C’est vraisemblablement devenu un mal français : depuis environ 20 ans, chaque début d’année, les dirigeants du pays annoncent que l’année à venir sera meilleure que la précédente, que la croissance économique va s’intensifier et susciter une forte baisse du chômage. En vain.
En fait, à ma connaissance, la dernière fois que la croissance effective française a été supérieure à celle annoncée par les gouvernants remonte à 1998. Je suis bien placé pour le savoir puisqu’à l’époque, alors que le consensus et les prévisions gouvernementales faisaient état d’une croissance molle, j’annonçais que celle-ci devait atteindre les 3 %. Elle fut finalement de 3,6 %. De quoi rappeler à ceux qui me trouvent parfois trop pessimiste que je ne le suis pas par nature. Bien au contraire.
D’ailleurs, en 1999 et 2000, mes prévisions étaient également plus optimistes que celles de Bercy. Et, une fois encore, à raison, puisque la progression du PIB atteignit 3,3 % en 1999 et 4,1 % en 2000. Malheureusement, le gouvernement Jospin n’utilisa pas cette manne pour assainir les comptes publics et moderniser l’économie française. Il préféra parler de « cagnotte » et utiliser cette dernière pour augmenter encore la dépense publique et refuser de réformer les structures économiques de notre « douce France », qui ne s’en est d’ailleurs toujours pas remise. A tel point que, depuis lors, pour essayer de masquer la réalité, les gouvernants n’ont eu de cesse de gonfler leurs prévisions de croissance, tout en sachant que ces dernières étaient intenables.
C’est d’ailleurs bien là que le bât blesse, car si l’optimisme est une nécessité du quotidien, le réalisme est aussi un devoir, en particulier à l’égard des citoyens, qui, à force d’avaler des couleuvres (notamment fiscales) et d’être déçus par la réalité économique et sociale, sont de moins en moins dupes. C’est justement ce qu’ont oublié les différents dirigeants du pays depuis plus de vingt ans et en particulier depuis une quinzaine d’années, préférant le déni de réalité, la méthode Coué et les effets marketing au réalisme économique.
Et malheureusement, cette nouvelle année ne déroge pas à cette triste règle. Ainsi, en dépit des nuages qui s’amoncellent, le gouvernement s’obstine à annoncer une croissance française de 1,7 % en 2019, qui permettrait de faire baisser le chômage et de remplir les objectifs de réduction des déficits publics.
Soyons clairs et directs : non seulement, cette prévision ne sera pas atteinte, mais, qui plus est, la croissance du PIB français en 2019 sera, selon nos estimations, de 1 %. Nous sommes donc au regret d’annoncer que, compte tenu de cette faiblesse de l’activité, le chômage réel repartira à la hausse, tout comme le déficit public.
D’ores et déjà, les statistiques du quatrième trimestre 2018 et de janvier 2019 ont annoncé la couleur : la croissance n’a été que de 1,5 % en 2018, soit exactement la prévision que nous annoncions il y a plus d’un an, envers et contre tous. Dans ce cadre, l’acquis de croissance pour 2019 n’est que de 0,4 %, contre 1 % début 2018. C’est dire combien la tâche sera ardue pour obtenir une croissance 2019 supérieure à celle de l’an passé.
En fait, pour parvenir à la prévision gouvernementale de 1,7 %, il faudrait que le PIB français augmente d’au moins 0,5 % sur chacun des quatre trimestres de 2019. Même si « impossible » n’est pas français, cela apparaît hors de portée. D’autant que les derniers indicateurs avancés de l’activité hexagonale sont catastrophiques, tant dans l’industrie, que dans les services, ou encore dans l’investissement logement et la consommation des ménages.
Certes, la faiblesse des cours du pétrole et des matières premières, le repli de l’euro/dollar et le maintien d’un taux refi de la BCE à 0 % limiteront les dégâts. Pour autant, ces éléments demeurent des facteurs nécessaires mais pas suffisants pour engendrer une croissance forte. D’ailleurs, en 2018, ces évolutions étaient déjà à l’œuvre et n’ont pas permis à la croissance française de dépasser 1,5 %. Et ce tout simplement parce que, même légèrement reformées, les structures de l’économie hexagonale restent trop rigides et trop restrictives (en particulier d’un point de vue fiscal), ne permettant pas de transformer cet « alignement des planètes » en croissance soutenue.
De plus, l’économie française demeure affectée par une défiance majeure tant nationale qu’internationale et n’est toujours pas sortie de sa crise des « gilets jaunes ». Enfin, elle va fortement pâtir du ralentissement de la croissance mondiale qui a déjà commencé et qui va malheureusement s’aggraver en 2019. Autrement dit, si de 2008 à 2018, avec une croissance mondiale moyenne de 3,5 %, celle de la France n’a été que de 0,8 %, que va-t-elle devenir avec une progression du PIB mondial d’au mieux 2,8 % en 2019 ? A la rigueur, il ne s’agit plus d’économie, mais de mathématique, ou encore de bon sens.
Dans ce cadre, avec une croissance de 1 %, le taux de chômage devrait remonter vers les 9,5 % (contre 9,1 % en décembre 2018). Dès lors, même si le gouvernement augmente encore les dépenses publiques, les revenus et la consommation des ménages resteront moribonds. Parallèlement, compte tenu du dérapage des dépenses publiques et des moindres recettes fiscales liées à l’état décevant de la croissance, de l’investissement et de la consommation, le déficit public devrait avoisiner les 3,7 % du PIB et la dette publique dépasser nettement les 100 %.
En d’autres termes, et même si nous aimerions sincèrement annoncer le contraire, l’économie française se portera moins bien en 2019 qu’en 2018. Et il ne s’agit évidemment pas là de « french bashing », mais simplement de réalisme économique.
Marc Touati