Après un dégonflement massif et justifié de septembre à décembre 2018, les bulles financières ont repris du « poil de la bête » depuis le début 2019. Certes, la bulle du bitcoin et des cryptomonnaie ne s’est fort heureusement pas regonflée. En revanche, celles des marchés boursiers et obligataires ont été nettement réactivées.
Et pour cause : le Dow Jones est repassé au-dessus des 25 000 points, le Nasdaq au-dessus des 7 400 points (soit seulement 4,7 % et 8,4 % en-deçà de leurs sommets historiques atteints en 2018) et le Cac 40 a dépassé les 5 100. Quant aux taux d’intérêt des obligations d’Etat, en dépit de l’augmentation des dettes publiques, ils ont fortement baissé dans la quasi-totalité des pays développés, à l’exception notable de l’Italie.
Autrement dit, c’est reparti pour un tour.
Evidemment, l’envolée des marchés boursiers et obligataires peut en partie s’expliquer par le caractère toujours extrêmement accommodant des politiques monétaires à travers le monde, mais aussi par la faiblesse de l’inflation.
Pour autant, nous retrouvons les mêmes travers des années 2016-2017 au cours desquels personne (ou presque) n’osait qualifier ces évolutions extravagantes par le terme de bulle. Pourtant, tel était et tel est toujours bien le cas. En effet, au risque de nous répéter, rappelons qu’une bulle est tout simplement un écart cumulatif et auto-entretenu entre la valeur financière des actifs financiers et leur valeur réelle, c’est-à-dire celle correspondant à la réalité économique. Si l’excès de liquidités mondiales a participé à alimenter ces bulles, il ne peut cependant aller à l’encontre d’une loi physique incontournable : les arbres ne montent pas au ciel.
Et même si le ciel est très haut, les niveaux actuellement atteints par le Dow Jones et le Nasdaq continuent de défier l’entendement. Depuis leurs plus bas de mars 2009, ces deux indices progressent de respectivement 289 % et 485 %. Qui dit mieux ? Et même comparativement à son précédent historique de 2007, le Dow Jones affiche une progression de 79 %. Quant au Nasdaq, il enregistre une hausse de 47 % par rapport à son précédent pic historique atteint en mars 2000.
Soyons encore plus clairs : normalement les variables boursières doivent refléter une réalité économique concrète. Ainsi, le niveau actuel du Cac 40 suppose que les bénéfices augmenteront de 10 % cette année, ce qui paraît très peu probable.
Encore plus problématique, la corrélation historique entre le Dow Jones et la croissance mondiale indique que pour justifier l’atteinte des 24 000 points par le premier, la seconde doit dépasser les 8 %. Or, dans le meilleur des cas, elle sera d’environ 3 % en 2019 (précisément 2,8 % selon nos prévisions). Ce qui restera une bonne performance, mais insuffisante pour valider définitivement la nouvelle flambée des indices boursiers internationaux.
Et ce, d’autant que les risques politiques, économiques et financiers sont pléthore et surtout que de nombreux pays à travers le monde vont connaître un net ralentissement cette année, y compris sa locomotive, en l’occurrence la Chine.
Là aussi, la loi des « arbres et du ciel » doit s’appliquer, et en particulier pour l’économie chinoise. En effet, de 1980 à 2018, le PIB chinois réel (c’est-à-dire hors inflation) a augmenté de 3 057 %. A titre de comparaison, celui de l’Inde a augmenté de 939 %, celui des Etats-Unis de 175 % et celui de la France de 97 %. C’est dire l’ampleur du dynamisme chinois qui appelle, tout à fait logiquement, un apaisement salutaire et d’ailleurs souhaité par le gouvernement. Autrement dit, la décélération de la croissance chinoise vers un niveau de 5 % à 6 % est normale, voire indispensable.
Le problème est que, depuis une vingtaine d’années, la contribution de la Chine à la croissance mondiale oscille entre 30 et 50 %. Dès lors, si la locomotive de la planète freine, l’ensemble du train ne peut que suivre. Et ce d’autant qu’il n’existe pas d’alternative crédible. L’inde n’est pas suffisamment puissante et a dernièrement fait preuve d’une certaine fragilité, le Brésil, l’Argentine et la Russie vont mieux mais restent également fragiles. Quant aux Etats-Unis, ils ne parviennent plus à réaliser une croissance durablement supérieure à 2,5 % (2,2 % en 2019 selon nos prévisions). Enfin, la zone euro rechute dangereusement et devrait enregistrer une croissance d’au mieux 1,2 % cette année.
Dans ce cadre, le ralentissement de la croissance mondiale apparaît inévitable. Il ne sera certes pas dramatique mais, cette dernière devrait passer d’un niveau moyen de 3,5 % depuis une trentaine d’années à environ 2,8 % en 2019, voire un peu moins en 2020. Face à ce ralentissement, les marchés boursiers doivent donc logiquement corriger leurs excès. Selon nos estimations, ils devraient baisser d’au moins 15 % au cours des prochains mois, avec, parallèlement, une volatilité extrême. Bien entendu, plus la « rebulle » ira loin, plus cet ajustement baissier sera fort.
En conclusion, nous rappellerons cet adage de bon sens : mieux vaut prévenir que guérir. Autrement dit, en ces temps troublés, il ne faut pas hésiter à prendre ses bénéfices, même trop tôt. Pour ceux qui aiment les montagnes russes, ils pourront racheter après les phases de forte baisse et ainsi de suite jusqu’à la fin 2019. Pour les autres, mieux vaut rester liquides ou alors attendre la baisse de 15 % pour acheter des actions, non pas pour faire « des coups » (c’est-à-dire des plus-values de court terme), mais pour récupérer des dividendes, qui sont d’ailleurs l’objectif premier d’un investissement boursier.
Parallèlement, si les taux d’intérêt des obligations d’Etat resteront bas, ils devraient néanmoins remonter cette année, en particulier dans les pays de la zone euro, à l’exception notable de l’Allemagne. Bref, qu’il s’agisse des actions ou des obligations, la prudence doit rester de mise.
Marc Touati