C’est tout de même incroyable : la France subit un coup d’arrêt brutal de son économie, à tel point qu’elle est désormais menacée par une nouvelle récession ; son chômage va donc nettement augmenter ; et, pour couronner le tout, son déficit public est sur le point de connaître un dérapage massif, qui entraînera une nouvelle flambée de sa dette publique. D’ores et déjà, cette dernière a atteint un nouveau sommet historique de 2 322,3 milliards d’euros au troisième trimestre 2018, soit 99,3 % du PIB. C’est dire ce qui nous attend au cours des prochains trimestres. Pourtant, malgré ces catastrophes passées et en gestation, presque tout le monde s’en fiche !
C’est dire la gravité de la situation ! C’est dire combien le sens des responsabilités, notamment vis-à-vis de nos enfants, et tout simplement le bon sens ont quitté notre « douce France ».
Certes, les États-Unis sont déjà à plus de 100 % depuis 2012 et ils ne s’en plaignent pas outre mesure. Mieux, le Japon n’est-il pas à plus de 230 %, tout en restant la troisième puissance mondiale ?
C’est bien là que réside le principal problème de la flambée de la dette : personne ne s’en inquiète vraiment. Bien entendu, il faut reconnaître que rapporter le stock de dette publique au flux de création de richesses (c’est-à-dire le PIB) a peu de sens. En effet, que ce soit pour un ménage, une entreprise et a fortiori un État, il est normal que sa dette dépasse son revenu annuel, sinon il ne serait pas utile de s’endetter.
En revanche, ce qui est beaucoup plus problématique, c’est lorsque cette dette ne génère pas suffisamment de croissance, donc d’activité, de business ou encore de revenus, simplement pour assurer le paiement annuel des intérêts de la dette. Dans ce cas, pour payer ces derniers, il faut encore augmenter son endettement, qui devient alors explosif et se transforme en surendettement. C’est ce que l’on appelle la « bulle de la dette ». Encore plus grave, cette situation finira par obliger le surendetté à vendre ses actifs, son patrimoine immobilier, voire ses propres biens, avec, en bout de course, la faillite.
Le problème n’est donc pas la dette, mais la capacité de l’endetté à la rembourser, c’est-à-dire à la rendre supportable. On parle alors de soutenabilité de la dette. Certes, dans la mesure où l’horizon temporel des États est bien plus étendu que celui des ménages et des entreprises, il serait possible de laisser croire qu’ils n’obéissent pas à cette règle de bon sens. Comme disait l’économiste Keynes, inventeur du principe de la relance budgétaire, mis en musique pour la première fois après le krach de 1929 aux États-Unis : « à long terme, nous serons tous morts ». En revanche, les États perdureront. Au travers de cette analyse, certains ont cru déceler un blanc-seing pour pouvoir augmenter la dette publique indéfiniment. « Au diable l’avarice ! » nous disent-ils. Que l’État s’endette ! Augmentons les dépenses et faisons confiance aux générations futures pour assurer le « service après-vente ».
Ce comportement est évidemment irresponsable. D’abord pour les générations à venir, mais aussi pour celles qui doivent gérer l’explosion de la dette. Et c’est aujourd’hui notre cas. En effet, bien loin d’avoir contracté une dette soutenable, l’Etat français a dépensé sans compter, et surtout en toute inefficacité depuis des décennies. Ainsi, en dépit de la faiblesse artificielle des taux d’intérêt des obligations d’Etat, la France n’est pas parvenue à générer une croissance économique suffisamment forte pour assurer le paiement annuel de la charge d’intérêts de la dette publique. Et cela dure depuis plus de dix ans (à l’exception de l’année 2017) !
Le pire est que malgré ces évidences, la note de la France reste l’une des meilleures du monde et les taux d’intérêt des obligations d’Etat demeurent excessivement bas, Ce qui pourrait amener à se demander pourquoi faudrait-il se fatiguer à baisser les dépenses publiques, les déficits et la dette ?
C’est bien là qu’est le drame. Car, ne l’oublions pas : de 2000 à 2008, en dépit d’une dette publique de plus de 100 % du PIB et de déficits publics chroniquement élevés, la Grèce aussi a bénéficié de taux d’intérêt historiquement bas. Et puis, un jour, les investisseurs se sont réveillés et la crise grecque a éclaté.
Il s’agit là d’un nouvel « aléa moral ». En effet, dans la mesure où la politique irresponsable de la France n’a pas été sanctionnée depuis des années, les différents gouvernements successifs n’ont pas été incités à engager une thérapie de choc, indispensable pour guérir la France.
Les dérapages récents et à venir vont évidemment aggraver la situation. En 2019, la croissance économique française sera d’environ 1,1 %, selon nos prévisions, ce qui se traduira par une nette augmentation du taux de chômage vers les 10 %, par une nouvelle augmentation des dépenses publiques et par un déficit public français de l’ordre de 3,7 % du PIB. Les taux d’intérêt des obligations d’Etat vont donc logiquement augmenter, cassant encore la croissance et générant une nouvelle crise de la dette publique.
Jusqu’à présent, et grâce au soutien actif de la BCE, les marchés sont restés aveuglés, refusant d’admettre l’évidence. Rappelons-nous que cela a aussi été le cas pour les taux d’intérêt de la dette grecque de 2001 à 2010. Et, puis, un jour, ils ont enfin ouvert les yeux et ces derniers ont flambé jusqu’à 40 %. Les taux français devraient évidemment éviter de tels sommets, mais une remontée aux alentours des 2,0 % paraît inévitable d’ici l’été 2019.
Peut-être qu’alors tous les Français comprendront la gravité de la situation. Mais il sera malheureusement trop tard pour éviter une nouvelle récession dévastatrice.
Marc Touati