vivons dans un monde à l’horizon spatiotemporel limité, la croissance infinie ou durable ne peut a priori pas exister. Cette dernière ne serait donc qu’une illusion qui devient une bulle et qui finit forcément par exploser. Dans ce cadre, la seule solution possible semble résider dans ce que l’on appelle la décroissance. Celle-ci signifie simplement qu’après avoir trop crû (le verbe croire pourrait aussi convenir), nous devons désormais décroître pour éviter l’éclatement de la bulle et in fine sauver la planète.
Si cette théorie apparaît donc à la fois indispensable et séduisante, elle pèche néanmoins par au moins deux voies. D’une part, si, pour des pays riches, il est, à la rigueur, possible de concevoir la décroissance, cette dernière est parfaitement inégalitaire pour des pays en développement, qui n’auraient donc pas le droit de croître et de rattraper leurs grands frères de l’Occident. Sous couvert d’égalitarisme, la théorie de la décroissance et son alliée, celle de l’altermondialisation, ne reviendraient donc finalement qu’à maintenir, voire aggraver, l’écart qui sépare les pays riches des moins riches. N’oublions pas qu’il y a trente ans, les pays émergents qu’on appelait à l’époque les PVD (les pays en voie de développement) ne réalisaient qu’environ 10 à 15 % de la croissance mondiale. Depuis 2002, grâce à la mondialisation des années 1990 et aux transferts de technologies et de capitaux qu’elle a permis, les pays émergents sont devenus les locomotives de la croissance mondiale. Depuis 2009, ils réalisent chaque année près de 80 % de la croissance mondiale.
D’autre part, le deuxième travers de la décroissance réside dans le fait que sans croissance, il n’y a pas d’emploi. Et sans emploi, les revenus reculent et la grogne sociale monte. L’exemple de la flambée du chômage qui a frappé la totalité des pays développés au lendemain de la crise de 2009 montre combien la décroissance peut coûter cher. Or, si la révolution verte doit passer par le chômage et la crise sociale, il y a clairement un problème de durabilité à cause du manque de croissance. D’ailleurs, n’oublions pas que dans l’expression « développement durable », il y a « développement »…
S’il faut donc bannir la décroissance, le dilemme de la croissance infinie dans un monde fini reste entier et appelle une réponse efficace. En fait, le seul moyen de générer une croissance infinie ou durable dans un monde fini passe tout simplement par l’optimisation de l’existant, principalement au travers du progrès technologique. Ainsi, comme cela s’observe depuis le XVIIème siècle, le développement économique repose sur des cycles de long terme qui naissent avec les révolutions technologiques. Le processus est toujours le même : la révolution technologique génère une forte hausse des investissements dans ces nouveaux secteurs, qui, à son tour, entraîne une croissance vigoureuse et de fortes créations d’emplois, notamment via le processus de « destruction créatrice », qui consiste à supprimer des emplois dans les anciens secteurs d’activité pour en créer beaucoup plus dans les nouveaux. Ensuite, une phase de maturité s’installe au travers d’un mouvement de fertilisation de la révolution technologique à l’ensemble de l’économie. Malheureusement, cette phase est directement suivie de la formation d’une bulle spéculative, liée au fait qu’il reste très difficile de valoriser financièrement les nouvelles « success story ». La bulle finit alors par éclater, entraînant une phase de récession qui prendra fin avec la révolution technologique suivante.
Ainsi, si la dernière révolution a été celle des NTIC, nous avons la chance de voir s’ouvrir devant nous une multitude de révolutions technologiques : tout d’abord, celles du numérique et de la robotique, mais aussi les NTA (Nouvelles technologies de l’agroalimentaire), les nanotechnologies et bien sûr les NTE, les Nouvelles Technologies de l’Energie et leur corollaire, la « green economy ». Mais attention, cette dernière ne consiste absolument pas à se contenter de créer une éco taxe pour se donner bonne conscience. Car si tel est le cas, la « green economy » instaurera une nouvelle phase de décroissance, avec tous les dangers qu’elle suscitera. Non, cette révolution verte doit au contraire se traduire par une augmentation de l’innovation et des dépenses de Recherche & Développement à bon escient, c’est-à-dire avec des conséquences concrètes en termes de créations de richesses et d’emplois.
C’est dans ce cadre que s’inscrivent les Etats-Unis depuis plus de 20 ans, mais aussi la Chine qui est dernièrement devenue le pays qui investit le plus en R&D dans les énergies renouvelables. Quant à l’Europe et à la France, si elles étaient leaders dans les NTE dans les années 80, elles ont largement perdu cette avance au profit d’une augmentation des dépenses publiques principalement utilisées pour colmater les brèches d’une société en mal de renouveau et entretenir le train de vie d’Etats beaucoup trop coûteux et donc trop soucieux, pour que rien ne change, d’augmenter les impôts.
La médaille de la « green economy » a donc bien deux faces : l’une restrictive et contre-productive de la décroissance et l’autre innovante, donc créatrice de richesses et d’emplois, de l’investissement efficace en R&D. Espérons que, pour une fois, les Français et les Européens sauront choisir la bonne…
Marc Touati