Sans surprise, l’économie chinoise a encore légèrement ralenti au troisième trimestre 2018, le glissement annuel de son PIB se repliant à 6,5 %, un plus bas depuis le premier trimestre 2009. Une décélération logique, salutaire et durable. Et pour cause : de 1980 à 2018, le PIB chinois réel (c’est-à-dire hors inflation) a progressé de 3 050 %. Sur la même période, l’augmentation du PIB réel a atteint 928 % en Inde, 271 % pour la planète, 171 % aux Etats-Unis et 93 % en France. C’est dire l’ampleur du « miracle » chinois.
Conséquence logique de ce rattrapage détonant, la part de la Chine dans le PIB mondial (mesuré en parités de pouvoir d’achat) est passée de 2,3 % en 1980 à 18,7 % aujourd’hui. Celle de l’Inde de 2,9 % à 7,6 %, celle des Etats-Unis de 21,7 % à 15,2 % et celle de la France de 4,4 % à 2 %.
Mais ce n’est pas tout, puisque, de 1980 à 2017, le PIB par habitant à prix constants a augmenté de 2 000 % en Chine, contre une hausse de 404 % en Inde, 85 % aux Etats-Unis et 58 % en France. Bien sûr, il n’est encore que de 8 583 dollars en Chine aujourd’hui, contre 59 500 dollars aux Etats-Unis, 39 670 dollars en France, et 1 852 dollars en Inde.
En termes de PIB par habitant, la Chine est actuellement au 75ème rang mondial, mais elle était 134ème en 1990 (avec 348 dollars annuels par habitant). Sur la même période, notons que la France est passée de la onzième place à la 23ème position… Autrement dit, si elle est encore loin du niveau de richesse par habitant du monde développé, la Chine est aussi en la matière sur la voie du rattrapage rapide.
Quant à l’argument selon lequel seuls 450 millions de Chinois vivent correctement, c’est-à-dire selon les normes occidentales, laissant ainsi sur le bord de la route plus de 900 millions de personnes, il est important de le relativiser, en soulignant que cela montre le potentiel de croissance qui existe encore dans l’Empire du Milieu. Et lorsque l’on sait qu’en 2000, il n’y avait que 100 millions de Chinois qui vivaient correctement, on comprend qu’en Chine tout est possible.
Seulement voilà, les arbres ne montent pas au ciel, quand bien même s’agirait-il de sequoias. Autrement dit, depuis une dizaine d’années, les Chinois savent qu’une crise financière et une crise de croissance sont inévitables.
Et ce d’autant que si la dette de l’Etat chinois n’est que d’environ 20 % du PIB, celle des gouvernements locaux dépasse les 25 %. Quant à la dette privée, celle des ménages atteint 45 % du PIB et celle des entreprises environ 165 %. Soit une dette totale de 255 % du PIB. Un niveau équivalent à ce qui s’observe aux Etats-Unis (260 %), en France (250 %) et dans la zone euro (240 %).
De plus, 95 % de la dette chinoise est détenue par des Chinois, ce qui rend mécaniquement la Chine moins dépendante du reste du monde. Cependant, l’étendue des créances douteuses inquiète de plus en plus. Certes, selon la commission de régulation des banques chinoises, celles-ci ne représenteraient que moins de 2 % du total. Néanmoins, selon le FMI, elles pourraient dépasser les 15 % de l’ensemble des crédits aux entreprises.
On comprend dès lors pourquoi de plus en plus de « spécialistes » de la Chine annoncent l’imminence d’une multitude de catastrophes dans l’Empire du milieu : crise démographique et/ou démocratique et/ou une explosion de la bulle des crédits à la sphère privée… Ils ont certainement raison, car les crises font forcément partie du développement économique. Pour autant, à la différence des Occidentaux et notamment des Européens, les Chinois savent identifier les bulles et réagir en conséquence.
Conformément à leur sens aigu de l’anticipation, ils ont ainsi confectionné plusieurs armes économiques et financières déterminantes, que j’ai coutume d’appeler « airbags », à utiliser en cas de difficultés économiques et/ou de crise. On en distingue au moins cinq. Les deux premiers résident dans une épargne et un investissement très élevés. Ces deux moteurs économiques représentent respectivement 50 % et 47 % du PIB chinois. Le troisième est relatif à la faiblesse de l’endettement de l’Etat qui avoisine les 20 % du PIB. Autrement dit, en cas de coup dur, Pékin pourra actionner sans difficulté l’arme du déficit public.
Mais, surtout, les Chinois ont également confectionné deux autres airbags, qui sont en fait des armes déterminantes à utiliser en cas de difficultés économiques et, surtout, de crise. En l’occurrence, un taux de change manipulable à l’envi et des réserves de change ayant atteint un sommet de 4 056 milliards de dollars à l’été 2014.
Depuis ce pic et a fortiori avec la crise boursière du printemps-été 2015, les autorités chinoises ont puisé plus de 1 000 milliards de dollars dans leurs réserves de change pour stopper l’hémorragie. Voilà pourquoi leur ralentissement a été modéré en 2015-2016, alors que d’autres pays émergents ont souffert davantage, tel le Brésil par exemple. Depuis le début 2017, ces réserves sont reparties à la hausse, atteignant actuellement près de 3 100 milliards de dollars.
Pour autant, le dynamisme chinois appelle, tout à fait logiquement, un apaisement salutaire et d’ailleurs souhaité par le gouvernement chinois. Autrement dit, la décélération de la croissance chinoise vers un niveau de 5 % à 6 % est normale, voire indispensable.
Le problème est que, depuis une vingtaine d’années, la contribution de la Chine à la croissance mondiale oscille entre 30 et 50 %. Dès lors, si la locomotive de la planète freine, l’ensemble du train ne peut que suivre. Et ce d’autant qu’il n’existe pas d’alternative crédible. Voilà pourquoi, nous confirmons et signons : déjà ralentie en 2018, la croissance mondiale continuera de décélérer en 2019, atteignant environ 2,9 %.
Marc Touati